20 mai 1799 : Honoré de Balzac

coquillage



A propos de Balzac, ce site contient
: 1. Une lecture de L'Interdiction - 2. Une présentation de La Comédie humaine - 3. Une présentation de La Muse du département4. Extraits de La Muse du département - 5. Une présentation de La Peau de Chagrin. 6. Une présentation de La Maison du Chat-qui-pelote - 7. Une présentation du Bal de Sceaux - 8. Une présentation de La Vendetta. - 9. Une présentation de La Bourse - 10. Une présentation du Curé de village - 11. La Fille aux yeux d'or - 12. Illusions perdues -




Balzac, c'est toute une histoire.  
Curieusement, l'écrivain peut-être le plus  inquiétant pour ses futurs lecteurs qui ont vaguement entendu parler des descriptions... Interminables ! les descriptions balzaciennes... Et combien fascinantes pour peu que l'on en fasse l'expérience.
Pour une fois, commençons cette histoire au XXe siècle et avec le cinéma : Les Quatre cents coups (Truffaut, 1959). Le jeune Antoine Doinel, mauvaise graine portée sur l'absentéisme,  sèche son cours de gymnastique ; revenu chez ses parents, absents puisqu'ils travaillent, il s'allonge sur le divan, et lit La Recherche de l'absolu. Le jeune garçon a une dizaine d'années. Son créateur, François Truffaut, en a 27.
Antoine découvre ainsi, un jour d'école buissonnière, la magnificence des mots, ce qui lui vaudra bien des misères pour se retrouver plagiaire malgré lui, imprégné qu'il est de la force du texte balzacien, en particulier du dernier paragraphe du roman qui concentre tout son enthousiasme.
A la suite de cette lecture, Balzac est érigé au statut de divinité, ce qui vaudra d'autres misères au jeune Antoine ;  la bougie allumée pour honorer son grand homme manquant mettre le feu à l'appartement.
Mais Truffaut déclare ouvertement son admiration pour Balzac et, d'une certaine manière, met sous son parrainage ce moment particulièrement riche du cinéma français qu'on a appelé la "Nouvelle vague". Comme Balzac, les jeunes auteurs de la Nouvelle vague voulait rendre l'art à la vie, à la rue, au contemporain. Ecrire, comme Balzac, "l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des moeurs."  Avec, en prime, comme lui encore, la volonté de comprendre, de mettre à nu, c'est-à-dire de rendre visibles pour tous les rouages d'une société. Ce qu'ils ont vraiment accompli, comme Balzac avant eux.




Les Quatre cents coups, 1959

la  découverte



Les Qautre cents coups, 1959, insert.

la fascination


Les Quatre cents coups, 1959

L'exaltation



Mais avant que ne s'émerveille le jeune Doinel, il avait fallu que Balzac naisse, vive et écrive.
Il naît le 20 mai 1799, à Tours. Il est le deuxième enfant (le premier est mort peu après sa naissance) du couple Henri François Balzac (né en 1746) et de sa toute jeune femme (elle a trente ans de moins que lui), et l'aîné de ses trois soeurs et frère, Laure-Sophie née en 1800, Laurence en 1802 et François-Henri né en 1807. Il est mis en nourrice jusqu'en 1807, il entre alors chez les Oratoriens, à Vendôme.  En 1814, la famille s'installe à Paris, et Honoré suit. Il fera des études de droit, comme nombre de jeunes hommes de sa classe et de son temps, sans aucune conviction, car son projet c'est la littérature. il "veut" (et avec lui ce verbe est essentiel) devenir écrivain.
En 1819-1820, il ébauche un roman par lettres, Sténie, écrit une première version de Falthurne (repris en 1822 mais inachevé).
Et dès 1822, il écrit et publie, publie et écrit, sous des pseudonymes sonores : Horace de St-Aubin, Lord R 'Hoone, des romans "gothiques", oeuvres dont plus tard il refusera d'endosser la paternité en les traitant de "cochonneries littéraires". Il écrit aussi des articles pour divers journaux et à partir de 1830 pour La Presse, journal d'Emile de Girardin, qui inventera, en octobre 1836, le premier feuilleton, La Vieille fille, signé Balzac.
Dans les années 1820, on n'en est pas encore là, l'apprentissage dure jusqu'en 1829, année où il publie Le Dernier chouan (devenu Les Chouans, en 1834), sans grand succès (300 exemplaires vendus) et La Physiologie du mariage, qui lui vaut un succès de scandale, par son thème (l'adultère) et par sa thèse (l'émancipation des jeunes filles et leur droit à une vie sexuelle avant le mariage). Cette manière d'essai plaisant, placé sous le signe de Rabelais et fortement irrigué par la lecture de Diderot, sans compter les autres puisqu'il insère, dans son texte, la nouvelle de Vivant-Denon, Point de lendemain, qu'il attribue à Dorat, le met soudain à la mode.  Le texte n'est pas signé, son auteur est un "jeune célibataire", mais la préface est paraphée H.B, et le monde littéraire parisien n'est pas si grand qu'on puisse y conserver longtemps l'anonymat.
Balzac entre dans le tourbillon des mondanités et produit  encore et toujours. A partir de cette date, les romans publiés sous son nom prendront place, plus tard, dans la Comédie humaine. En 1831,  La Peau de chagrin est publié sous la signature qui nous est familière aujourd'hui, Honoré de Balzac. La particule a du chic! Certes, mais contrairement à la légende, ce n'est pas Balzac qui l'invente, il l'hérite de son père qui s'était anobli lui-même, vers 1800, et avait signé "de Balzac" les registres de baptème de Laure et de Laurence.
Toute la vie de Balzac pourrait se résumer ainsi : du travail, du travail, du travail. Et à proportion de ce travail titanesque, des rêves tout aussi démesurés. Balzac courait après la fortune (imprimerie, culture des ananas en serre, Balzac débordait d'idées pour s'enrichir), les huissiers lui couraient après pour cause de dettes, bien réelles, elles. La mort courait après tout le monde, mais elle, elle finit toujours par rattraper ses proies. Le 21 août 1850, elle rattrapa Balzac. Il avait eu le temps d'écrire une quarantaine de  romans que dès 1834-1835, au moment où il rédige Le Père Goriot, il décide d'organiser en une totalité à laquelle il donne, un peu plus tard, le titre de Comédie Humaine ; il avait juste eu le temps d'épouser, enfin, sa comtesse polonaise, Evelyne (dite Eve) Hanska, connue par correspondance en 1832, et qu'il avait rejoint, après la mort du comte, en Ukraine, en 1848. Mais en revenant à Paris, en 1850, il était déjà si malade et si affaibli qu'il  mourut au bout de quelques semaines.

