Figure imaginaire : la sorcière

coquillage


Anecdote :
L'écrivain Karen Blixen (1885-1962), dans les années 1940, s'affirmait sorcière, assurant qu'elle avait signé un pacte avec le diable, par lequel renonçant à vivre elle obtenait en retour que tout puisse se tranformer pour elle en "histoires". Métaphore, certes, de ses pouvoirs d'écrivain, mais peut-être aussi souvenir de l'étonnement de ces vieilles femmes Kikouyous, alors qu'elle vivait au Kenya au début du XXe siècle, qui lui demandaient ce que peut bien devenir une vieille femme blanche si elle n'est pas sorcière.
Devenir sorcière, être nécessaire et faire un peu peur, échapper ainsi à la transparence dans laquelle se perdent les femmes âgées.

Une autre ?
New-York, 12/11/18 : le métro, quelque part entre Mahattan et Brooklyn, dans un wagon. Fin de journée, retour du travail. Un jeune homme prêche le Christ d'une voix tonitruante, un homme exaspéré lui demande d'une manière peu amène de la boucler ; une femme s'interpose en défendant le droit du jeune homme à s'exprimer. A la station suivante, il descend et remercie la femme de son intervention, laquelle rétorque "je n'ai rien à voir avec vous, je suis une sorcière".
Les sorcières existent ! Elles prennent le métro !




Sorcière. Vous avez dit sorcière ?

     En ces premières décennies du XXIe siècle, la sorcière est devenue une figure familière. Revendiquée comme un drapeau par des féministes, elle est objet de recherches, d'essais, d'expositions, d'articles de journaux ou de revues, d'émissions de radio1. Elle fréquente, depuis presque un demi-siècle, la littérature pour enfants où elle n'est plus un personnage secondaire mais le personnage principal, celle des jeunes adultes fascinés par les romans jouant avec la magie et le merveilleux, ce que les anglophones nomment "fantasy" (et qui n'est ni le fantastique, ni le merveilleux), à commencer par la saga d'Harry Potter (7 romans entre 1997 et 2007 ; 8 adaptations cinématographiques entre 2001 et 2011), et s'immisce même dans la littérature romanesque (Marie Ndiaye, Carole Martinez), le cinéma, les séries télévisées et même la rue sous la double incarnation des déguisements popularisés par la fête de Halloween, qui se répand en France dans les années 1990, ou ceux des "witch bloc" dont la sortie spectaculaire lors des manifestations de septembre 2017 a retenu l'attention.
     Mais familiarité ne veut pas dire compréhension. La sorcière est une figure imaginaire complexe à saisir. Elle se situe, en effet, au croisement de multiples réalités. Celle de l'ethnographie (sorcellerie, fémininité, vieillesse, traditions populaires), celle de l'histoire (la sorcière étant, parmi les personnages imaginaires, un des rares à avoir été tenu pour incarné dans le temps et dans l'espace), celle de la création artistique (sous divers noms traduisant des perceptions différentes, elle est de tous les temps et de tous les espaces, de Homère à aujourd'hui, dans les contes, les romans, les poèmes, ou encore, suivant les époques, dans les divers arts visuels, de la peinture au cinéma).
Non seulement au croisement de ces champs de recherches, mais comme toute figure imaginaire, ayant accumulé sur elle différents traits hérités mais aussi altérés, transformés, au cours de l'histoire, au fur et à mesure des projections que des sociétés diverses imaginent, car ainsi que le dit Roger-Pol Droit « un être imaginaire [....] c'est une surface de projection, à la fois voisine et très lointaine, semblable et différente, attirante et repoussante » (Le Monde, 10 février 2006). On ne saurait qualifier plus justement la figure de la sorcière.
     Pour faire une sorcière du XXIe siècle, il faut un ensemble d'ingrédients difficiles à analyser tant ils sont tributaires de processus cumulatifs dissous les uns dans les autres. La couche qui semble la plus évidente, et revendiquée comme telle par des femmes qui s'affirment sorcières, est celle des féministes "radicales"; la sorcière est le masque posé sur le visage des femmes, victimes, depuis toujours, de sociétés dominées par des hommes, et plus particulièrement des sociétés capitalistes, ayant tout intérêt à les maintenir sous le joug puisque, ainsi, elles assurent gratuitement la repoduction de la force de travail, à tous les sens du terme. Elles font les enfants, les élèvent, s'occupent de leur bien être et de celui des hommes. Les tâches domestiques leur incombent toujours, même lorsque, comme les hommes, elles "travaillent dehors" selon une formule longtemps utilisée.  Par ailleurs, même si les sociétés occidentales ont changé, elles ne l'ont pas encore fait au point où les hommes cesseraient de considèrer que les femmes sont, sexuellement, à leur disposition, du tripotage au viol.
     Reprendre l'appellation de "sorcière", c'est prendre en charge la menace masculine (la sorcière vouée au bûcher), dénoncer l'ostracisme dont auraient été victimes les femmes, retourner l'injure et la transformer en menace féminine (la sorcière est dangereuse).
     Ce retournement oblige alors à remonter vers des couches bien plus profondes, car la "sorcière" a été une fabrication historique. Une fabrication complexe puisque se sont mêlés divers apports aux tournants des XVe et XVIe siècles, c'est-à-dire durant ce qui a été appelé Renaissance. Des peurs multiples concrètement fondées (épidémies, guerres, disettes, famines) ; une idéologie religieuse dominante, le christianisme, qui s'est mise à développer une interprétation apocalyptique et, ce qui existait depuis longtemps sans avoir jamais vraiment occupé le premier plan, une farouche misogynie. Ce faisant, les clercs mais aussi certains laïcs, ont puisé dans la littérature latine, celle que l'on lisait déjà depuis longtemps, et celle que découvraient alors les savants. Comme les auteurs latins avaient eux-mêmes puisé dans la littérature grecque laquelle, vraisemblablement, était imprégnée d'images et de croyances égyptiennes (voir Hérodote), la couche de fantasmes s'épaississait considérablement. Si bien que la figure de la sorcière, telle que projetée, n'avait que bien peu à voir avec une réalité concrète, celle de la magie, celle d'hommes et de femmes accusés de tous les maux auxquels une société, largement démunie scientifiquement parlant, ne trouvait pas de remèdes, maladies et épidémies de tous ordres, mauvaises récoltes, disettes, famines, mortalité infantile. Et ont commencé les procès. De tous ces procès quelque chose est resté dans l'imaginaire, car la plupart des accusées, sinon des accusés, étaient des femmes âgées. Et l'image de la "vieille sorcière" a migré de la réalité à la fiction pour habiter les contes populaires et ainsi se transmettre avec l'attirail inconographique qui lui a été associé, lequel s'est, en fait, construit au fil des siècles puisque les peintures ou gravures du temps se contentent le plus souvent de les proposer vieilles ou jeunes et nues, sans cape ni chapeau pointu2. Toutefois, le balai de genêt est souvent présent dans ces représentations, quoiqu'il partage son rôle de monture pour l'envolée vers le sabbat avec toutes sortes d'animaux ; élément folklorique, sans doute, que certains rattachent aux druides et dont l'utilisation rituelle est encore attestée au début du XXe siècle, en Bretagne, la veille de la fête des morts, pour balayer les seuils des maisons et chasser les esprits (cf. Pierre Jakez Helias, Cheval d'orgueil, 1975 ) ; il en est de même pour le chaudron, le feu, des oiseaux comme le corbeau ou la chouette, des animaux comme le crapaud et le chat, sans oublier les serpents.
     Par ailleurs, le retournement consistant à voir dans la sorcière une représentation positive de la féminité, assumée par des femmes, alors qu'elle a été, à toutes ses étapes, construite par un imaginaire masculin, n'a pu se produire que parce qu'il a été précédé, dans les années 1970 du XXe siècle, de l'utilisation de cette figure comme métaphore de la liberté des femmes.
     Se proclamer sorcière, c'était alors revendiquer, pour les femmes luttant en vue de conquérir la liberté de disposer de leur propre corps, une insoumission fondamentale et fondatrice, voire une guerre, contre les sociétés phallocratiques (le terme est de Françoise d'Eaubonne). Les féministes italiennes le clamaient dans la rue comme tel : « Tremate, tremate, le streghe son tornate » (« Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues»…)
     Les hommes, devant les femmes qui n'acceptaient pas les règles explicites ou implicites qu'ils leur imposaient, les traitaient volontiers de "sorcières" et n'étaient guère loin de considérer, à l'instar de leurs ancêtres de la Renaissance, que toutes les femmes étaient potentiellement des sorcières. Mais eux-mêmes renouaient aussi avec d'autres couches de l'imaginaire, celles qui avaient hanté la seconde moitié du XIXe siècle. Une femme revendiquant sa liberté sexuelle, le droit de choisir d'avoir ou non des enfants, était nécessairement dangereuse, et qu'est-ce qu'une femme dangereuse sinon une sorcière? La sorcière, en effet, connote la répulsion masculine (la sorcière est vieille et laide) mais la peur aussi, car elle est dans le même temps, la séductrice dangereuse, sorte de mante religieuse qui va dévorer l'homme assez faible pour ne pas lui résister, et il ne résiste jamais dans les fantasmes, car elle détient des savoirs et des pouvoirs qui échappent au monde masculin. La poésie, la peinture, les romans des symbolistes puisent dans les images venues à la fois de l'antiquité, Circé, Médée, Lamia, de la Bible, Salomé, Dalila, Hérodiade,  et du Moyen-Age, Morgane, Mélusine, Viviane. La "sorcière" incarne alors la puissance, l'indépendance des femmes (pour les femmes), mais aussi la peur masculine de les voir se grouper donc résister à "leurs maîtres et seigneurs", car il est bien connu que gouverner c'est diviser. La sorcière est toujours légion aux yeux des hommes (cette idée-là se répand au XVe siècle et ne cessera jamais d'être efficiente,  puisque, vouée aux démons, la sorcière ne peut être que "légion", comme eux).
     Cette première réappropriation du stigmate transformé en motif d'orgueil s'était faite sous le signe de Michelet dont La Sorcière publiée en 1862 avec le succès que connaissaient toutes les oeuvres de l'auteur, en particulier ses monographies, avait renversé, pour lui-même d'abord comme il le note dans son Journal, l'image de la sorcière. Ce n'était plus une vieille femme noyée dans des supersitions absurdes, mais une femme, c'est-à-dire la victime toute trouvée d'un monde brutal et prisonnier, lui, de superstitions et de croyances erronées ; c'était aussi une manière de figure de la révolte puisque tentant de réagir contre l'oppression et le malheur, en réhabilitant le corps qu'elle s'évertuait à soigner. Dans la sorcière de Michelet, on trouvait trace de la fée. Comme chez les féministes du XXe siècle, car qu'est la fée sinon l'autre de la sorcière ? Dotée des mêmes pouvoirs de guérisseuse, vouée à la protection des enfants et des faibles, solidaire des femmes maltraitées, la fée est la projection lumineuse de la sorcière, par sa jeunesse, par sa beauté, par ses liens avec la nature, comme elle susceptible de métamorphoses, comme elle proche des arbres, des eaux et des animaux. Sans oublier que des fées aux sorcières, des sorcières à la lune et à l'imaginaire qui rattache les femmes au satellite de la terre le lien est encore plus ancien.
C'est tout cela mélangé qui fabrique la figure imaginaire de la sorcière.
     Alors il n'est pas mauvais de revenir en arrière pour mieux comprendre, dans cette manière d'imaginer-représenter le féminin, ce qui s'est joué, et sans doute se joue encore car il n'est pas si sûr qu'en se revendiquant "sorcières" les femmes du XXIe siècle n'obéissent pas encore à des fantasmes qui ne sont pas les leurs.

