La Bourse, Balzac, 1832

coquillage




A propos de Balzac, ce site contient
: 1. Une lecture de L'Interdiction - 2. Une présentation de La Comédie humaine - 3. Une présentation de La Muse du département4. Extraits de La Muse du département - 5. Une présentation de La Peau de Chagrin. 6. Une présentation de La Maison du Chat-qui-pelote - 7. Une présentation de La Vendetta - 8. Une biographie de l'auteur - 9. Une présentation du Bal de Sceaux - 10. Une présentation du Curé de village - 11. La Fille aux yeux d'or - 12. Illusions perdues -






La publication du texte :

La nouvelle est d'abord publiée dans le tome III des Scènes de la vie privée, en 1832. Sans doute a-t-elle été écrite pour étoffer un peu le volume, et l'on y retrouve comme une variation sur l'intrigue de La Maison du Chat-qui-pelote : même personnage de peintre, même coup de foudre pour "la plus délicieuse tête de jeune fille...", même amour partagé.
Elle est ensuite intégrée dans le tome I des Scènes de la vie parisienne, en 1835. Le peintre, Hippolyte Schinner, héros de l'histoire, étant un personnage en vue dans l'univers mondain de La Comédie humaine (il apparaît dans dix romans outre ce récit), raconter ses débuts et son mariage pouvait s'intégrer aisément dans ce cadre. Par ailleurs, la juxtaposition de misères soigneusement cachées et de la richesse ostentatoire fait partie, chez Balzac, des caractéristiques de la capitale.
Mais en 1842, dans l'édition Furne, elle retrouve sa place dans les Scènes de la vie privée. Elle est placée dans le premier volume à la quatrième place, après Mémoires de deux jeunes mariées et avant Modeste Mignon. C'est dans cette édition que Balzac dédie le récit à Sofka (Sophie Koslowska), une de ses amies qui l'avait aidé, cette même année 1842, pour préparer une représentation théâtrale. Pour cette édition Balzac remanie son texte afin d'y introduire des références à des personnages faisant le lien avec d'autres romans de La Comédie humaine comme Bixiou (ami du peintre) ou pour changer des noms, donnant ainsi à l'ami de Madame Leseigneur de Rouville le nom de Kergarouët, personnage du Bal de Sceaux.

La fable :

Un jeune peintre, Hippolyte Schinner, tombe d'une échelle dans son atelier, un soir. Il est secouru par ses voisines, une jeune fille et sa mère. Amoureux d'Adélaïde, la jeune fille, le peintre s'interroge sur le statut social des deux femmes, car de l'observation de leur logement et de leur comportement naît une seule alternative : "ou ces deux femmes sont la probité même, ou elles vivent d'intrigues et de jeu." De la réponse dépendra le bonheur des deux jeunes gens.



"Le visage de l'inconnue appartenait, pour ainsi dire, au type fin et délicat de l'école de Prud'hon, et possédait aussi cette poésie que Girodet donnait à ses figures fantastiques."


Prud'hon, 1811

Pierre Paul Prud'hon (1758-1823)
Tête de Vierge pour annonciation, détail, 1811, Musée de l'Ermitage.




Les personnages

Hippolyte Schinner : jeune peintre, "homme de talent, et qui dans l'art ne voyait que l'art même". Elevé par sa mère, ignorant son père qui a abandonné celle-ci, il a l'âme tendre et l'esprit élevé. Il a 25 ans et commence à être connu, la dernière exposition lui a valu la croix de la légion d'honneur.
Adélaïde Leseigneur de Rouville : fille du baron Leseigneur de Rouville, capitaine de vaisseau, mort à Batavia des suites de ses blessures reçues lors d'un combat naval contre un navire anglais, The Revenge, dans les dernières années du XVIIIe siècle (puisque Napoléon n'a pas encore le pouvoir) ; jeune fille ravissante et extrêmement bien élevée.
La baronne Leseigneur de Rouville : mère de la précédente, personnage ambigu aux yeux du peintre (comme de ses amis) dont le visage et le comportement peuvent être attribués aussi bien à une grande douleur qu'à une vie malhonnête.
Mademoiselle Schinner : la mère du peintre, qui l'a élevé seule (abandonnée par son séducteur), tout entière vouée à l'amour maternel, ce qu'elle prouve en devinant la souffrance de son fils ; elle décide de mener son enquête et va rendre visite à M. de Kergarouët.
Le comte de Kergarouët : vient d'être promu vice-amiral, ami de la baronne Leseigneur de Rouville, qu'il secourt en se laissant complaisamment vaincre au jeu de piquet.
Le chevalier de Halga : ami du comte de Kergarouët qu'il suit comme son ombre, ayant été l'amant de sa femme (morte depuis vingt ans) ; le narrateur le dépeint en rapportant un "mot de Rivarol sur Champcenetz : "C'est mon clair de lune."