cafetière de Balzac

La cafetière de porcelaine de Balzac, fidèle et indispensable compagne de l'écrivain.

Dans Balzac en pantoufles, publié en 1856, Léon Gozlan rapporte le goût immodéré de Balzac pour le café : "Le café de Balzac eût mérité de rester proverbial. [...] Quelle couleur, quel arôme ! Il le faisait lui-même ou du moins présidait-il toujours à la décoction.— Décoction savante, subtile, divine, qui était à lui comme son génie."


A la conter ainsi, sa vie le fait apparaître comme un météore tant Balzac donne le sentiment d'avoir couru sa vie plus que de l'avoir vécue. Il a été un homme de lettres à part entière. Il a vécu, plus ou moins bien, mais vécu quand même, de sa plume. Il a fondé la Société des gens de lettres (avec Sand, Hugo, Dumas) en 1838 pour protéger les intérêts de tous les écrivains. Les auteurs dramatiques s'étant organisés avec Beaumarchais dès 1777. Il a touché à la totalité du monde de l'édition, de l'imprimerie au journalisme. Il est celui qui va commencer à donner ses lettres de noblesse au roman (avec les autres romantiques, bien sûr).
L'écrivain mort, restait l'oeuvre. Et quelle oeuvre ! Comme pour le plus grand nombre de ses contemporains, l'oeuvre de Balzac ne va souffrir aucune éclipse. Elle est non seulement lue et relue, mais se voit enrôlée de fait dans la bataille du "réalisme" qui se déclenche au début des années 1850.







caricature de Grandville

"La grande course au clocher académique", 1844, caricature de Grandville

"La grande course au clocher académique" : caricature de Grandville (ou Granville, selon les leçons, 1803 - 1847).
Grandville semble s'être fait une spécialité de ces mises en scène moqueuses du désir d'entrer dans une institution qui était tout aussi vilipendée, par ailleurs, qu'aujourd'hui. Celle-ci succède à celle de 1839 qui mettait en lieu et place d'Eugène Sue, Victor Hugo.
Balzac y est transporté et couronné par des femmes ayant eu trente ans, il y a un certain temps (allusion à son roman, La Femme de trente ans.) Dans la première, le commentaire portait "le plus fécond de nos romanciers soutenu et couronné par des femmes de quarante ans et entouré de ses auteurs favoris".
Sa première candidature à l'Académie date de 1839, même s'il se retire en faveur de Hugo, qui ne sera pas élu, d'ailleurs. Et contrairement à Hugo, élu en 1841, Balzac n'entrera jamais à l'Académie française. Il est vrai qu'aucun romancier n'est coopté à l'Académie française avant la seconde moitié du XIXe siècle. Hugo et Vigny sont élus en tant que poètes, pour cette raison on leur pardonne leurs incursions dans la monde romanesque.
Sur la caricature, on reconnaît au plus près de la porte, Vigny portant un coffret dans ses mains et dont l'attitude peut prêter à toutes les interprétations, les jambes dans la position de la course manifestant clairement l'impatience du candidat (il s'est présenté sept fois avant d'être élu en 1845). Eugène Sue avec sa blouse bleue d'ouvrier, porté en triomphe par les personnages des Mystères de Paris ; Alexandre Dumas, encore maigre avec ses vêtements "moyennageux" (qui mêlent chaussures à la poulaine et culotte du XVIe s.), tournant le dos au cortège et qui semble chassé par des fantômes que le commentaire de 1839 disait "Les ombres de Froissard, de Goethe, d'Ugo Foscolo,  Cooper, etc.,  le poursuivent, réclamant leurs manuscrits et les retirant de ses poches."
Derrière Balzac, lui portant sa canne, minuscule, Nerval.