Les héritages grecs : Circé et Médée, le double visage de la féminité

     Il est probable que si, dans les premiers textes de notre culture gréco-latine, des femmes occupent une place particulière dans un monde où les frontières entre naturel et surnaturel sont floues et perméables, c'est que se perpétuent des héritages mal connus, voire oubliés, du moins en apparence, mais continuant à agir souterrainement puisqu'il s'agit de cultures essentiellement orales donc portées à la répétition, comme le montre Delumeau, s'appuyant plus sur la tradition que sur l'innovation, ce qui n'empêche pas la seconde mais en ralentit les progrès.
     Au commencement, il y a Circé dont Homère fait une des étapes du périple d'Ulysse dans l'Odyssée (document 1). C'est une déesse, fille d'Helios (le soleil) et d'une océanide, Perseis (elle-même fille d'Okéanos, l'océan primordial, et de Téthys, elle aussi, comme son frère et époux, fille de Gaia et Ouranos, la terre et le ciel), autant dire qu'elle est issue du monde de l'origine, un monde bien plus ancien que celui des dieux de l'Olympe, puisqu'avant Gaia et Ouranos il n'y a que le chaos (Hésiode, Théogonie) ; c'est de cette origine qu'elle tire ses pouvoirs ; les puissances de la métamorphose semblent bien être, dans l'imaginaire grec, l'apanage des êtres de l'origine, dans un univers en quelque sorte non encore fixé, Protée par exemple ou Téthys3 en sont les parangons.
     Apollonios de Rhodes  (IIIe s. av. J.-C.) le rappelle encore qui raconte, au chant IV des Argonautiques, Circé allant se purifier dans la mer après une nuit de cauchemar : " [...] elle s'était levée dès l'aurore et était sortie de son palais pour baigner dans l'onde amère ses cheveux et ses vêtements. Mille monstres différents marchaient sur ses pas comme un troupeau qui suit son pasteur. Leurs corps, bizarre assemblage de l'homme et de la bête, ressemblaient à ceux qui sortirent autrefois du limon de la terre lorsqu'elle n'avait pas encore été comprimée par l'air ni desséchée par les rayons du soleil, et que les espèces, distinguées depuis par le temps, étaient encore confondues."4
      Mais si Circé est inquiétante dans son pouvoir de transformer les hommes en animaux (ce qui, dès Homère, est perçu comme négatif puisque Ulysse exige qu'ils soient rendus à leur forme originelle), elle peut aussi être bénéfique et protectrice. Elle fournit à Ulysse et son équipage une année de paix et de repos dans son île ; elle indique au héros de l'Odyssée le moyen de rejoindre l'entrée du royaume des morts et de les invoquer afin d'interroger Tiresias dont l'ombre a conservé ses talents de devin ; elle le mettra en garde contre les sirènes, contre Charybde et Scylla, et ne cherche pas à les retenir contre leur gré. Le personnage et ses compagnons animaux ont, par la suite, été largement glosés, dès l'antiquité.5
Elle ne devient maléfique que sous la plume d'écrivains bien plus tardifs, au Ier siècle av. J.-C., Diodore de Sicile, par exemple, ou Ovide, son contemporain qui, dans les Métamorphoses, en fait une créature sauvage, luxurieuse, vindicative et d'une cruauté terrible. Ne se venge-t-elle pas de la jeune fille qui lui est préférée, Scylla, en transformant ses jambes en gueules de chiens qui la dévorent indéfiniment toute vive ?
     Plus tard encore, l'Europe chrétienne la fera sorcière. Par exemple, Jean Bodin : "Et ce que dit Homère de la sorcière Circé, qui changea les compagnons d'Ulysse en pourceaux, n'est pas fable car même S. Augustin aux livres de la Cité de Dieu récite la même histoire encore que cela lui semble étrange, et allègue aussi l'histoire des Arcades : et dit qu'il était tout commun de son temps, aux Alpes qu'il y avait des femmes sorcières lesquelles en faisant manger certain fromage aux passants changeaient en bêtes pour porter les fardeaux puis après les rechangeaient en homme."6
Jean Bodin paraphrase ici Augustin tel que le rapporte Baroja : "Quand nous étions en Italie, nous entendîmes parler de certaines femmes de mauvaise vie, adonnées à ces arts néfastes, qui faisaient manger aux voyageurs qu'elles aimaient certains fromages et les transformaient ensuite en bêtes de somme." (Les Sorcières et leur monde, p. 63)
     Circé, comme toute déesse, est belle, comme en témoigne sa chevelure  ("aux belles boucles"), et jeune, bien que rien ne le précise dans le texte d'Homère sinon le désir d'Ulysse qui accepte de partager sa couche, et elle est immortelle, cela va de soi. Isolée dans son île, entourée de nymphes, elle tisse, prépare des potions (Homère la qualifie de "polypharmacos") et chante. Circé est peut-être le lointain héritage de déesses-mères, vénérées du temps de la préhistoire comme le défend Judith Yarnall dans Transformations of Circe (Chicago, 1994). Ses savoirs et ses savoir-faire sont des manifestations d'une puissance proprement divine, sans être un enjeu de pouvoir. Et Homère ne dit rien des autres animaux dont il note cependant la présence (les loups et les lions) ; peut-être ne sont-ils que des animaux apprivoisés ? ce qui tendrait à souligner les liens de la déesse avec les temps de l'origine, avec la nature sauvage. Les animaux évoqués par Homère ne seront interprétés comme des hommes transformés que par les glosateurs postérieurs.
D'une certaine manière, Circé représente une puissance féminine lumineuse, même si elle ne laisse pas d'être inquiétante, que le masculin (les dieux avec Hermès, les hommes avec Ulysse) s'efforce de mettre à son service : intervention magique d'Hermès, intervention violente d'Ulysse qui menace de son épée et nul besoin de Freud pour percevoir la signification symbolique de cette épée dégainée.
     Circé est donc une immortelle, vivant sur une île, dans un milieu spécifiquement féminin, entourée d'animaux sauvages apprivoisés (qui sont peut-être des hommes), maîtrisant les éléments naturels (elle commande aux vents pour aider Ulysse à quitter l'île), connaissant les voies menant au monde des morts, et se livrant à des activités typiquement féminines, tissant ou cuisinant des potions à base de plantes.
     La seconde magicienne que lègue la Grèce est Médée dont Hésiode (quasi contemporain d'Homère)  rapporte la généalogie. Il en fait la fille d'Aiétès, roi de Colchide, fils d'Hélios, le frère donc de Circé, dont l'épouse, une océanide aussi : "lui mit au monde, Médée Subtils-desseins aux belles chevilles".7 ce qui en fait la nièce de Circé ; le poète définit donc Médée à la fois  par son intelligence et par sa beauté, "fines chevilles". Quelques siècles plus tard, Diodore de Sicile (Ie siècle av. J.-C.) lui donnera pour filiation Aiétès et Hécate (un des visages de la Lune), elle-même fille du frère d'Aietès, ce qui redouble la filiation divine et sombre de Médée ; Diodore en fait, par ailleurs, la soeur de Circé, répartissant les rôles de la bonne magicienne, Médée, et de la mauvaise, Circé. En effet, dans le mythe des Argonautes tel qu'il le rapporte, Diodore de Sicile trace de Médée un portrait plutôt positif : hospitalière à l'encontre de son père (et de sa soeur Circé, la mauvaise), sa science n'était tournée que vers le bien, ce n'est que plus tard, d'abord pour aider Jason et les Grecs, ensuite pour se venger de l'abandon de Jason qu'elle devient meurtrière et surtout, ce que la postérité gardera le plus volontiers, infanticide, puisqu'elle tue ses deux enfants, deux garçons cela va sans dire, pour se venger de leur père. C'est Euripide dans sa tragédie, Médée (Ve siècle av. J.-C.) qui, semble-t-il, invente ce crime qui n'apparaît pas avant lui. Toujours est-il qu'il va lui rester attaché. 
     Circé tranformait les hommes en animaux, et si cette transformation a tant frappé c'est parce qu'il s'agissait de porcs, devenus au Moyen Age, des symboles de la goinfrerie, plus tard de la luxure ; Médée avait été capable de tuer sa propre progéniture (sans compter qu'elle avait commencé par trahir son père et tuer son frère), et d'elle la postérité ne veut guère retenir autre chose. Aux sorcières, plus tard, seront imputés des actes semblables et l'ascendance divine des deux personnages sera alors oubliée.
     Circé et Médée ont en commun leur beauté, leur connaissance de la nature ; l'une et l'autre savent les pouvoirs des végétaux mais aussi des minéraux; l'une et l'autre peuvent "transformer", opérer des métamophoses, les compagnons d'Ulysse après leurs métamorphoses sont plus jeunes et plus beaux, et Médée est capable de rajeunir le père de Jason. Leur origine divine en fait des êtres de frontière, lumière et ombre, vie et mort, ciel et terre, air et eau, divinité et humanité, des médiatrices mais aucunement des créatures vouées au mal. Assez curieusement, les voies de Circé et de Médée s'écartent, car le caractère divin de Médée s'efface très vite, semble-t-il, alors que Circé, lorsque la fin du XVIe siècle en réactive la figure, reste du domaine du merveilleux, maîtresse des métamorphoses, personnage théâtral ou romanesque, elle ne cesse pas d'être magicienne8.
     Circé et Médée apparaissent, dans leurs évolutions,  comme les archétypes des deux visages de la sorcière qui s'incarnent périodiquement, celui de la séductrice et celui de la mauvaise mère. La première conservant sa beauté qui met en danger les hommes, au sens de mâles et dans L'Odyssée, c'est bien l'une des inquiétudes d'Ulysse face à Circé "afin de m'enlever, étant nu, ma virilité" (document 1), comme quoi "l'envie de pénis" prêtée aux femmes par Freud et les psychanalystes ne date pas d'hier et s'enracine bien davantage dans une peur masculine que dans une "envie" féminine ; la seconde, le plus souvent sous les traits de la vieille femme dangereuse pour les enfants, telle que les contes en propagent les méfaits, comme dans La Belle au bois dormant où elle est la belle-mère ogresse, ou dans Hansel et Gretel, la sorcière mangeuse de petits enfants, qu'elle attire par les tentations gourmandes des sucreries.
Bruno Bettelheim9 a montré comment la dualité apparaissant dans les contes, la belle femme cachant en elle la vieille, laide et acariâtre (cf. le conte de Blanche Neige), entre spontanément dans l'imaginaire enfantin pour garantir sa sécurité psychique. La "vraie" mère (toujours bonne) est remplacée parfois par la "sorcière" (toujours mauvaise). Le monde est donc stable, même s'il est parfois dangereux. Mais la "mauvaise mère" est aussi dangereuse pour les jeunes filles qui menacent, par leur seule existence, sa puissance séductrice, comme la jeune épouse de Jason en fait les frais, brûlée par la tunique offerte par celle qu'elle a remplacée dans la vie du héros. Elle va aussi s'incarner dans le personnage de la "belle-mère", le plus souvent la mère de l'épouse (l'association des femmes suscitant la peur masculine), mais aussi celle de l'époux comme dans La Belle au bois dormant, ou plus tard dans François le Champi (George Sand, 1848/50) pour ne prendre que deux exemples.

Les héritages latins

     Les poètes latins à partir du Ier siècle av. J.-C. vont noircir à plaisir ces figures, que ce soit sur le mode ludique comme Properce  (document 2) ou Ovide (document 3), ou sur un mode beaucoup plus inquiétant comme Horace ou Lucain (document 4). Les personnages de Properce, Antharis, et d'Ovide, Dipsas, sont certes accusées des méfaits que l'époque attribue, après les Grecs, aux magiciennes : changer le cours des fleuves, se transformer en animaux, fabriquer des potions / poisons, modifier le climat, commander à la lune, toutes activités que la tradition prête à ce collectif que sont les sorcières thessaliennes, lesquelles avaient déjà cette réputation chez les Grecs, où elles sont citées par Platon (Gorgias), et Aristophane  qui semble bien s'en moquer. Dans Les Nuées, Strepsiade désireux de ne pas payer ses dettes, à défaut de bénéficier de l'enseignement de Socrate, se propose d'acheter une "femme thessalienne" qui ferait descendre la lune qu'il enfermerait ; conséquence : faute de comput, les échéances n'arriveraient pas.
C'est une réputation que la littérature leur conservera longtemps, à preuve : elle est encore consignée dans L'Encyclopédie (Diderot & d'Alembert) où le chevalier de Jaucourt conclut son article  "Sorcière" par ces mots "SORCIERES de Thessalie, (Mytholog.) la fable leur donnait le pouvoir d'attirer par des enchantements la lune sur la terre. Elles empruntaient leurs charmes des plantes venimeuses que leur pays fournissait en abondance, depuis que Cerbère passant par la Thessalie lorsqu'Hercule l'emmenait enchaîné au roi de Mycènes, avait vomi son venin sur toutes les herbes10. Cette fable était fondée sur les plantes vénéneuses ou sur la beauté des femmes de Thessalie." Jaucourt note l'ambivalence de la faiseuse de poisons à la séductrice (le mot "charme" permettant le double jeu) : les Thessaliennes sont vues comme sorcières soit en raison de leur connaissance des plantes (vénéneuses), soit en raison de leur beauté. Le double visage de la sorcière est devenu une évidence au XVIIIe siècle.
     Mais les personnages de mauvaise réputation chez Properce ou Ovide  sont bien davantage issus de la tradition théâtrale et, en vérité, il s'agit plutôt de proxénètes, vieilles femmes qui ont, dans leur jeunesse, été courtisanes, celle d'Ovide (Amours, I, 8) se vantant que ses conseils sont "fruits d'une longue expérience", et qui, maintenant, s'emploient à "dépraver" les jeunes, c'est-à-dire à les convaincre que les hommes se servent d'elles, que leur beauté est éphémère, qu'il leur faut se soucier de l'avenir en se mettant financièrement à l'abri. Leurs caractéristiques sont semblables, vieilles, laides, rouées, éloquentes dit Ovide. Mais les poètes qui voient ainsi leur échapper les jeunes femmes qu'ils courtisent, créditent ces vieilles tentatrices de toutes les caractéristiques des magiciennes, car il n'est pas croyable, n'est-ce-pas ?,  que Corinne (Ovide) ou Cynthia (Properce) se détachent si aisément de leurs amoureux poètes sans une intervention surnaturelle... La sorcière devient, en somme, un alibi aux échecs de séduction du masculin.
     La confusion vieille maquerelle/sorcière est destinée, elle aussi, à se propager et perdurer. D'autant sans doute qu'à la même époque, elle est doublée par le personnage de la sorcière faiseuses de maléfices. Horace en imaginant sa Canidia, à laquelle il confère des traits qui ne sont pas près de disparaître, vieille, laide, luxurieuse, criminelle à l'occasion, prouve sans doute ce que Pline (document 5) tente de déraciner dans son Histoire naturelle, la crédulité de ses contemporains face à ces artifices leur promettant des solutions commodes, du moins en apparence, devant les maux ou les souffrances, physiques ou psychologiques, qui les accablent.
Canidia, qui apparaît dans plusieurs poèmes d'Horace, est bien une créature maléfique, définie par le terme "veneficam" (Epode V) lequel renvoie aussi aux poisons, qui pratique des sacrifices humains, et qui semble spécialisée dans les charmes amoureux. Dans cette Epode, elle sacrifie un enfant (mâle naturellement), en le laissant mourir de faim et de soif,  pour "de sa moelle desséchée et de son foie avide" (traduction Leconte de Lisle) fabriquer une potion d'amour destinée à son amant infidèle. Horace fait volontiers dans l'horreur, et à l'encontre de Properce et d'Ovide aucun humour n'en tempère l'évocation. Tout se passe comme si le poète croyait vraiment à ce qu'il décrit, comme il le fait dans les Epodes 17 et 18 où il implore la mansuétude de la magicienne en s'avouant envoûté, laquelle ne renonce en rien à sa vengeance, qui était déjà évoquée dans la deuxième épode, la raison en étant qu'il se moque d'elle, et plus grave, dénonce ses artifices. Il est vrai toutefois que l'une de ses satires (I, 8) est plus ambiguë.  La statue de Priape raconte les activités de deux magiciennes, Canidia et Sagane, dans le jardin qu'il protège et qui était auparavant un cimetière, et comment, sous le coup de la peur, il pète, ce qui les met en fuite, dans le ridicule puisque non seulement elles craignent un bruit aussi burlesque, mais que l'une perd son dentier et la seconde ses cheveux postiches.  La sorcellerie s'achève en farce. La différence de traitement tient sans doute au genre, l'épode est lyrique, la satire vise à stigmatiser par le ridicule, mais on peut y lire aussi une victoire symbolique du masculin sur le féminin, ce qui terrifiait dans l'épode V devient ici objet de dérision ; la statue de bois exhibant son phallus (toujours disproportionné dans les représentations de Priape) et, pétant, vient à bout des femmes vieilles, laides, se livrant à des manoeuvres horrifiantes, dans le but de s'approprier une virilité. Le rapport de force reste, même dans la farce, en faveur de la masculinité. Là encore, rien de perdu pour les temps à venir. Les sorcières seront toujours, un millénaire plus tard, accusées de s'en prendre aux capacités de reproduction, à la fois des femmes et des terres, mais surtout des hommes et le "nouement des aiguillettes" est un grief récurrent dont on retrouve la trace, à la fois dans les accusations donnant lieu à procès, et dans l'illustration et la peinture.11
C'est une vieille antienne puisque qu'Ulysse s'en inquiétait déjà devant Circé.
Lucain (Marcus Annaeus Lucanus, Ier s. ap. J.-C.), quant à lui, renchérit sur l'horreur dans le livre VI de La Pharsale (dont le titre originel est Bellum Civile, — la guerre civile), où il imagine le fils de Pompée, Sextus, allant consulter une magicienne, Erichto, avant la bataille pour en connaître l'issue.
Le poète, avant d'en venir à sa magicienne, présente de manière très négative Sextus, le fils indigne de Pompée, qui au lieu de s'adresser aux dieux dans les lieux prévus pour les interroger (Delphes, Delos, Dodone) se tourne vers la magie parce que "L'Art des femmes de cette contrée passe toute croyance. C'est l'assemblage de tout ce qu'on peut imaginer et feindre de plus monstrueux. La Thessalie leur fournit des plantes vénéneuses en abondance et ses rochers comprennent le mystère infernal de leurs enchantements. Partout on y rencontre de quoi faire violence aux dieux. Il y croît des herbes que Médée chercha vainement dans la Colchide." (traduction de Marmontel, revue et corrigée par M.-H. Durand, 1865)
Erichto ne sort que "lorsque la nuit est la plus noire et le ciel le plus orageux" et pour agir, il lui faut redoubler "les ténèbres de la nuit".  Le personnage est très proche de la Canidia d'Horace et en rajoute dans l'horreur (document 4), vieille, décharnée, se terrant dans les cimetières. Elle invoque toutes les forces des Enfers, toutes les puissances des ténèbres (depuis Proserpine, épouse de Pluton, jusqu'aux Parques, en passant par le Styx et le Chaos), pour ressuciter un malheureux mort destiné à prédire l'avenir. La nécromancie (nigromancie) va rester pour longtemps la caractéristique la plus importante de ceux qui, en français, seront appelés sorciers.
Plus intéressant encore quant à l'avenir de la figure, Erichto en appelle à un dieu innommé, source semble-t-il, de tout mal, et capable de contraindre tous les autres dieux à obéir à la magicienne, ou Tartare lui-même ou habitant le Tartare, c'est-à-dire les profondeurs les plus profondes des Enfers. De là à y lire le Diable, plus tard, il n'y aura qu'un pas. Et peut-être ce précédent explique-t-il en partie que le diable, aux XIVe-XVe siècles, devienne un personnage dont la puissance ne semble plus vraiment pouvoir être contenue, même par Dieu lui-même.

