La Maison du Chat-qui-pelote, Balzac, 1830

coquillage



A propos de Balzac, ce site contient
: 1. Une lecture de L'Interdiction - 2. Une présentation de La Comédie humaine - 3. Une présentation de La Muse du département4. Extraits de La Muse du département - 5. Une présentation de La Peau de Chagrin. - 6. Une biographie de l'écrivain. - 7. Une présentation du Bal de Sceaux - 8. Une présentation de La Vendetta - 9. Une présentation de La Bourse - 10. Une présentation du Curé de village - 11. La Fille aux yeux d'or - 12. Illusions perdues -




L'édition du texte

La nouvelle qui porte ce titre a d'abord été publiée sous celui de Gloire et malheur, en 1830. Elle appartenait à un ensemble de textes publiés en deux volumes sous le titre général de Scènes de la vie privée. Elle ne reçoit son nouveau titre qu'en 1842, lors de la publication par Furne des oeuvres que Balzac a regroupées sous le titre de La Comédie humaine. Cet ensemble commence par la série des récits rassemblés sous le titre qui avait servi pour la publication de 1830: "Scènes de la vie privée", et La Maison du Chat-qui-pelote en est le premier récit, après quelques hésitations de l'auteur qui a oscillé entre La Vendetta et Le Bal de Sceaux pour occuper cette place ; c'est dire l'importance qu'il lui accordait puisqu'il en fait, en quelque sorte, l'incipit de son oeuvre. Au moment de cette publication (1842), Balzac révise son texte, en change le titre, et y introduit des personnages qui feront le lien avec les autres oeuvres, selon le procédé qu'il a trouvé au moment de la rédaction du Père Goriot, en 1834, lorsqu'il perçoit l'unité de ses oeuvres et "invente" son projet d'une grande fresque, en plusieurs romans, rattachés par le retour des personnages, pour dépeindre son époque.
Le collophon "Maffliers, octobre 1829" n'apparaît que dans la troisième édition du texte, en 1835.
La dédicace comme la plupart de celles qui apparaissent dans l'oeuvre de Balzac ne date, elle aussi, que de l'édition Furne. Elle rend hommage à une amie de sa soeur Laurence, sans doute parce que cette amie pouvait mieux qu'une autre comprendre la souffrance du personnage féminin, Augustine, et la rapprocher des souffrances vécues par Laurence, morte à 23 ans, après quelques années d'un mariage destructeur.

Le titre

Le premier titre, Gloire et malheur était directement issu du récit puisque la formule pouvait passer pour une pensée du personnage revenant chez ses parents et s'attardant devant la fenêtre d'où "un jour, elle avait envoyé un premier baiser à celui qui répandait aujourd'hui sur sa vie autant de gloire que de malheur." Tiré de son contexte, il devait être lu plutôt comme une succession, d'abord la gloire, ensuite le malheur, comme Balzac lui-même, en 1837, le proposait dans Grandeur et décadence de César Birotteau alors que pour le personnage les deux états se conjuguaient pour construire sa souffrance.




couverture

Couverture d'une édition de 1941, Gründ, coll. Nouvelle bibliothèque précieuse.


C'est peut-être la raison qui l'incite à changer de titre en 1842. Celui qu'il choisit est à la fois amusant et énigmatique, puisque le jeu de paume 




auquel renvoie le verbe "peloter" (s'entraîner à échanger des balles sans vraiment mener une partie) est tombé en désuétude au XVIIIe siècle, en France tout du moins, laissant place à toutes sortes d'autres jeux de raquettes dont le tennis. C'est sans doute la raison pour laquelle, en 1941, les éditions Gründ choisissent de lui donner une couverture éclairant la formule, sans trop respecter d'ailleurs, la description que le narrateur balzacien en fait au début du récit : "L'animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle..." en insistant avec humour sur l'hypertrophie de la queue "tant la queue des chats de nos ancêtres était grosse, haute, et fournie." Le terme "maison", connote lui, parce qu'assorti de cette caractérisation, un établissement commercial. Associé à l'incipit qui décrit le bâtiment et à son enseigne, ainsi qu'au nom de son propriétaire, M. Guillaume, nom traditionnel des drapiers depuis, au moins, La Farce de maître Pathelin (XVe siècle), il souligne le caractère ancien, pour ne pas dire "dépassé" d'un tel lieu, dans le Paris contemporain où il s'insère, celui des premières années de l'Empire (comme le signale la "coiffure à la Carracala", et comme la date de 1808 le signifiait plus directement dans les premières ébauches de la nouvelle), celui du temps des guerres napoléonniennes, c'est-à-dire le temps des transformations et des changements qui se déroulent alors sur tous les plans, y compris économiques, que d'autres romans de Balzac développeront avec plus de détails.
Il met ainsi au premier plan un milieu : celui d'une bourgeoisie traditionnelle qui sera d'autant moins propice à comprendre le "génie", thème fort développé alors par les jeunes romantiques en lutte avec toutes les traditions.



Bien qu'il s'agisse d'un texte court, cette nouvelle contient un grand nombre de thèmes qui en font un texte particulièrement riche, se proposant comme une ouverture musicale de cet "opéra", ce grand oeuvre que sont les "Etudes de moeurs".
L'intrigue est fondée sur un mariage, celui d'Augustine Guillaume (18 ans au début du récit), fille de drapiers cossus de la Rue Saint-Denis, à Paris, avec Théodore de Sommervieux, jeune peintre de talent, et peut-être de génie.