A ses funérailles, Hugo prononça un beau discours dont voici un extrait :

Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l'on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine; livre merveilleux que le poëte a intitulé comédie et qu'il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et va jusqu'à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'à Rabelais ; livre qui est l'observation et qui est l'imagination ; qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.
    A son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux uns l'illusion, aux autres l'espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l'homme, l'âme, le coeur, les entrailles, le cerveau, l'abîme que chacun a en soi.

Oeuvres complètes, Politique, éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, 1985, pp.326-328

Balzac sera au coeur de la bataille pour (ou contre) le réalisme, comme il l'avait d'ailleurs été, de son vivant, avec Eugène Sue. Du côté des "réalistes", on admirera son sens de l'observation. Du côté des autres, on lui reprochera sa "trivialité", son absence de "morale"; l'article "Balzac" du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (tome II, p. 136 sqde Pierre Larousse est fort éclairant en la matière.



"Nous savons que l'école réaliste dans ses affectations d'observation minutieuse et photographique, prétend retrouver l'homme, son caractère et ses passions, dans un geste, une intonation de voix, un noeud de cravate,  une mèche de cheveu, un pli de l'orteil, et mille autres misères qui sont le plus souvent des accidents du hasard. La convention joue certainement un grand rôle dans les théories de ces prétendus réalistes. Quoiqu'ils en aient, ce sont en définitive des hommes d'imagination, des poëtes (qu'ils ne prennent point cela pour une injure).  Balzac passant devant le grand statuaire David (d'Angers), lui disait avec cette infatuation phénoménale qui lui était propre, avec cette ivresse du Moi qui dans sa bouche avait plusieurs syllabes : « Surtout étudiez mon nez ; mon nez, c'est tout un monde!» Etonnante illusion ! Son nez était fort laid, plus que vulgaire, carré du bout, un peu gonflé au milieu et partagé en deux lobes soufflés et bossués, un vrai nez de fantoche et de grotesque. Nous ne faisons cette observation puérile, qu'on le croie bien, que pour montrer l'inanité du système. Si l'on se condamnait à ne juger que par les détails extérieurs et matériels, on s'égarerait le plus souvent dans l'arbitraire et la fantaisie. Il est étonnant qu'on soit obligé de dire cela aux théoriciens qui se posent  en observateurs jurés et patentés de la nature vraie et non idéalisée, que trop souvent eux-mêmes ils idéalisent en laid.  Il est certain que, si l'on jugeait Balzac d'après les procédés du parti pris qu'il emploie lui-même, on le jugerait fort injustement et fort mal."









Puis, comme toujours, le temps fera son travail, ce qui veut dire que la critique, l'université, les lecteurs, découvriront à chaque lecture nouvelle, dans chaque nouveau contexte, des dimensions de l'oeuvre ayant échappé à d'autres, et ce n'est certainement pas fini. Balzac continue à nous émerveiller, comme il émerveillait le jeune Antoine Doinel en 1959 et comme il émerveillait Baudelaire :



    
     Si Balzac a fait de ce genre roturier [le roman] une chose admirable, toujours curieuse et souvent sublime, c'est parce qu'il y a jeté tout son être. J'ai mainte fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l'ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi colorées que les rêves. Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Bref, chacun chez Balzac, même les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des armes chargées de volonté jusqu'à la gueule. C'est bien Balzac lui-même. Et comme tous les êtres du monde extérieur s'offraient à l'oeil de son esprit avec un relief puissant et une grimace saisissante, il a fait se convulser ses figures ; il a noirci leurs ombres et illuminé leurs lumières. Son goût prodigieux du détail, qui tient à une ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner, l'obligeait d'ailleurs à marquer avec plus de force les lignes principales, pour sauver la perspective de l'ensemble. Il me fait quelquefois penser à ces aquafortistes qui ne sont jamais contents de la morsure, et qui transforment en ravines les écorchures principales de la planche. De cette étonnante disposition naturelle sont résultées des merveilles. Mais cette disposition se définit généralement : les défauts de Balzac. Pour mieux parler, c'est justement là ses qualités.

Baudelaire, Théophile Gautier, article paru dans L'Artiste, 13 mars 1859 (Pléiade, tome 2)







A Découvrir
  : le travail de Balzac, le cas de La Femme supérieure, sur la BnF.
A explorer : le site de la Maison de Balzac.



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