     Comme on le voit, des sociétés dans lesquelles la magie occupait une place importante, les écrivains grecs et latins n'ont conservé et transmis que certaines caractéristiques. Il y a bien des devins dans la littérature grecque, Tirésias ou Calchas, par exemple, mais leur image ne s'est guère répandue à l'encontre des évocations féminines. Aucun des traits de ces dernières n'a été perdu. Du temps des magiciennes déesses se conservent des puissances proprement divines : bouleverser le cours de la nature (faire remonter les fleuves, contrôler la lune, changer les hommes ou se changer soi-même en animal, contrôler le climat) dans l'oubli même de ce caractère divin ; mais aussi le caractère séducteur, la beauté de la magicienne qui en fait une image du féminin (femelle) opposé au masculin (mâle), exerçant une attraction sexuelle inévitable et irrésistible. D'où l'image si prégnante de Circé et des "pourceaux".
     De l'univers latin, se garde l'image négative de la vieille femme dangereuse, pour les hommes, et les siècles postérieurs auront tendance à ne plus voir une once d'humour dans ce personnage qui jouait son rôle dans la comédie amoureuse où l'homme était toujours la victime des manigances féminines cherchant à tirer profit, et d'abord au sens monnétaire, de l'attraction exercée sur lui. Etant entendu, par ailleurs, que la vieillarde est toujours lubrique, comme la jeune femme est toujours lascive. Ainsi, jeune ou vieille, la magicienne est toujours inscrite dans une vision du féminin comme sexuel.
     La femme est dores et déjà toujours responsable de l'attraction sexuelle éprouvée par l'homme. Une conception des rapports entre les sexes qui perdure. Pendant longtemps, les femmes n'ont pas été un autre sexe, elles ont été "LE sexe", le déterminant défini assurant son unicité, comme si le masculin en devenait un neutre. La femme n'existait qu'à travers son sexe lequel avait comme particularité de faire apparaître la sexualité masculine, une sorte d'interrupteur, en somme. Elle est là, la sexualité masculine apparaît ; elle n'est pas là, l'homme cesse d'être une créature sexuée. 
Ainsi, malgré les différences, à l'origine, entre les deux mondes, celui du divin (les pouvoirs de la magicienne lui sont consubstantiels) et celui de l'humain (les pouvoirs sont issus d'un savoir acquis par apprentissage), lorsque ces imaginaires vont en rencontrer d'autres venus d'autres cultures, le premier domaine où les magiciennes agissent et semblent souveraines est celui de la passion amoureuse.
     La magie, c'est d'abord la magie amoureuse. Ce que confirment deux textes, entre autres, celui de Théocrite (IIIe siècle av. J.-C.) qui dans la 2e de ses Idylles fait se lamenter une jeune femme abandonnée qui accomplit un sortilège pour retrouver son amant, (document 6) et celui de Virgile (Ier s. av. J.-C.) qui dans la 8e Bucolique en reprend la thématique (document 7). Mais là où le texte de Théocrite éveillait l'émotion du lecteur devant le chagrin et la complexité des sentiments de la jeune femme se livrant à une activité magique, sans en fournir l'épilogue (ses sortilèges se contentant d'incantations, d'implorations aux déesses lunaires, et de plantes pour la préparation d'une potion dont enduire le seuil de la maison de l'infidèle. Il est vrai que la jeune femme promet in-fine que si le résultat n'est pas conforme à ses attentes, elle tuera l'infidèle "par les Moires, il frappera à la porte de l’Hadès, grâce à ces poisons terribles que je garde dans une corbeille et que je tiens d’un hôte assyrien." — traduction Leconte de Lisle), Virgile, lui, en admet tout net l'efficacité. Si la magie est, en règle générale, dans la littérature latine, oeuvre de femmes, elle peut se mettre au service des hommes, tous n'étant pas aussi sceptiques qu'Ovide, qui n'y croit guère. Tibulle, ami d'Ovide, met en scène, par exemple, dans une de ses Elégies, un amoureux qui a recours à la sorcellerie dans le but de créer une illusion empéchant l'amant officiel de son aimée, Délie, de découvrir leurs amours (document 8). Sa magicienne a les mêmes pouvoirs que toutes celles de ses contemporains, ceux des sorcières thessaliennes, qui garantissent son efficacité dans le domaine amoureux.
Se répète ainsi au cours des siècles un amalgame entre femme et magie et cet amalgame s'opère via la sexualité.
Association qui n'est pas prêt de s'éteindre, puisqu'encore dans les années 1950, Colette s'émerveillait du comportement de ses collègues de l'Académie Goncourt en disant "Ils ont tous l'air de se souvenir que j'ai été une femme.", autrement dit, par leurs comportements, ils lui restituaient une séduction dont devenue vieille et impotente (elle avait alors 77 ans) elle jugeait avoir été dépouillée, elle avait donc cessé d'être "femme". "Etre femme" pour les Anciens comme pour les Modernes, c'est bel et bien éveiller le désir sexuel masculin.

     Ainsi se transmet une configuration qui agrège femme et magie en lui imprimant une marque négative. A toutes ces époques, et quel que soit le personnage envisagé par les poètes, jeune séductrice ou vieille criminelle, comme le fait remarquer Baroja, dans Les Sorcières et leur monde, 1961, leurs activités concernent la sexualité en général, la reproduction en particulier, et se déroulent toujours la nuit, "propice au secret" en raison du silence, de l'obscurité et de la solitude, et sont associées à la lune comme le fait dire Ovide à Médée (Métamorphoses, livre VII) quand, désireuse de rajeunir le père de Jason, elle commence ainsi son invocation, lors de la pleine lune "Nuit, fidèle gardienne des mystères, et vous, étoiles d'or / Qui, avec la lune, succédez aux rayonnements diurnes", (vers 192-93, traduction  Danièle Robert), ou encore Théocrite à sa jeune magicienne ; pas de magie sans invocation de la lune, et plus largement, pas de réprésentation du féminin, sans mythologies nocturnes et lunaires.

La lune, le temps, les femmes

     Au début du IXe siècle, Reginon de Prüm, dans une série d'instructions destinées aux évêques les invite à écarter de leurs paroisses "l'art pernicieux de la divination et de la magie", mais les invite aussi à traiter par le conseil et la prière les malheureuses, qui n'en sont pas moins endiablées (quaedam sceleratae mulieres), s'imaginant voler la nuit à la suite de Diane, "déesse païenne" (paganorum dea) et d'Hérodiade. En reprenant ce texte, Burchard de Worms, quelques deux siècles plus tard, y ajoutera Holda (dame Holle), personnage des légendes germaniques. Ces femmes parcourent (ou croient parcourir selon Reginon de Prüm) de grandes distances en compagnie d'une multitude de femmes chevauchant des animaux quand certaines nuits elles sont appelées au service de leur maîtresse.
La référence à Diane, déesse païenne associée à la lune par la latinité, semblerait prouver que les cultes lunaires n'avaient pas vraiment encore disparu en cette fin du haut Moyen Age, que ces activités devaient se dérouler durant les pleines lunes  ("certaines nuits"), qu'elles étaient essentiellement féminines.
Ce texte, nommé le plus souvent Canon Episcopi (Badoja, Ginzburg), reprend donc une association extrêmement ancienne entre femmes, magie et lune. Les trois "divinités" invoquées (le chiffre trois est constant lorsqu'il est question de la lune) sont des mythes féminins à la fois bénéfiques et dangereux. Diane qui a subsumé les trois déesses grecques de la lune ; Hérodiade, la dangereuse épouse d'Hérode qui obtient, grâce à la danse de sa fille que la tradition appelle Salomé, la tête de Jean-Baptiste (cf. Evangiles de Marc et Mathieu) ; une légende répandue au moyen âge voulait que pour cela elle ait été condamnée à errer chaque nuit dans les bois sans pouvoir prendre de repos, depuis minuit jusqu'au chant du coq12. Holda (Dame Holle, dans le conte qui lui est consacré, et qui n'est pas sans rappeler le conte de Perrault intitulé "Les fées") est définie par Grimm comme une antique divinité germanique associée à l'hiver et aux activités féminines (filage, accouchements, soins de la maison et des animaux domestiques). Diane comme Holda peuvent être perçues comme bénéfiques pour les femmes étant, en particulier, des divinités protectrices des accouchements, tout comme Diane et Hérodiade peuvent apparaître dangereuses pour les hommes, leur beauté provoquant la mort.