Une courte discussion entre Schinner et ses amis permet de faire entrer en scène l'univers des artistes peintres de La Comédie humaine : Bixiou, "le faiseur de caricatures", Philippe Brideau, alors "jeune rapin de l'atelier de Gros".

Le titre :

Il renvoie à l'enjeu même du récit, la disparition et la réapparition d'une bourse, objet du tourment puis du bonheur du héros, le jeune peintre. La mode des bourses s'était répandue sous la Restauration et c'était un cadeau apprécié. Madame Hanska en offrira une à Balzac, et dans La Peau de chagrin, Pauline en brode une pour Raphaël.




Adolph Menzel, 1847

Adolph Menzel (1815-1905)
Wohnzimmer mit Menzels Schwester, 1847 (Salon avec la soeur du peintre)
Huile sur papier, Nouvelle Pinacothèque, Munich.




L'intérêt du texte :

Outre qu'il raconte une très jolie histoire d'amour en s'intéressant de près à la naissance et au développement des sentiments chez deux jeunes gens, particulièrement dans l'esprit du jeune homme (puisque c'est lui qui doit prendre la décision d'épouser ou non une jeune fille) qui après avoir hésité finit par se découvrir prêt à accepter Adélaïde quelle qu'elle soit, ce que commente le narrateur par une référence à Manon Lescaut, roman de l'Abbé Prévost :  "Son amour était celui du chevalier des Grieux admirant et purifiant sa maîtresse jusque sur la charrette qui mène en prison les femmes perdues." Mais les sentiments de la jeune fille n'en sont pas moins évoqués avec finesse.
Sur ce plan-là, le récit s'inscrit dans les valeurs du romantisme puisque l'amour y est la valeur suprême : amour de la mère pour son fils, amour de Madame de Rouville pour son mari disparu, amour d'Adélaïde pour Hippolyte se manifestant par une jalousie innocente et possessive, amour d'Hippolyte pour Adélaïde.
Mais il est aussi, comme souvent chez Balzac, l'occasion d'explorer des univers aussi différents que ceux des artistes, ici à travers Hippolyte, celui de l'artiste en quête d'idéal en quoi il s'oopose à ses amis qui ne veulent voir dans la réalité que ses aspects les moins reluisants et sont prêts à reconnaître dans toute femme une prostituée possible ; ceux des "marginaux", à prendre au sens strict du terme, ceux que la société met en marge au sens où elle abandonne, sans plus ni moins, les personnes qu'un malheur (la mort d'un mari et d'un père, en particulier) contraint à vivre d'aumônes plus ou moins discrètes, rien n'étant prévu pour aider les veuves et les orphelins. Balzac suggère ainsi discrètement à quel point la société de La Restauration est une société du ressentiment puisque la demande d'une pension de Madame Leseigneur de Rouville est déboutée avec une cruauté vindicative par le ministre de la Marine avec ces mots : "si le baron de Rouville eût émigré, [elle] l'aurait conservé ; [...] il serait sans doute aujourd'hui contre-amiral" : puisque la société ne peut plus rien contre un mort, elle peut se retourner conre les siens et faire "payer", à l'épouse et à la fille, les choix politiques du capitaine. Comme, d'un autre côté, le comte de Kergarouët doit son grade de contre-amiral, non à ses faits d'armes, mais au fait d'avoir émigré avec le roi, ce qui était aussi le cas du comte de Fontaine dont il épouse la fille dans Le Bal de Sceaux .



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