Le couple et le mariage

Le couple est un des thèmes développés à travers celui des parents (Madame et Monsieur Guillaume) que répètent la soeur aînée, Virginie, et le premier commis du magasin, Joseph Lebas : mariage association fondé sur le respect, des projets communs, et une tendresse construite au fil des ans ; celui d'Augustine et Théodore, né d'un coup de foudre, vécu dans la passion qui annihile tout raisonnement et fait disparaître les disproportions, jusqu'à ce que la passion éteinte, les yeux de l'un se désillent pour le malheur de l'autre ; celui de la duchesse de Carigliano et de son invisible époux, autre forme d'association. La question du mariage n'est pas nouvelle pour Balzac, et son premier succès avait été, dans un anonymat bien provisoire, une Physiologie du mariage, dans laquelle il posait déjà la question de l'éducation des femmes, autre thème important ici.

La femme

Mais dans le couple, Balzac favorise ici le personnage féminin (comme cela lui arrive très souvent) en exaltant sa capacité à aimer, à se soucier de l'autre, face, d'une certaine manière, à l'égoïsme masculin. Le narrateur conclut l'histoire d'Augustine en soulignant que le coeur des femmes contient "certaines cordes que Dieu a refusé à l'homme". Augustine n'est pas un personnage idéalisé, c'est une femme particulière, avec ses défauts, ses petitesses, mais tout se passe comme si l'amour était une vertu féminine par excellence.
Par ailleurs, les autres portraits de femmes (portraits descriptions ou portraits en actes) viennent nuancer et compléter cette vision de la féminité, si fine que l'on comprend l'engouement des lectrices qui inondaient Balzac de lettres, tant elles se reconnaissaient dans ses personnages.

L'artiste face au bourgeois

Les groupes sociaux auxquels appartiennent les deux conjoints est aussi un thème essentiel qui organise l'opposition bourgeois / artiste, qui se développe tout au long du XIXe siècle, en prenant de plus en plus d'acuité, jusqu'à trouver sous la plume de Verlaine une formulation qui fera fortune, celle de "poète maudit". L'artiste est un "marginal" dans la société, un incompris, toutes ses valeurs étant en rupture avec celles de l'ordre établi. Les efforts d'Augustine pour se cultiver vont l'amener à saisir cette incompréhension essentielle, lorsqu'elle tente de trouver du réconfort auprès de ses parents. Et le narrateur souligne cette situation, sans pour autant prendre parti, se contentant du constat. La duchesse de Caragliano, sur ce plan, est parfaitement d'accord avec M. et Mme Guillaume : "Nous autres femmes, nous devons admirer les hommes de génie, mais vivre avec eux ! jamais." Aucun des personnages du récit ne comprend Théodore, mais pour permettre au lecteur de mesurer sa puissance artistique, Balzac a introduit dans son récit un peintre, Girodet (1767-1824), pour juger de ses oeuvres et en juger positivement, même si Théodore semble plutôt appartenir, par sa manière de peindre, au romantisme, ce qui n'est pas exactement le cas de Girodet.
Par ailleurs, le narrateur compose ses descriptions comme des tableaux, y compris lorsque le point de vue n'est pas celui du peintre, qui rappellent souvent les tableaux de genre de la peinture hollandaise, Vermer, par exemple.

Un écrivain "réaliste" ou un écrivain "romantique" ?

Les deux ! Comme le disait son amie George Sand, Balzac appartient au groupe qu'elle définissait ainsi dans le prologue de La Mare au diable (1846) : "Certains artistes de notre temps, jetant un regard sérieux sur ce qui les entoure, s'attachent à peindre la douleur, l'abjection de la misère, le fumier de Lazare.", groupe auquel elle ne voulait pas appartenir, préférant donner de l'espoir, plutôt que de compter les plaies sociales. Les sujets que choisit Balzac sont romantiques le plus souvent, le traitement des personnages aussi (comme la peinture du "Génie" ici, l'incompris, l'assoiffé de liberté qui piétine tout autour de lui, sans pitié, son "moi" étant plus important que tout, prix à payer pour la création ; comme la peinture des bourgeois qui frôle souvent la caricature, particulièrement lorsqu'ils tentent d'émettre une idée sur l'Art). Mais en même temps, l'attention aux détails, la précision des descriptions de la vie quotidienne, des activités des personnages, de leur idéologie, du poids du milieu et de l'histoire sur la formation d'un individu, le jeu des comparaisons empruntées aux sciences ("Il aperçut alors le passant [...] comme Humbolt dut examiner le premier gymnote électrique qu'il vit en Amérique." ou " Ces vieilles familles où se conservaient [...]  comme des débris antédiluviens retrouvés par Cuvier dans les carrières.") ont tellement retenu l'attention de la postérité qu'elle l'a classé "réaliste", le jour où les étiquettes se sont mises à compter plus que les oeuvres.
La force de Balzac est de résister à toutes les étiquettes et de proposer à notre plaisir comme à notre perspicacité des oeuvres qui ne s'épuisent jamais. Toute relecture est découverte..
 




A lire
: Au Bonheur des Dames, Zola (1883). Ce roman de Zola consacré aux transformations du commerce dans la seconde moitié du XIXe siècle, reprend à Balzac tous les éléments de description mis en jeu dans ce petit récit pour montrer comment les grands magasins supplantent cette conception du commerce que Balzac, déjà, jugeait dépassée.
La recension de La Peinture dans la création balzacienne d'Olivier Bonnard, 1969, dans Persée, signée Rose Fortassier



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