     La lune, "astre satellite de la terre", à la différence du soleil, obéit à un rythme, elle croît, devient pleine, puis décroît et disparaît. Elle change de forme. Elle n'est pas toujours visible. Ces transformations progressives ont un rythme fixe : 28 jours. La lune a donc servi de comput, "La Lune est l'instrument de mesure universel" dit Eliade (Traité d'histoire des religions, 1949) et c'est bien ainsi que la parabase du choeur dans Les Nuées d'Aristophane (510-626) le dit, en saluant Séléné, dans ses derniers vers, comme la divinité du temps par exellence : "c'est d'après Séléné qu'il faut régler les jours de sa vie."
Mircea Eliade ajoute ensuite "Le même symbolisme relie entre eux la lune, les Eaux, la Pluie, la fécondité des femmes, celle des animaux, la végétation, le destin de l'homme après la mort..." De fait, la simple observation de la lune permet de construire les idées de périodicité, de changement, de disparition-mort et de renouvellement.
     Près d'un millénaire après Aristophane, au début du XIVe siècle, dans un petit village des Pyrénées, Montaillou, les mariages se décident encore en fonction de la lune, car il s'agit de savoir "la meilleure façon d'insérer le cycle de la fécondité [....] dans le cycle lunaire ; puisqu'aussi bien l'astre des nuits influence de ses rythmes, si l'on en croit la sagesse des provinces, tout ce qui vit et se reproduit sur la terre." (Le Roy Ladurie). Les almanachs dont la publication persiste durant des siècles, en perpétuent les croyances, comme de semer en lune croissante, par exemple.
De même, la pleine lune est associée à toutes les "sorcelleries" possibles et imaginables, y compris les transformations en loup-garou ou autre bête peu amène, bien que la magie ait été sous la protection d'Hecate, autant dire la lune noire, son absence même. Peut-être faut-il voir là, dans ce glissement, une lecture symbolique, la lune affirmant la nuit, comme le soleil affirme le jour, sa présence devient indispensable pour "signer" le nocturne.
Robert Graves13, pour sa part, juge que la lune a été, de fait, la première divinité. Que son lien avec les femmes et avec la nature est de l'ordre de l'analogie: la durée du cycle lunaire (28 jours)  a été associée à la durée moyenne entre deux menstrues ; ces trois phases, lune croissante/décroissante, pleine lune, et lune noire, dans leur succession peuvent s'apparenter à la vie humaine qui croît, s'épanouit, décroît et disparaît, mais correspondent aussi au cycle naturel de la végétation. Printemps de la croissance, Eté/automne des fruits et des cueillettes, hiver d'une mort apparente, puis renaissance du printemps suivant. Et elle peut sans peine s'associer aux femmes qui sont fécondes pour un temps limité de leur vie. Elles peuvent ainsi représenter, dans leur corps même, la temporalité et ses aléas : petite fille impubère, femme pubère et donc éventuellement mère, ronde comme Séléné, vieille femme enfin, glissant irrémédiablement dans la décrépitude et la mort, du moins dans le regard porté sur elle. Les enfants mâles passent du stade infantile au stade adulte de manière visible, mais différencier un homme mûr d'un vieil homme reste d'autant plus difficile que les sociétés occidentales, et ce n'est pas d'hier, n'y prêtent guère attention ; par exemple,  dans l'antiquité grecque, nombre de généraux, comme Périclès, exerçaient leurs activités militaires jusqu'à leur mort, ce qui n'est guère différent au XXIe siècle où la majorité des dirigeants de la planète sont des hommes ayant dépassé la soixantaine.
Et Le Dictionnaire des symboles (Chevalier, Gheerbrand, Bouquins 1982) rappelle : "A travers la mythologie, le folklore, les contes populaires et la poésie, ce symbole concerne la divinité des femmes et la puissance fécondante de la vie, incarnées dans les divinités de la fécondité végétale et animale..."
Ce triple temps de la lune, de la vie humaine plus visible sur les corps féminins, se traduit, chez les Grecs, comme  le déploie la 2e Idyllle (document 6) de Théocrite , par son attribution à trois déesses : Séléné (Selena), la pleine lune, Hecate (Hekata), la lune absente, la lune noire, et Artémis, la lune en croissant. Ces trois visages d'une même divinité ont, à la fois, des caractéristiques particulières et de nombreux points communs. Séléné, la brillante, paraît l'héritière la plus directe de la lune unique de l'origine (Phoibé, la brillante, double de Phoibos, le soleil). Les récits lui prêtent de nombreux amants, dont le berger Endymion qui dort dans une grotte où se préservent ainsi sa jeunesse et sa beauté et auquel elle rend visite, la nuit. Elle protège les accouchements. Elle est donc fondamentalement une déesse de la fécondité.
A l'opposé mais avec les mêmes fonctions, Artémis, la déesse que la tradition fait vierge, mais que les Grecs disaient "parthenos", autrement dit femme non mariée, ce qui ne préjugeait en rien de la virginité. Déesse du vivant et de la végétation comme tous ses qualifiants le prouvent, exemples: "kedratis" (maîtresse des cèdres), Karyatis (maîtresse des noix) , "Potamia" (protectrice des eaux), elle est bénéfique mais peut aussi se révéler dangereuse, puisqu'assimilée à la nature sauvage. Elle aussi préside aux accouchements. Maîtresse de la vie sauvage, elle est représentée en chasseresse, l'arc à la main, et elle est supposée refuser tout commerce avec les hommes. Le récit le plus célèbre de cette aversion concerne Actéon qui l'ayant vue se baigner nue en fut puni par sa transformation en cerf que ses chiens s'empressèrent de dévorer. Mais, à l'inverse, dans la légende de Thésée, lorsque la malédiction du père entraîne la mort d'Hippolyte qui lui rendait un culte, elle le ressucite et le transporte dans la vallée d'Aricie (en Italie) où il est "l'un des dieux mineurs" (Ovide, Métamorphoses, XV)
La figure d'Artémis est d'autant plus complexe que les spécialistes de mythologie y voient la superposition de traditions diverses : une Artémis crétoise, une Artémis asiatique, plus tard  des traits venus de la déesse égyptienne Bastet (cf. Hérodote), elle aussi protectrice des naissances.
Mais la plus complexe des trois reste Hécate, puisqu'elle a elle-même un triple visage, et que son nom sert aussi d'épithète  pour d'autres dieux. Hésiode, et c'est la seule dont il parle, en fait une déesse versatile, bonne ou cruelle au gré de sa fantaisie et de son humeur, elle peut se révéler propice ou néfaste. Elle appartient aussi au monde de l'origine, bien avant les Olympiens qu'elle aide à l'occasion. "Elle est nocturne, vierge, souveraine, comparée à une chienne ou à une louve, liée aux carrefours. Elle est archère, porte des torches, et enfin, elle est fondamentalement triple." écrit Aurore Petrilli14.
Elle est associée à Perséphone et Démeter et sert de conductrice pour Perséphone dans ses allers-retours entre les Enfers et la terre. Unissant le domaine des morts et celui des vivants, elle est au croisement des mondes, entre vivants et morts, souterrain et aérien (comme Hermès) ; par là, elle est aussi liée à la fécondité, ce qui est caché, souterrain venant, par elle, à la surface, ce que dit sa proximité avec Demeter ; en même temps que son alliance avec Perséphone (Proserpine chez les Romains) qui peut les faire confondre comme le fait Erichto, chez Lucain, en fait, au même titre qu'Hermès, une déesse psyschopompe, et comme telle associée à la magie. La magie, comme les textes d'Ovide ou de Lucain le disent à plaisir, est une oeuvre nocturne qui implique un échange avec le monde des morts.
Toutes ces figures de la lune vont se subsumer en Diane dans la culture romaine, avec une prééminence pour les caractéristiques d'Artémis et les mythes qui lui sont rattachés.
     Ce triple visage de la lune représentant les trois temps observables de sa durée avant sa disparition et son renouvellement figure donc un temps vivant et peut se rattacher à d'autres figures triples comme le sont, pour les Grecs, les Moïras ou les Parques, chez les Romains, divinités la destinée.
A l'origine, la déesse est unique, la Moïra "terme signifiant littéralement la «part», le «lot» ou la «portion» échus à chacun en fonction de sa nature et de son statut social. Il a pour synonyme «aïsa», qui exprime la même idée." (Christophe Paillard, Encyclopédie Agora) ; comme l'univers divisé en trois parts entre les Olympiens, Poséidon, Hadès et Zeus, la Moïra devient plurielle. Hésiode les fait filles de Nix, la nuit, apparaissant donc à l'origine du monde pour participer à sa mise en ordre. Elles ont pouvoir sur les dieux comme sur les hommes. "Avec les Moires apparaît au moment de l’accouchement la figure traditionnelle de la fileuse, puis de la tisserande, associée à la métaphore de la trame de la vie et des dessins variés qui la constituent"15. Elles reçoivent des noms qui les définissent en déterminant leurs fonctions :  Clotho, dont le nom vient du verbe Klothein, filer, est la fileuse par excellence, celle qui fait venir au monde. Elle sera plus tard représentée avec une quenouille. Lachésis, du verbe lakanein, tirer au sort, déroule la vie et les événements qui vont la composer. Enfin, Atropos du verbe trépein, retourner + préfixe a- privatif : qui est sans retour. Lorsque le sort l'a décidé, elle coupe le fil. Platon (La République, p. 381-82, GF, 1966) dans le récit qu'il prête à Er, revenu de l'au-delà, les dit "filles de la Nécessité" qui tourne le fuseau des sphères. Les "Moires, vêtues de blanc et la tête couronnée de bandelettes, Lachésis, Clôthô et Atropos, chantent [...] Lachésis le passé, Clôthô le présent, Atropos l'avenir." Pour Platon, dans ce récit, le tirage du sort se fait avant la naissance, et dépend du passé des âmes qui vont choisir la plaquette qui est le "sort" au sens strict, pourquoi Lachésis occupe la première position et Clôthô la seconde, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des représentations picturales qui les prendront pour sujet et, quoique déesses, la tendance sera plutôt de les représenter en vieilles femmes comme le fait Bernardo Strozzi (1581-1644), dans "Les Trois Parques", conservé au Musée de L'Ermitage.
Chez les Romains elles deviennent les Parques (Nona, Decima, Morta) avec les mêmes fonctions que les Moïras grecques.
Entre la lune au triple visage, et les figurations du destin, se mêlent intimement les idées de fémininité, de vie, naissance et mort. Mais se retrouvent aussi des caractéristiques qui sont celles de Circé (liens avec la vie sauvage, métamorphoses), celles de Médée comme celles des dangereuses magiciennes latines, liens avec les morts, avec les puissances des ténèbres, avec la sexualité et la reproduction.
Moïras ou Parques, lune sous ses multiples visages, le temps et le destin sont des figures féminines. Elles effraient les hommes, à juste titre puisqu'elles leur apparaissent comme les maîtresses de la vie et de la mort.
Les Moïras ou les Parques détenant, puisqu'elles le filent, la connaissance du destin de l'individu, il n'est pas étonnant qu'elles soient sollicitées lorsqu'il s'agit d'interroger l'avenir. Ainsi vont-elle entrer dans ce territoire flou qu'est celui de la sorcellerie, et ce sont elles que l'on retrouve, chez Shakespeare, dans les sorcières que Macbeth va interroger sur la lande. Mais cette triple figure de la lune, du destin et du féminin, donc de l'inquiétant, n'en finit pas de se perpétuer, parfois où elle semble inattendue, ainsi d'un dessin de Daumier (1852) représentant trois commères, comme le précise la longue légende l'accompagnant sans laquelle, compte-tenu de l'éclairage, de l'âge des personnages, le spectateur y verrait volontiers les sorcières traditionnelles.
Des Parques à Shakespeare et de Shakespeare à Daumier, le même fil se tend. L'inquiétant a figure d'une vieille femme qui susurre dans la nuit. Même palimpseste dans Le Ventre de Paris (Zola, 1873), et les dangereuses ennemies de Gavard sont, elles aussi, trois figurations de la sorcière, du temps, des âges de la vie : la jeune séductrice (la Sariette que le nom rattache aux plantes et herbes), la femme adulte (Madame Lecoeur que Gavard aurait pu épouser) et la vieille demoiselle Saget, trois personnages dont les commérages et la méchanceté finiront par le faire envoyer au bagne.

     Quoiqu'ayant tendus des fils qui vont de l'antiquité gréco-latine aux XIXe, nous n'en sommes pourtant pas encore aux sorcières. Il y a la sexualité, il y a la lune et il y a le temps, il y a le féminin et la magie, mais comment arrive-t-on à ce que nous dénotons et connotons dans le terme "sorcière" ? Entre l'antiquité et le XVe siècle, où elle apparaît vraiment constituée, il y a le Moyen Age, une période longue qui a longtemps passé pour le berceau des sorcières.
Soyons clairs, il ne l'a pas été. Peut-être apparaissaient-elles dans les contes populaires, mais nous n'en avons que des traces déjà extrêmement littéraires, et les romans ou poèmes, les lais en particulier, qui s'enracinent dans le merveilleux de ce qui est appelé la matière de Bretagne, c'est-à-dire un vieux fonds celtique déjà bien christianisé lorsque les écrivains s'en emparent, ont des personnages surnaturels, parfois appelés fées, mais pas toujours, et moins encore "sorcières". Elles peuvent parfois être mauvaises et entraîner les chevaliers dans des aventures dangereuses, voire mortelles, mais le terme "sorcière" ne leur est pas appliqué. Sans doute, pour la raison que, dès la latinité, la vieille magicienne mauvaise (Erichto et les autres) sont des femmes et non des divinités ou à tout le moins des êtres immortels, comme l'avait été Circé ou comme va l'être la fée.

Le roman de la fée

    Les deux mots, "fée" et "sorcière", apparaissent à peu près en même temps en français, au mitan du XIIe siècle.
Le mot "fée" (vers 1140), provient du provençal Fada, lui-même dérivé du latin Fata, "déesse des destinées", forme féminine de Fatum, "énonciation divine", "destin qui se rattache au verbe fari — parler16. C'est dire la parenté de la fée avec les Parques dont elle hérite une partie des attributions, non toutes puisqu'elle intervient à la naissance sans qu'il soit question d'elle, sauf rares exceptions, pour décider de la mort. Tout au plus peut-elle faire passer le mort vers l'autre monde qui, dans les mythologies celtes, d'où la plus grande partie de ses caractéristiques provient, est immanent au nôtre, comme le fait Morgane lorsque meurt Arthur, emportant sa dépouille en Avalon.
Quant au mot "sorcier", le terme, adjectif et substantif, provient de la forme latinisée sorcerius, employé au VIIIe siècle dans les Gloses de Reichenau, article 179.17 Il est issu d'un latin populaire sortarius "diseur de sorts" (féminin sortaria), lui-même issu du latin classique sors, sortis qui désignait la tablette déposée dans une urne pour tirage au sort et, par extension, le résultat de ce tirage, d'où le destin, la destinée, le lot. Au féminin, on rencontre ausi au XIIe s. "sorcelière"  et "sorceresse" au XIIIe. Il semble que ce soit l'auteur du Roman d'Eneas qui l'ait employé le premier, dans un sens tout à fait équivalent à celui des écrivains de l'antiquité puisqu'il donne au personnage ainsi dénommé les pouvoirs des magiciennes latines (document 9)
     Fée ou sorcière, il s'agit de créatures féminines, que l'étymologie rattache donc à l'idée de destinée. Si la sorcière n'apparaît jamais comme un être surnaturel, la fée, si, en raison de ses pouvoirs qui outrepassent ceux des mortels.
     Les romanciers comme les poètes (ce sont souvent les mêmes), au XIIe siècle, qui puisent dans l'ensemble de contes, légendes, chants d'origine celtique, introduisent dans leurs récits (les poèmes eux-mêmes sont narratifs) des personnages de magiciennes sans y attacher de condamnation. Ainsi, la mère d'Iseult qui, dans les diverses versions de Tristan a composé un philtre pour garantir la solidité de l'union de sa fille Iseult et du roi Marc, que les jeunes gens boivent par mégarde et qui les condamne à s'aimer malgré qu'ils en aient, n'en n'est pas pour autant condamnée. Pas davantage la servante de Fenice, Thessala, productrice d'illlusions grâce à ses herbes, dans Cligès (Chrétien de Troyes). Elles ne sont nommées ni fées, ni magiciennes, encore moins sorcières, quoique leurs savoirs se manifestent dans la composition de potions à base de plantes et qu'elles soient créditées de pouvoirs magiques.
Dans les lais, où elles n'ont le plus souvent pas de nom propre, elles ne sont pas davantage stigmatisées, bien au contraire.
     Elles sont toujours ineffablement belles, toujours jeunes (en principe) et disposent de richesses illimitées. Leur temps n'est pas celui des hommes et elles sont immortelles. Lorsqu'un héros entre dans cet autre monde, d'où elles proviennent et où elles retournent souvent, le temps cesse d'avoir prise sur lui, mais le revers de l'aventure, c'est que s'il revient vers son propre monde, il est, dans la plupart des cas, réduit en poussière après avoir subi un vieillissement accéléré.
Les fées échappent donc au temps et peuvent y faire échapper ceux qu'elles élisent. Cette caractéristique est à la fois la projection d'un rêve, celui d'échapper à la mortalité et, par là même, à la dégradation physique et à la vieillesse, et un attribut qui en fait des héritières des divinités lunaires gréco-latines. Le plus souvent, dans les récits, les fées se déplacent par trois, une "reine" et ses deux suivantes, comme la lune pour les Grecs présentait la triple figure d'Artémis, de Séléné et d'Hécate. Et il est bien connu que les fées dansent la nuit sous la lune, lesquelles danses sont associées à des idées de fertilité.
     Les fées, comme les contes le rappellent, président aussi aux destinées humaines. Elles sont là au moment des naissances, dotent l'enfant de qualités qui vont lui dessiner un destin particulier, ce en quoi aussi elles rejoignent les Parques (dominae fati, dit Ovide) dont elles ont hérité le nom. Raison pour laquelle il convient de les respecter et de les bien traiter, en particulier, en leur offrant un repas qu'elles viendront consommer, la nuit, à l'abri des regards. Ce repas les rapprochant des esprits des morts, auxquels il convient de faire ce type d'offrandes à des dates précises. Comme les  Parques, aussi, elles filent et tissent. Mais les Parques, qui sont aussi triples, se sont confondues au cours du premier millénaire avec les déesses-mères celtiques (Matres ou matronae en latin, cf. Maury op. cit. p. 13).
     De fait, Alfred Maury reconnaît dans les fées la trace de divinités païennes, tout en prévenant, dans l'introduction de son étude, qu' "En matière de légendes et de superstitions populaires, rien n'est arrêté, limité ; tout se confond et se mêle".
     Il en est pour la fée, comme pour la sorcière, leurs figures imaginaires amalgament des éléments de croyances venues tout aussi bien de la projection de désirs (être immortel, être riche, surpasser ses contemporains-rivaux. La fée, inutile de le préciser, est un fantasme masculin), de traditions folkloriques, de lointains souvenirs de religions diverses, celte et/ou germanique aussi bien que romaine, avant que le christianisme ne vienne s'en emparer pour la vouer aux diableries, entreprise réussie pour la sorcière, mais à moitié efficace seulement pour la fée. Car la fée, dotée de toutes les qualités rêvées, a trouvé refuge dans les contes populaires et n'en a jamais été délogée. Alfred Maury, dans la conclusion de son livre, constatait que : "[...] ces divinités cachées, ces femmes puissantes et perfides dont la mère redoutait tant la colère pour son fils au berceau, leur histoire est devenue un moyen d'égayer nos premiers ans, de recréer notre imagination naissante." (p. 101), et dans cette transformation, elles ont le plus souvent perdu leur caractère dangereux pour ne conserver que leur aura bénéfique.
     On peut lire, sans doute, dans ce personnage, la trace de divinités sylvestres qui déjà mêle le souvenir des nymphes gréco-latines, esprits des arbres, des eaux, des pierres, aux divinités topiques celtiques et/ou germaniques. Les fées se rencontrent dans les forêts, au bord des fontaines ; pour atteindre leurs territoires, leurs châteaux, il faut soit traverser une rivière (à ses risques et périls), soit s'enfoncer dans ses eaux, ou dans celle d'un lac. Maury y ajoute le souvenir des druidesses qu'ont transmis les chants dans le domaine celte ; les divinités et leurs prêtresses se trouvant ainsi confondues. Ce caractère divin explique l'inquiétude qui s'éprouvait à leur égard (avec les dieux il est toujours bon de se méfier) et la nécessité de les concilier, d'où le nom de "bonnes dames" qui leur était donné dans le folklore. Et le premier millénaire a dû voir leur culte se perpétuer, puisque les conciles ne cessent d'en dénoncer et d'en déplorer l'existence (cf. Maury, p. 16), toutefois les fées dont témoignent les discours religieux des prélats admonestant leurs ouailles, en particulier féminines, de se repentir et de cesser de croire dans ces Parques et autres créatures sylvestres pour lesquelles certains jours elles préparent des repas18, ne sont pas exactement celles de la littérature. Personnages littéraires, elles cessent d'inquiéter, du moins pour un temps.
Trois noms nous sont restés de magiciennes qui reçoivent le nom de "fées" : Morgane, Viviane, Mélusine. La première est la plus ancienne. Morgane apparaît dans la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth (1148) et elle est ainsi présentée, dans son association avec un lieu précis :
«L'île des pommes, qu'on appelle l'Ile Fortunée, doit son nom au privilège de tout produire spontanément [...] C'est là que, selon leur douce loi, neuf sœurs rendent la justice à ceux qui vont vers elles depuis nos régions. L'aînée des neuf est particulièrement compétente dans l'art de guérir et surpasse ses sœurs par son exceptionnelle beauté; elle a pour nom Morgane et a étudié les vertus médicinales de toutes les plantes pour soulager les corps souffrants; elle est aussi passée maîtresse dans l'art fameux de la métamorphose et dans celui de fendre les airs de ses ailes neuves, comme Dédale. Quand elle le veut, elle peut se trouver à Brest, à Chartres ou à Pavie; quand elle le veut, elle se pose sur nos rivages [...]"  (traduction Isabelle Jourdan, 1996)
     Les capacités de métamorphoses comme celle de déplacement instantané la classent dans une autre catégorie que celle des humains ordinaires, quoiqu'elle soit dite, peu de temps après, soeur d'Arthur qui ne possède, lui, aucune de ces facultés.
     Chez Chrétien de Troyes, Morgane la fée possède en sus de ses dons de guérisseuse, des talents particuliers de tisseuse. En fait, la fée a les mêmes fonctions que la dame dans ces romans, élire le meilleur chevalier et lui accorder son amour, soigner, tisser, coudre, broder, ainsi lorsque son ami Aucassin est blessé, Nicolette le soigne-t-elle, avec diligence et efficacité. Il est vrai que les pastoureaux avaient vu en elle une fée, "Vos estes fee"19 ; il est vrai que le message qu'elle veut faire transmettre est une invitation à la chasse au cerf, signe certain de féerie. Mais si les fées assument des activités féminines, c'est pour les faire incomparablement mieux. Ainsi les onguents préparés par Morgane peuvent-ils guérir les plaies physiques, comme celles d'Erec "Cet onguent était si merveilleusement efficace que si on en enduisait une plaie une fois par jour pendant une semaine, il guérissait entièrement aussi bien les os que les nerfs" (Erec et Enide, Pléiade, 1994, traduction Peter F. Dembowski), ou les plaies morales comme la folie d'Yvain dans Le Chevalier au lion.

     Mais le temps de féerie ne va guère durer. Peut-être en raison de l'indéniable caractère érotique (et d'un érotisme heureux) de leur évocation, bien démontré par Harf-Lancner, en particulier dans les lais, peut-être aussi comme le suggère Maury parce que l'Eglise voit en ces personnages des restes de paganisme refusant de se soumettre au christianisme, peut-être les deux à la fois, en tous cas, les roman en prose des XIIIe / XIVe siècles qui déploient les aventures des chevaliers de la table ronde sur un mode de plus en plus christianisé, vont assimiler de plus en plus la fée à la sorcière dont il est déjà entendu qu'elle est mauvaise par nature.
Cette dégradation de la fée en sorcière se fait progressivement. Les magiciennes des romans du XIIe prennent des caractères de plus en plus sombres. Morgane, en particulier, guérisseuse, tisseuse chez Chrétien de Troyes, à l'occasion bâtisseuse (Le Roman de Thèbes) mais aussi maîtresse d'illusions, se transforme en empoisonneuse, dans le Lancelot en prose qui, par ailleurs, la décrit comme laide, forcément, puisque luxurieuse "Li dux [père de Morgane] estaoit molt lais chevaliers et Morge retraioit à lui, Kar molt estoit laide ; et quant elle vint en aage, si fut si chaude et luxuriose que plus chaude feme ne convint a quere" [le duc était un chevalier extrêmement laid et Morgue lui ressemblait, car elle était extrêmement laide ; et en vieillissant, elle devint si chaude et si luxurieuse qu'il ne se trouvait pas plus chaude femme] et dans Le Morte d'Arthur, rédigé sans doute dans les années 1450 et publié après sa mort, où Thomas Malory reprend toutes les traditions qui l'ont précédé, elle est un monstre vindicatif qui va détruire le royaume d'Arthur par jalousie et désir de vengeance ; de son union incestueuse avec Arthur est né Mordred, qui sera son bras armé dans la bataille finale. Toutefois, après la mort d'Arthur, le conteur ajoute "Je vois qu'il fut emmené dans une nef où se trouvaient trois reines. La première était la soeur du roi, Morgane la fée..." (Malory, éd. l'Atalante, 1994, traduction Pierre Goubert)
     La double nature de la "fée", bienfaisante et inquiétante, et surtout de plus en plus inquiétante, s'incarne dans diverses fées mais tout particulièrement dans Morgane, déjà citée, dans Viviane dont le nom varie dans les divers romans où elle apparaît (Niviene, Niniene, Viviane) et se confond avec la Dame du Lac et dans Mélusine dont la tardive apparition (XIVe siècle) n'en joue pas moins un rôle essentiel dans l'imaginaire. Le statut de Mélusine est particulièrement intéressant dans la mesure où il combine des éléments contradictoires, la caractère bienfaisant de la fée (elle fait la fortune de la maison de Lusignan), et son caractère maléfique, voire diabolique, puisque tous ses descendants sont entachés de défauts inquiétants, et que la fortune de la famille ne sera que transitoire ; un peu comme si les traditions du XIIe siècle s'étaient heurtées à l'idéologie du XIVe siècle pour laquelle la fée n'est jamais que le masque de la sorcière, et que l'écrivain, qu'il s'agisse de Jean d'Arras ou plus tard de Coudrette, n'avait pu trancher.
Lorsque Daudet imagine la dernière fée dans "Les fées de France" (Contes du lundi, 1873), c'est le nom de Mélusine qu'il lui donne. A juste titre, car si Mélusine est fée bâtisseuse, origine d'une dynastie prospère qui perd sa prospérité en la perdant, il est logique que celle dont le plaidoyer est une accusation contre le désenchantement du monde qui a fait perdre à la France son identité et donc la guerre, se nomme Mélusine ; d'une certaine manière, elle a été trahie comme elle.
       Les magiciennes devenues fées, comme le rappelle l'auteur anonyme du Lancelot en prose à propos de Viviane, "Le conte dit que la demoiselle qui emporta Lancelot dans le lac était une fée. En ce temps-là on appelait fées toutes celles qui se connaissaient en enchantements et en sorts ; et il y en avait beaucoup à cette époque..." (Lettres gothiques, 1991, traduction de François Mosès) sont bien près de la sorcière.  L'association des "enchantements" et des "sorts", l'idée d'apprentissage, "s'y connaître", laisse transparaître derrière la fée, la sorcière qui va prendre en quelque sorte sa place et laisse entendre, dans le même temps, qu'elles ont longtemps été considérées comme bénéfiques. D'ailleurs, la Dame du Lac sauve Lancelot des ennemis de sa famille et lui donnera une éducation qui fera de lui le "meilleur chevalier du monde". La bataille contre les fées n'est donc pas encore totalement gagnée. Mais la religion s'y emploie, en particulier en leur faisant incarner toute la sexualité sauvage que l'Eglise prête aux femmes, comme nous l'avons vu plus haut à propos de Morgane. Leur lubricité, exaltation de la chair aux dépens de l'esprit, ne cesse d'être soulignée, par exemple dans les fabliaux. C'est encore elle que l'on retrouve dans la fée Mandoire de Laris et Claris (anonyme, vers 1270) associée, et c'est nouveau, à la vieillesse. Alors que jusque là la fée était parangon de beauté et donc de jeunesse (c'est indissociable) Mandoire est repoussée avec violence par Laris qui la dit "vielle desvée" [vieille folle], "vielle plaine de mauvestiez".
Maury ancrait la dualité beauté/laideur, jeunesse/vieillesse, bonté/ cruauté dans les chants celtiques rappelant la mémoire des druidesses fameuses : "Ces femmes étaient célébrées dans les poèmes bardiques, comme des prophétesses, comme des magiciennes auxquelles la nature était soumise; la superstition populaire les douait en effet de pareilles qualités.  Tantôt vierges, jeunes et belles, elles présidaient aux rites mystérieux du druidisme ; tantôt vieilles, hideuses et cruelles,  elles suivaient les armées pour immoler au-dessus de la chaudière fatale les malheureux prisonniers." (op. cit. p. 21) Mais, il n'est sans doute pas besoin de remonter si haut dans le temps, les clercs du XIIIe siècle s'emploient à déconsidérer la fée car elle figure un féminin désirable, et ils ont pour ce faire le modèle des auteurs latins.

Pourtant, rien n'y fait, la fée restera définitivement un personnage propice, sauf à admettre qu'une fée trop vieille puisse parfois devenir mauvaise, comme dans le conte de La Belle au bois dormant, et encore, sa méchanceté est-elle contrée par l'intervention d'une "bonne" fée.
L'amalgame entre fées et sorcières est accompli au XVIIe, comme on peut le voir dans La belle au bois dormant, tel que le transcrit/écrit Perrault où la fée vindicative est vieille, elle n'a pas été "priée, parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une Tour, et qu'on la croyait morte ou enchantée". Ce hors-temps de la vieille fée, comme celui de la vieille femme qui use encore d'un rouet alors que le roi en a interdit l'usage, est un indice sur ce qui est reproché particulièrement aux vieilles femmes, d'immobiliser le temps et les moeurs, de reproduire des conduites et des normes dépassées, de ne pas accepter le changement, ce qui est aussi l'implicite de l'accusation de lubricité des vieilles puisqu'elles ne savent pas admettre que leur temps est passé. C'est, par exemple, ce que l'on trouve, sur le mode ludique et ironique, dans Les Evangiles des quenouilles (1480), répertoire des croyances et superstitions, dirions-nous, colporté par un groupe de vieilles femmes à la lubricité déclarée.
Par ailleurs, toujours dans le conte de La Belle au bois dormant, le château enchanté où parvient le prince est vu par les habitants de la contrée comme un lieu "où tous les Sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat."
De même dans le dictionnaire de Furetière (1690), l'article FEE précise :
"subs. fem. Terme qu'on trouve dans les vieux Romans, qui s'est dit de certaines femmes ayant le secret de faire des choses surprenantes : le peuple croyait qu'elles tenaient cette vertu par quelque communication avec des Divinités imaginaires. C'était en effet un nom honnête de Sorcières ou Enchanteresses. Ménage dérive ce mot de Fata, qui a été fait de faceor, qui vient du grec phasos, fatum. Mr. Gaumin dit qu'il vient de fatuus à cause que les prophéties des fées étaient fort fades ou fates ou a fondo. Nicod dit qu'il vient de fatum, comme qui dirait, fato submissus. Du Cange dit qu'il vient de Nymphe. On a dit dans la basse latinité fadus & fada.
Adj. Chose enchantée par quelque puissance supérieure. des armes fées qui ne pouvaient être percées. On fait un conte d'un lièvre fée qui ne pouvait être pris, & du chien fée qui devait prendre tous les lièvres qui furent lâchés l'un devant l'autre, & qui courent encore. Il est dans Rabelais.
Les Poètes ont appelé quelquefois les Muses, les neuf belles Fées."
Toutefois, il ne faut oublier non plus que le "grand siècle" est aussi celui qui réactive la mode des contes de fées, et les publications (qui ont souvent pour auteurs des femmes) se succèdent dans la seconde moitié du siècle. La fée y retrouve tous ses prestiges, loin de la sorcière avec laquelle on aurait voulu la confondre.

     Ainsi, non seulement le Moyen Age ne s'est guère inquiété des sorcières, mais a suffisamment résisté aux injonctions ecclésiastiques pour que la fée conserve jusqu'à ce jour sa séduction intacte. Elle a laissé dans la langue ses doigts et les "doigts de fée" sont ceux des femmes particulièrement douées dans les travaux d'aiguilles ou dans les soins. Qualités exclusivement féminines dont n'ont jamais bénéficié ni les plus grands couturiers  ni les plus habiles chirurgiens. Elle prête son aura aux "fées du logis", compliment adressé, autrefois sans doute, aux femmes dont l'intérieur respirait l'harmonie et la paix en sus de la propreté. Et la réalisation de ses désirs est pour tout un chacun, un "conte de fée".
Alors, la sorcière ?

Une construction du christianisme (XVe-XVIIe siècle)

      Elle arrive, vieille, mauvaise, créature diabolique avec son chaudron et son balai. Celle-là sort tout droit de nos fantasmes autour de ce qui a été appelé "la chasse aux sorcières". Car il s'agit bien davantage de fantasmes que de réalités. La multiplication des procès entre 1450 et 1650 dont le plus grand nombre se termine par des condamnations, la disproportion entre les condamnations touchant des hommes et celles touchant des femmes, l'invention du sabbat20, cette fête nocturne, blasphématoire et renversant tous les tabous, surtout sexuels d'ailleurs (incestes, homosexualités diverses, zoophilie puisque les sorcières sont supposées s'accoupler au diable qui a la forme d'un bouc) ont alimenté d'abord une sorte de psychose poussant même des esprits que l'on aurait pu croire plus rassis (par exemple, le juriste Bodin ou le poète Ronsard, au XVIe siècle) à s'y joindre et ne bientôt plus voir que des sorciers partout à l'affût ; une psychose qui va durer deux siècles et faire un nombre de victimes considérable, même si le nombre auquel parviennent aujourd'hui les historiens est sans commune mesure avec certaines surévaluations féministes (entre 30 et 50.000 victimes —Hutton, Levack, Rowlands, Vissière—, ce qui nous met loin des "centaines de milliers" parfois allégués).
     Mais lorsque s'éteint la crise, l'imaginaire qui s'y est tissé va hanter longtemps l'occident, en se déplaçant vers d'autres domaines, une vision erronée du Moyen Age, imaginée à partir des Romantiques qui croient le découvrir, comme époque de ténèbres que les médiévistes mettront du temps à corriger. Ces temps de l'obscurantisme l'ont été bien moins que longtemps cru mais cette imagerie a fasciné les conteurs et les poètes (voir "la ronde du sabbat" de Hugo et son interprétation graphique par Boulanger) ; un imaginaire de la sorcière et de la sorcellerie qui va alimenter une mise en scène de la passion et du désir dans la production romanesque, poétique et picturale de la seconde moitié du XIXe siècle.
Pourquoi, il n'est pas mauvais d'y revenir.

     Les magiciens/magiciennes, devins/devineresses, et autres guérisseurs/guérisseuses existent dans toutes les sociétés pour répondre à des besoins individuels, la religion officielle se chargeant des besoins collectifs avec parfois des procédures qui ne sont pas si éloignées des sortilèges et autres incantations. Ils peuvent, bien sûr, subir la vindicte de malcontents, à l'occasion, et cela peut très mal finir pour eux, mais il n'y a ni théorie, ni doctrine à leur encontre et les autorités constituées s'en mêlent rarement.
     Que s'est-il passé entre la fin du monde païen et la fin du Moyen Age ? La "sorcière" finit par supplanter la fée et la magicienne. Elle est mauvaise par principe, et son aide n'est recherchée que dans des conduites illicites. Ceci ne correspond sans doute pas à la réalité où sages-femmes et guérisseuses, souvent perçues, en raison de leurs connaissances, comme relevant d'une réalité outrepassant celle de leurs voisins, devaient apporter leur concours dans bien des situations ordinaires, peut-être vues avec un rien de méfiance, comme devant tout ce qui échappe à la compréhension immédiate, mais sans doute pas davantage. Par exemple, dans l'étude de Le Roy Ladurie sur Montaillou de 1294 à 1324, les paysans reconnaissent un de leurs comme sorcier, comme ayant fait un pacte avec le diable, et cela ne semble guère les troubler. Le malheureux finira brûlé, mais non pour fait de sorcellerie, pour fait de catharisme. L'Eglise alors s'intéresse bien plus aux hérétiques qu'aux sorciers.
     Ces personnages, importants dans des sociétés qui avaient besoin d'eux, pour aider, rassurer, protéger, vont se préter à des investissements qui n'ont rien à voir avec leur réalité.
L'Eglise tonne régulièrement contre eux au cours du premier millénaire, mais invite plutôt à l'indulgence en y voyant une forme de folie ou de crédulité excessive, souvent d'ailleurs attribuée aux femmes.
Mais tout semble changer au cours du XIIIe siècle.
    Quel est le nouveau facteur qui apparaît ? vraisemblablement celui des hérésies. Le pouvoir de l'Eglise semble bien installé à l'orée du deuxième millénaire mais, comme tout pouvoir, il ne va pas sans dissensions ni discussions. La contestation n'est certes pas nouvelle, mais ce qui l'est vraiment, c'est le schisme. En 1054, l'Eglise d'Orient fait scission et s'émancipe de la tutelle de Rome.
Pour la première fois, mais pas la dernière, une contestation se révélait suffisamment forte pour rompre avec un millénaire d'unité.
Sans compter le problème de la double papauté qui apparaît après l'élection pontificale de 1130 qui aboutit à l'existence de deux papes, Anaclet II à Rome, et Innocent II, réfugié en France et reconnu, lui, par la majorité de la Chrétienté. Aux yeux du temps, ceci a dû apparaître comme effrayant, comme si le royaume de Dieu se scindait en deux. Si le problème est résolu en 1138, il réapparaîtra ensuite, en plein XIVe siècle (1309/1376) avec un pape à Rome et un à Avignon.
Le monde avait vacillé. Sans doute ces expériences ont-elle induit une plus grande vigilance à l'égard des contestataires qui prenaient toujours, d'ailleurs, le même visage : retour aux écritures, à la pauvreté prônée par le Christ. Ces contestataires vont devenir des hérétiques (vers 1140, c'est-à-dire à peu près à la même époque où apparaît le mot "sorcier"). Par exemple, Pierre Valdo (ou Valdès ou Vaudès), riche marchand de Lyon (1140-1217), se convertissant à la pauvreté, bien avant François d'Assise, dont les disciples dits Vaudois sont condamnés par le concile  de Vérone en 1184. Même réaction, encore plus violente puisqu'elle va donner lieu à une croisade prêchée par le pape Innocent III (janvier 1208) aussi bien que par Bernard de Clairvaux (qui n'en manquait pas une !), contre les Albigeois et qui tourne à la guerre, entre 1209 et 1229, dans le sud de la France. Les Vaudois et les Albigeois continuent d'être traqués plus d'un siècle après (Le Roy Ladurie, Ginzburg) tant par le pouvoir séculier que par le pouvoir religieux.
C'est durant la même époque qu'apparaissent les premiers récits de pactes avec le diable, par exemple dans Le Miracle Théophile, Ruteboeuf (XIIIe s.) qui, sans doute, reprend une histoire plus ancienne puisque l'église de Souillac (XIIe siècle) en présente l'histoire. A la fin du siècle, en 1272, Thomas d'Aquin construit sa démonologie (Traité sur le mal). Le diable change de valeur. Au lieu d'être le personnage semi comique que connaissait le Moyen Age, que l'on pouvait avantageusement berner, qui, nécessairement soumis à la toute puissance divine, ne pouvait guère aller trop loin dans le mal (et Théophile, par exemple, en se repentant, voit son pacte rompu par l'intervention de la Vierge), il devient soudain une puissance terrible et dévastatrice, le premier des hérétiques. Si le diable est doté d'une telle puissance, c'est qu'il mène depuis la Chute une guerre sans merci contre Dieu et, partant, contre l'Eglise qui est son représentant sur terre. Ce n'est plus un simple révolté, c'est un séditieux. On n'est plus simplement dans l'ordre de la contestation mais dans ceux du politique et du militaire. Il a non seulement à sa disposition une armée de démons, mais il lui faut aussi s'emparer du plus grand nombre d'âmes possible. D'ailleurs, c'est à la même époque que le serment que doit prononcer le roi de France lors de son sacre se trouve augmenté d'une nouvelle mission : lutter  contre les hérésies (Pastoureau, Le Roi tué par un cochon, 2015)
La machine à traquer les sorciers se met en marche.
Il lui faudra toutefois bien d'autres aliments avant de tourner à plein régime.
     Des facteurs socio-économiques (Muchembled) qui associent des transformations dans la répartition des terres, la centralisation de l'Etat, — en particulier en France, dont la croisade contre les Albigeois peut donner une idée puisque dans cette tragique épopée, le grand gagnant est le roi de France qui s'approprie une large part des provinces du sud —, une pression fiscale perçue comme insupportable parce que nouvelle ; la montée en puissance de la bourgeoisie (Huizinga) ; à quoi il faut ajouter des disettes à répétition, les séquelles des guerres qui n'en finissent pas ; guerre civile Armagnacs/ Bourguignons (1407/1437 ), guerre dite de "cent ans" qui, à peine terminée, en 1453, laisse place à d'autres, dont les pires vont être les huit guerres de religion qui vont ravager la France entre 1562 et 1598, bientôt suivies de la guerre de trente ans (1618-1648). Les bandes armées (fuyards, déserteurs) sillonnent le pays, agressant et pillant, ce qui ajoute à l'instabilité alimentaire qui va de disettes en famines.  Maladies et épidémies sont constantes dont les pestes à répétition, entre 1348 et 1720. La plus terrible sévit entre 1348 et 1352, la peste "noire", elle va dépeupler l'Occident et Froissart en écrit dans ses Chroniques (qui rapportent les événements advenus entre 1326 et 1400) : "En ce temps, par tout le monde généralement une maladie qu'on claime épidémie courait, dont bien la tierce partie mourut."
Les historiens (Huizinga, Delumeau, Ginzburg) estiment qu'entre 30 et 50% de la population européenne a disparu alors.
Ces facteurs socio-économiques engendrent des réactions de peur, traduites souvent par des révoltes dans le monde paysan, mais aussi par la recherche d'explications qui finissent toujours par aboutir à l'idée de responsables à trouver. Ce n'est pas nouveau là encore. Qui incriminer sinon ceux qui sont visiblement différents ? Cela commence par les lépreux dont la maladie est perçue comme un stigmate, une punition divine et auxquels on prête donc largement les plus mauvaises intentions du monde. Qu'apparaisse une épizootie, une épidémie, et ils sont immédiatemment accusés d'empoisonner les puits, les sources, pourchassés et mis à mort, souvent en masse (Ginzburg). Quand la peste apparaît à  la fin du XIVe siècle, ces boucs émissaires ne suffiront plus et les populations leur adjoindront les Juifs, lesquels à l'occasion servaient aussi, au moins depuis les premières croisades, taxés de "peuple déicide". Mais les malheurs n'en perdurent pas moins. Et les lettrés du temps (clercs et laïcs) commencent à élaborer des explications qui vont de l'approche de l'apocalypse à des théories complotistes, que l'Eglise soutient, impliquant tous les mécréants, les Musulmans d'Espagne et d'ailleurs, les Turcs particulièrement, les Juifs. Certaines de ces théories qui, sans doute, ne veulent rien perdre, font alors passer les lépreux pour la main-d'oeuvre des comploteurs. Le sultan de Grenade en est la tête pensante et il ne s'agit de rien moins que de détruire la chrétienté (Ginzburg). L'idée du complot est une excellente idée (déjà !) pour déclencher une mentalité d'assiégés et provoquer des réactions violentes peu susceptibles de questionnements. Ce qui ne veut pas dire que les théoriciens aient été de mauvaise foi, il est même vraisemblable qu'ils y croyaient tout autant que les autres, sinon plus. Aux ennemis naturels et traditionnels des catholiques (les infidèles), il convient bien sûr d'ajouter les hérétiques, toujours présents et contestant les richesses de l'Eglise et le monopole de Rome. Ennemis de Rome, il faut qu'ils soient, nécessairement, comme les maures et les juifs,  des suppôts de Satan (Huizinga). En 1326, le pape Jean XXII proclame la bulle Super Illius Specula, dans laquelle il assimile la sorcellerie à une hérésie ( Le terme "vaudois", au XIVe siècle, est devenu  synonyme de "sorciers"). Les démonologues aidant, qui voient l'oeuvre du diable partout, tout hérétique est un sorcier et tout sorcier un hérétique. Comme l'écrit Delumeau (p. 378) "pour les autorités un hérétique ne pouvait être qu'un déviant de la plus noire espèce. Or les sorciers et les sorcières furent de plus en plus regardés comme tels." Ce que l'on peut aussi, comme le fait Ginzburg (p. 91), renverser : "En l'espace de quelques décennies, "vaudois", "cathares", ou de manière plus générale "hérétiques" devinrent synonymes de "participants aux rassemblements diaboliques", le résultat est le même. La peur est partout, comme les responsabilités, et commence la chasse aux sorciers.
Muchembled fait d'ailleurs remarquer la discrépance entre les accusations, les témoignages contre les dits sorciers et sorcières qui prennent rarement en compte le diable et s'occupent bien davantage de malheurs quotidiens, et les attendus des juges qui reprennent, eux, des incriminations traditionnelles (les Romains en accusaient déjà les premier chrétiens — Viallet, Ginzburg), infanticides, anthropophagie, sexualité débridée, inceste, en y ajoutant l'adoration du diable sous forme animale, sacrilèges divers, sans parler des vols nocturnes, à dos d'animaux, en raison de métamorphoses animales ou sur des bâtons, balais, à l'aide d'onguents. Et le sorcier va se définir par sa participation au "sabbat" qui a pu parfois se nommer "synagogue" (mots empruntés aux traditions juives, qui restent bien la trace des assimilations entre les diverses catégories de "boucs émissaires"), festivité nocturne et diabolique qui, progressivement, devient un rassemblement presque exclusivement féminin.
Ces attendus sont pour une très large part repris de la littérature latine que les clercs connaissent bien car si, comme le dit Michelet, ils étaient, juges ecclésiastiques ou civils, "enivrés et ensauvagés par le poison de leur principe", ils n'en étaient pas moins des hommes de culture. Les Anciens avaient raison comme le répète à plaisir Bodin, éminent juriste du XVIe siècle21. Et d'ailleurs, Augustin d'Hippone et Thomas d'Aquin n'avaient-ils pas appuyé de leur autorité la parole : "Omnia quae visibiliter fiunt in hoc mundo possunt fieri per daemones ? Tout ce qui se fait en ce monde d'une manière visible peut être l'oeuvre des diables." (cité par Huizinga)
     Lorsqu'on brûle les hérétiques, c'est sans discrimination, hommes, femmes, vieux, jeunes, voire enfants pendant la croisade contre les Cathares (Albigeois) mais lorsqu'on en vient à la sorcellerie, se produit un changement. Les femmes vont être bien plus largement poursuivies, condamnées et exécutées.
Plusieurs éléments vont entrer en jeu. D'abord un fait social, dans les villages, les femmes sont plus souvent guérisseuses que les hommes ; ce sont les femmes qui soignent les plaies ; les accouchements sont toujours des affaires de femmes et qui va soigner une femme, comme le faisait remarquer Michelet, sinon une autre femme ? Ce sont les femmes qui veillent les vieux, les moribonds, les femmes qui toilettent les cadavres, les femmes qui pleurent les morts. Touchant de près à la vie et à la mort, elles sont plus vulnérables que les hommes aux accusations de sorcellerie ordinaire, et elles le sont, 7 à 9 accusés sur 10 relate Muchembled.
Elles sont aussi des proies plus faciles. Pour preuve : Muchembled  signale un cas, en 1588, d'agression contre une femme par une bande de jeunes hommes qui se termine par son assassinat (peut-être accidentel) mais dont les coupables se dédouanent par l'accusation de sorcellerie ; la même histoire se répète encore, à Auch en 164422. Ces deux anecdotes témoignent de deux choses : l'accusation de sorcellerie est une excuse parfaite pour s'en prendre aux femmes, et elle s'enracine dans une misogynie largement partagée. Et de fait, entre 1450 et 1650, les discours misogynes se démultiplient (Delumeau).
Sprenger et Institoris dans leur traité Le Marteau des sorcières (Malleum Malleficarum), 1486, insistent sur cette féminité de la sorcellerie, comme le rappelle Michelet au début de La Sorcière :  "Sprenger dit (avant 1500) : "Il faut dire l'hérésie des sorcières, et non des sorciers ; ceux-ci sont peu de choses"  et ils justifient cette prééminence féminine par une admirable (sic !) étymologie : "Par nature elle a une foi plus faible... Femina vient de Fe et minus, car toujours elle garde moins de foi."  Michelet les traitait de sots prétentieux...
Mais ils ne sont pas les seuls. Les laïcs les suivent volontiers sur ce terrain, rappelant les formulations définitives des pères de l'Eglise. "Femme, tu es la porte du diable." dit Tertullien23 ; d'une manière ou d'une autre, le thème n'est jamais loin, même si dans l'antiquité, il n'était point besoin de diable, ni d'ailleurs avant le XIIIe siècle,  mais il se répand dès le XIIIe siècle (après, il est vrai, un temps d'acalmie au XIIe siècle qui invente la courtoisie, invente et développe le culte marial) pour atteindre des sommets dans les prêches du XVe siècle. Delumeau cite un ouvrage d'un franciscain, Alvaro Pelayo, De Planctu ecclesiae, rédigé vers 1330, qui contient un catalogue des "cent deux «vices et méfaits» de la femme", comme Jean Bodin dans sa controverse avec Jean de Wier "redit après tant d'autres les sept défauts essentiels qui poussent la femme vers la sorcellerie : sa crédulité, sa curiosité, son naturel plus impressionnable que celui de l'homme, sa méchanceté plus grande, sa promptitude à se venger, la facilité avec laquelle elle désespère, enfin son bavardage." (cité par Delumeau)
Un autre facteur a sans doute aussi joué. Tous les juges sont des hommes, et leurs regards sont sans aucun doute plus favorables à leurs pairs qu'aux femmes, ne partagent-ils pas la même misogynie ambiante ? Par ailleurs, les hommes sont, par leur expérience quotidienne, certainement plus habiles à manipuler une parole sociale. Ainsi Michelet rapporte-t-il une anecdote, pour se gausser des inquisiteurs ou des juges, mais qui n'en est pas moins éclairante. Trois dames accusent un homme d'être un sorcier. Il ne semble pas pouvoir s'en tirer, lorsqu'il avoue «J'ai mémoire, en effet, qu'hier, à cette heure, j'ai battu... qui ? non des créatures baptisées mais trois chattes qui furieusement sont venues pour me mordre aux jambes...» Le juge, en homme pénétrant, vit alors toute l'affaire : le pauvre homme était innocent ; les dames étaient certainement à tels jours transformées en chattes, et le Malin s'amusait à les jeter dans les jambes des chrétiens pour perdre ceux-ci et les faire passer pour sorciers."  Il est peu vraisemblable qu'une femme eût pu se défendre de la sorte, renverser l'accusation et mettre le juge de son côté.
Les ambivalences de sentiment à l'égard des femmes, partagées par de nombreuses sociétés, sous l'influence d'un christianisme rigoriste (la femme, source de la rupture entre l'homme et Dieu, complice du diable dès l'origine, responsable de la mortalité) porté par un discours masculin si dominant qu'il en devient vision du monde, partagé par les femmes elles-mêmes à de très rares exceptions près, vont se coaguler en un seul sentiment de frayeur et de rejet.
      Alors que jusqu'alors la sorcière était un individu identifié dans une communauté précise (et les écrivains latins leur donnent un nom, tout comme Ronsard, encore, dans son poème "Contre Denise" vers 1550), très vite, elle devient potentiellement n'importe quelle femme.
Pour mieux définir ce caractère diabolique des femmes, les théoriciens (inquisiteurs, juristes, clercs ou laïcs) vont largement puiser dans la littérature latine et réactiver des images encore plus anciennes comme celles de Circé et Médée.
Quinte Curce le disait déjà, au Ier s. de notre ère, "Nulle chose ne conduit plus efficacement les multitudes que la superstition." (Nulla res multitudinem efficacius quam superstitio.) et elle s'est largement donnée cours durant ces siècles de la dite "Renaissance". Où l'on voit aussi que les instruments de libération, par exemple l'imprimerie qui permet de diffuser le savoir, servent tout autant, sinon plus, à propager de terrifiantes idées, par le texte, mais davantage encore par la gravure.
Les humanistes, comme on l'a vu avec Bodin, ne sont pas en reste. Ainsi nos deux grands poètes de la Pléiade, Du Bellay, avec un certain humour, en se situant dans un jeu intertextuel avec les poètes latins (document 10), et Ronsard, avec semble-t-il moins de distance, s'en prennent tous deux aux sorcières, preuve que personne ne peut échapper à l'air du temps. Et lorsqu'Agrippa d'Aubigné, dans Les Tragiques, 1616, au livre premier "Misères" entreprend d'accabler Catherine de Médicis, c'est bien sûr l'image de la sorcière ("fatale femme", expression aussi employée dans les procès du temps) qu'il invoque.
     Mais il serait injuste de croire que des voix plus raisonnables ne se sont pas élevées contre ce qui nous apparaît comme délirant. Montaigne ("Des boiteux" , Essais, III, ), Jean de Wier (1515-1588, médecin, auteur d'un De praestigiis daemonum [Des illusions des démons] publié à Bâle en 1563), contre qui s'insurge Bodin, Erasme (vers 1467 - 1536, philosophe), Pomponazzi (1462-1525, philosophe italien, un des pères du rationalisme moderne), André Alciat (1492-1550, juriconsulte italien), Cornelius Agrippa de Nettesheim (1486- 1535, médecin et philosophe), Reginald Scot (1538-1599, auteur de The Discovery of WitchcraftLa Sorcellerie démystifiée— publié en 1584), Johan Fuglinus (1533-1599, professeur de rhétorique et de logique à Bâle) se sont dépensés, avec peu d'effets, il est vrai, pour démontrer l'inanité des accusations de sorcellerie.
Et il ne faut pas croire non plus que les procès aient été aussi généralisés que parfois il est dit, que les femmes n'ont pas continué durant toutes ces années de défendre leur volonté d'être traitées comme des égales, qu'elles n'aient pas réussi à modifier tant soit peu les sociétés.
Le bilan le plus certain de ces temps calamiteux est d'avoir marqué l'imaginaire occidental d'un certain nombre de fantasmes.
     D'abord l'idée qu'il s'est agi d'une pratique aussi généralisée que les épidémies de pestes, d'où l'expression, revivifiée à l'époque du sénateur Mac Carthy, dans les années 1950, aux Etats-Unis, poursuivant de sa vindicte les activités anti-américaines, à entendre les communistes ou jugés tels (de préférence les intellectuels, journalistes, écrivains, cinéastes), de "chasse aux sorcières" pour nommer toute pratique de répression à l'encontre de personnes jugées non conformes dans une société donnée. En réalité, cette "chasse"  a surtout touché des régions précises et contrairement à ce que l'on pourrait croire l'Espagne, par exemple, où sévissait l'inquisition, s'est très peu intéressée aux sorcières, de même que l'Italie. Et les sorcières de Salem, pour célèbre qu'en ait été le cas (Etats Unis, 1692), ont été une exception, même si une terrible exception. 
     Ensuite la figure de la sorcière en vieille, laide, cette laideur se manifestant par un gros nez crochu et un menton en galoche qui ont tendance à se rejoindre. Elle a des cheveux blancs, hirsutes, coiffés d'un bonnet pointu qui pourrait être emprunté à la vêture imposée aux juifs en Allemagne (1267), ou peut-être aux mitres peintes d'un diable dont on coiffe les condammés d'Arras en 1461, mais qui ne semble pas apparaître dans l'iconographie avant le XVIIIe siècle. Elle est représentée chevauchant un balai afin de se rendre au "sabbat".  Ce balai de genêt dont nous avons, plus haut, évoqué la possible origine,  mais qui pourrait bien être aussi une version dérisoire de la quenouille, instrument proprement féminin, mais toujours lié aux parques ou aux fées (il n'est que de se rappeler l'histoire de la belle au bois dormant qui se pique le doigt au "fuseau d'un rouet").
La laideur attribuée à la sorcière est à imputer à deux préjugés, celui à l'encontre de la vieillesse — peaux ridées,  bouche édentée, seins et ventres flasques — mais aussi celui de "l'âme apparente", la sorcière étant mauvaise par nature, créature satanique, elle ne peut qu'être laide comme toutes les bêtes dont elle est entourée, créatures du visqueux et de l'ombre, avec la curieuse exception du chat, certes diabolique mais ni laid ni visqueux.
Sa caractéristique essentielle, en dehors de la lubricité qu'elle partage avec toutes les femmes, est son agressivité à l'égard des enfants où l'on peut lire diverses choses. D'abord l'accusation récurrente contre tous ceux qu'il s'agit de déconsidérer, des Chrétiens sous les Romains aux Juifs du Moyen Age et jusqu'aux bolchéviques soviétiques des années 1930, "manger les petits enfants" est la pire des accusations imaginables puisqu'elle met en jeu la possibilité d'un avenir ; ensuite, le lien entre les sorcières et les guérisseuses de villages, souvent sages-femmes. Les naissances ont toujours été des moments difficiles, les bébés comme les mères y risquaient leur vie, de là à rendre l'accoucheuse responsable, le pas se franchissait souvent. Enfin, la sorcière, vieille, héritait, bien malgré elle, du syndrome de Médée, l'infanticide. La sorcière infanticide est le cauchemar d'une féminité contre nature, puisque l' "instinct maternel" est une certitude bien ancrée dans l'idéologie du temps et Elisabeth Badinter fera encore scandale, à la fin du  XXe siècle, en démontrant son inanité (L'Amour en plus, 1980).
Lubrique, infanticide, elle héritait aussi des terreurs masculines devant le risque d'impuissance sexuelle.
Il en est aussi resté dans la langue des formules qui traduisent la différence de perception du masculin et du féminin :
"c'est un vrai diable ! / Il a le diable au corps" se dit en général d'un petit garçon, de manière relativement élogieuse, pour célébrer sa vitalité et son énergie.
"une vraie diablesse ! / elle a le diable au corps" se dit au féminin, pour une adolescente, en général pointant des débordements (ou considérés tels) sexuels.

     La chasse aux sorcières s'est éteinte aussi brutalement qu'elle s'était enclenchée, mais elle a aussi laissé des traces dans la religion qui l'avait provoquée, puisque le XVIIe siècle, et même le XVIIIe siècle vont voir se retourner les accusations, venues de femmes cette fois-ci contre des hommes, le plus souvent religieux, prêtres ou moines. Un étrange chassé-croisé où la créature du diable n'est plus la femme, mais l'homme qui devrait lui être le plus étranger. Toutes ces affaires dites de "possédées" (1610 : affaire Gauffridi ; 1632-34 : Loudun ; 1633-1647 :  Louviers ; 1730: Le père Girard et La Cadière ) pour spectaculaires qu'elles soient ne mettent pas en jeu de "sorcières" à proprement parler. Mais elles soulignent une fois de plus les étroites relations qu'aussi bien spectateurs que protagonistes tracent entre sorcellerie, diablerie et sexualité. Et cet amalgame aussi a longuement perduré. Il n'est d'ailleurs pas exclu que certaines de ces "affaires" aient réellement été des histoires d'abus sexuels.

     Pour retrouver la sorcière , il faut attendre la littérature du XIXe siècle. Non que les femmes à qui sont demandées des interventions magiques aient disparu, mais elles n'occupent plus qu'un espace bien marginal. La médecine les a remplacées pour la majorité des soins, et même les sages-femmes sont devenues des professionnelles, qui apprennent leur métier dans des hôpitaux, dans des écoles, plutôt que des matrones locales. En 1834, Delacoux publie une Biographie des sages-femmes célèbres,  preuve d'un autre regard sur une tâche qui relève de l'intervention de savoirs techniques davantage que de savoir-faire transmis de bouche à oreille.
La sorcière est donc un personnage que l'on range dans la grande armoire des superstitions, mais par là même elle reconquiert son prestige de figure imaginaire; sous forme de créature inquiétante et nocturne, elle hante la poésie romantique et les romans "gothiques" (ou "frénétiques" ou "noirs"), sous forme de figure troublante du féminin, tous les arts du siècle entier. Il n'y a guère que les écrivains réalistes qui ne lui accordent aucune place.

Une figure pleinement imaginaire

      Dans la première moitié du XIXe siècle, les trois dimensions de la figure de la sorcière, telles qu'elle se sont précisées au fil des siècles vont s'incarner dans trois héroïnes romanesques,  celle de la victime chez Hugo, dans Notre Dame de Paris (1831), celle de la guérisseuse, dans La Petite Fadette (1848), chez George Sand, celle de la femme fatale sous les traits de Carmen (Mérimée, 1845). Et Michelet va les subsumer toutes dans la figure de l'insoumise.
De ces quatre incarnations, celle qui va avoir la postérité la plus considérable dans l'imaginaire masculin, est celle de la séductrice dangereuse, Circé donc. "La vieille sorcière", voire Médée, sont peu mises à contribution, quoique l'ambivalence séduction/danger, jeunesse/vieillesse ne disparaisse jamais complètement.

La victime

     Dans Notre Dame de Paris, l'héroïne de Victor Hugo, Esmeralda, est une toute jeune fille, seize ans, dont les origines sont obscures, élevée par des Bohémiens, lesquels ont la réputation bien ancrée depuis des siècles, d'être sorciers. Elle est traitée d' "Egyptienne", appelation traditionnelle au XVe siècle pour ces nomades, souvent craints, en effet, comme le montre le roman, parce que supposés enlever les enfants.
Esmeralda est présentée à travers les yeux des personnages, en particulier Gringoire et Frollo, le poète et le prêtre, et du narrateur lui-même, comme extraordinairement belle et lumineuse : "une pure et éblouissante figure". Sa beauté semble si spectaculaire que Gringoire la première fois qu'il la voit s'interroge "Si la jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c'est ce que Gringoire [...] ne put décider [...]" ou que le narrateur la compare à la libellule fascinant l'enfant qui la regarde, beauté qui n'est pas seulement extérieure mais intérieure, car de tous les personnages du roman, elle est, avec son "double", Quasimodo, la seule âme pure. Elle sauve Gringoire de la pendaison en l'épousant, elle a peur de Quasimodo, mais elle est la seule à lui faire la charité de lui donner à boire sur son pilori.  Elle aime ce fat de Phoebus de Châteaupers sans une restriction.
Elle n'en sera pas moins condamnée et exécutée.
Victor Hugo utilise ainsi le contexte historique, avec justesse. L'action se déroule en 1482, dans la dernière année du règne de Louis XI, en avançant quelque peu (elle passe de décembre 82 à janvier) la négociation entre Autriche et France qui inclut un projet de mariage entre le dauphin et Marguerite d'Autriche. Elle se déroule à Paris qui n'a guère connu de procès en sorcellerie, mais à un moment où ils se multipliaient ailleurs, après avoir commencé, pour la France, à Arras, de manière spectaculaire (Vauderie d'Arras) quelques vingt ans auparavant, de 1459 à 1461.
C'est bien cette atmosphère de suspicion généralisée que raconte le roman. La "faute" d'Esmeralda est triple, elle est une "étrangère", elle est marginale (elle vit dans la cour des miracles, repaire certes de truands de tous ordres, mais surtout de pauvres), elle éveille les désirs masculins, celui de Phoebus, militaire hableur et vaniteux, dont elle tombe amoureuse ; celui du prêtre, l'archidiacre Claude Frollo, alchimiste, doublement crédule donc et imprégné de l'idéologie religieuse de son temps sur les femmes, ainsi qu'il le développe dans le chap 4 du livre VIII : la femme c'est le diable24, parce qu'elle suscite un désir incontrôlable qui conduit au pire, au crime comme ici. Elle est donc nécessairement sorcière et la faire condamner et exécuter est la seule manière pour tenter d'échapper à la damnation.
Le narrateur juge l'accusation de sorcellerie comme un prétexte, à ses yeux, pour ne pas voir la réalité, ici celle du désir sexuel qui contredit toute la conception du monde de son personnage masculin, une réaction de peur devant l'inconnu, les deux pouvant se combiner. Ainsi la laideur de Quasimodo le fait aussi passer pour sorcier, la beauté d'Esméralda la fait passer pour sorcière, et l'étrangeté de Frollo de même (cf. chapitre 3 du livre onzième). La sorcière est une innocente, victime des jalousies et des folies masculines.
Par rapport aux imaginaires hérités de la "chasse aux sorcières", Hugo se détache en ce qu'il fait de sa sorcière une victime, des commérages, de la vindicte de juges plus sots les uns que les autres, des peurs partagées par tous, des commères aux gens d'Eglise, et une victime pathétique par sa jeunesse, par sa bonté, par son innocence. Sans doute Michelet s'en souviendra-t-il dans sa réhabilitation de la sorcière.

La "savante"

     Chez George Sand, dans La Petite Fadette, autre son de cloche, ce n'est plus la ville, c'est la campagne, le Berry que connaît bien l'écrivain pour y vivre. La sorcière est jeune ici aussi, mais sa grand mère passe pour "une vieille sorcière". L'écrivain renoue ici avec un autre aspect de la sorcière, plus proche des procès des XVe-XVIIe siècle qui, souvent, considéraient que la sorcellerie était affaire d'héritage, puisqu'il fallait bien que les savoirs des sorcières se transmettent, comme, souvent d'ailleurs, le montrent les peintures du temps qui associent vieilles et jeunes initiées, par exemple dans les peintures de Hans Baldung Grien.
     De sa grand mère, la jeune Françoise dite Fadette (par féminisation de son nom de famille qui peut aussi s'entendre "petite fée") hérite des savoirs permettant de soigner hommes et bêtes, des savoirs dont le narrateur rappelle qu'ils sont à la fois véritables, pour une part, et illusions, crédulité des "clients", de l'autre.
Mais la jeune fille est bien fille de son temps et, quant à elle, ne veut pas se servir de la crédulité, quoique le narrateur rappelle, lui, que croire à la vertu d'un remède, est un des éléments de la guérison. Elle s'emploie à convaincre son jeune amoureux, Landry, le fils d'un des riches paysans du village, de la rationalité de ses connaissances qu'elle augmente par l'observation et par les expériences auxquelles la pousse sa curiosité. "J'ai été traitée de sorcière, et ceux qui venaient bien doucement me prier quand ils avaient besoin de moi, me disaient plus tard des sottises à la première occasion." confie la petite Fadette à Landry au cours de leur première vraie conversation, soulignant ainsi l'ambivalence des comportements villageois à l'encontre des guérisseuses.
Le narrateur commente cette réputation de sorcière faite à ces femmes par ces mots : "dans la campagne, on n'est jamais savant sans être quelque peu sorcier". Et comme Hugo, Sand décrit un univers dans lequel dominent les croyances les plus variées et les craintes qui vont avec.
Le sorcière ici, comme chez Hugo, est le nom d'un désir incompréhensible  et le jeune Landry atttribue à la sorcellerie le fait d'être fasciné par cette adolescente qu'il juge laide, agressive (un vrai "garçon manqué"), avec une si mauvaise réputation. Au fur et à mesure qu'il apprend à connaître la jeune fille, Il passe de la phase répulsive (elle l'a envoûté, c'est-à-dire elle lui a jeté un sort) à la phase admirative (elle l'a envoûté, c'est-à-dire charmé, enchanté, séduit) : "La Fadette est sorcière. Elle a un esprit merveilleux et un coeur comme le bon Dieu n'en fait pas souvent."
Comme dans le conte de Riquet à la houppe, rapporté par Perrault, la vraie sorcellerie (ou magie), ici, est l'amour, et à mesure que Landry apprend à raisonner, à se débarasser de ses superstitions, parallèlement, la petite Fadette se transforme en séduisante jeune fille qu'il pourra finalement épouser.
Ainsi Sand donne-t-elle à sa sorcière deux dimensions, la dimension figurée qui hante tout le XIXe siècle, la sorcière est la figure du désir, et une dimension concrète, la sorcière est une femme qui a appris à se servir de la nature (plantes, herbes, etc.) pour soigner en acquérant ces savoirs et ces savoir-faire auprès d'une plus âgée, puis en les perfectionnant, grâce à sa curiosité, son audace (il en faut pour faire des expériences dont on ignore le résultat), son talent d'observatrice des comportements animaux et humains. Par exemple, elle opère une sorte de "psychanalyse" avant la lettre pour tirer son beau-frère de sa dépression chronique et elle réussit, en faisant de ce qui étaient des défauts dans le monde paysan où il vivait des qualités dans celui où il s'engage, l'armée.
Comme son nom l'indique, la petite Fadette, est tout autant fée que sorcière, en terme d'imaginaire.

La femme fatale

     Le terme était utilisé comme synonyme de sorcière par d'Aubigné, autant que par les inquisiteurs de la "chasse aux sorcières" ; avec Mérimée, il devient le signe même de la sexualité féminine. Carmen en est le parangon.
Mérimée a fait un long voyage en Espagne (six mois en 1830), parcourant en particulier l'Andalousie. Ses lettres publiées dans la Revue des Deux Mondes, en ont témoigné, dont une, en particulier, consacrée aux sorcières, en novembre 1830. En 1845, dans sa longue nouvelle en quatre parties, Carmen, il en reprend les données, pour construire un récit d'amour tragique, comme les romantiques s'en délectent.
Dès l'épigraphe, le lecteur croit savoir à quoi il doit s'attendre, un récit de la perfidie féminine : "Toute femme est amère comme le fiel ; mais elle a deux bonnes heures, une au lit, l'autre à sa mort" dit l'épigraphe en grec signée d'un poète du IVe siècle, Palladas. Pourtant, le texte qui suit va se révéler plus complexe que prévu.
L'héroïne, Carmen, est présentée dans le récit après les personnages masculins, le narrateur, et le bandit des grands chemins, Don José Navarro, et elle n'est vue que par le filtre de ces regards.
A Cordoue, au crépuscule, elle surgit du fleuve, tout de noir vêtue, un gros bouquet de jasmin dans les cheveux. Vénus mortifère, elle ne retient pas vraiment l'attention "petite, jeune, bien faite [...] de très grands yeux" ; elle se dit bohémienne, et semble savoir que sa réputation l'a précédée : "Avez-vous entendu parler de la Carmencita ? C'est moi." dit-elle au narrateur. Le narrateur commente cette rencontre : "J'étais alors un tel mécréant, il y a de cela quinze ans , que je ne reculai pas d'horreur en me voyant à côté d'une sorcière." confirmant ainsi que cette réputation est celle d'une sorcière. D'ailleurs, cette apparence anodine se révèle très vite un piège car à y regarder de plus près, le narrateur constate que "C'était une beauté étrange et sauvage, une figure qui étonnait d'abord, mais qu'on ne pouvait oublier."
Elle fume, elle accepte d'aller prendre une glace avec lui, et l'entraîne chez elle pour lui dire la bonne aventure. Liée au feu et à la glace, un regard de "loup" ou de "chat quand il guette un moineau", tous les indicateurs symboliques signalent le danger.
Lorsqu'ensuite, le narrateur devient Don José lui-même racontant ses aventures, elle apparaît sous le signe du feu (ses vêtements sont rouges) et du sang, puisqu'il doit l'arrêter pour avoir attaqué l'une de ses compagnes d'atelier dont elle taillade le visage. Et Don José d'affirmer "S'il y a des sorcières, cette fille-là en était une."
Ce qui se retrouve dans la nouvelle de Mérimée, porté à son plus haut degré d'intensité, c'est à la fois le désir masculin que sa seule présence exaspère, et le désir féminin défini lui aussi comme une violence car ce qui caractérise Carmen c'est son activité. Toutes les initiatives lui reviennent toujours, qu'il s'agisse de séduction ou d'activités criminelles (vols, contrebande voire incitation au crime). Sa parole même est toujours du domaine de l'agression et de la violence, du sarcasme à la provocation, de la provocation à l'insulte.
Carmen affirme violemment sa liberté, celle de choisir ses amants, de les abandonner lorsqu'ils cessent de l'intéresser, sans se donner la peine de feindre quoi que ce soit. La violence lui est inhérente, et elle pousse Don José au crime, certes, mais elle ne fait que révéler ce qu'il est déjà comme il le raconte à propos de sa jeunesse où il rappelle comment il a dû quitter son pays après une bagarre "nous prîmes nos maquilas [bâtons ferrés], et j'eus encore l'avantage ; mais cela m'obligea de quitter le pays." La conclusion oblige à lire dans la litote un meurtre.
Ainsi, le personnage de Carmen puise dans l'imaginaire des procès de sorcellerie. D'abord, la vocation au mal de la sorcière ("Tu es le diable, lui disais-je — Oui, me répondait-elle;", dialogue que rapporte Don José, comme le narrateur la dit "une servante du diable"), là où passe Carmen, le meurtre surgit. "Tu ne tueras point" est un des dix commandements ; puis, l'exaspération sexuelle qu'elle produit chez les hommes, aucun de ceux sur lesquels elle jette son dévolu n'est capable de lui résister, sans doute même pas le narrateur dont les sentiments sont bien ambigus ; enfin, la violence de sa propre sexualité qui contredit tout le discours "officiel" sur la pudeur féminine, et il faut se souvenir que le "sabbat" était le lieu par excellence de cette sexualité débridée.
Dans le contexte d'une société en transformation, dans laquelle les femmes vont revendiquer une place de plus en plus grande, alimentant les diverses peurs masculines (compétition dans le travail, perte de pouvoir dans la famille), ce personnage de la séductrice-destructrice va se faire de plus en plus de place, via le rappel de Circé, voire de Médée, celui des magiciennes des XIIe-XIIIe siècle comme Morgane, chez les écrivains et peintres symbolistes, tout autant que chez les préraphaélites.
     Par ailleurs, et bien involontairement de la part des hommes qui convoquent cette figure, elle va offrir aux femmes une image à laquelle s'identifier, car tous ces tableaux, et tous ces textes, peignent des femmes belles, de corps et de visages, jeunes, et puissantes. Circé domine Ulysse, Viviane domine Merlin et Morgane tous les autres. Avec Carmen, l'imaginaire de la "sorcière" rejoint de très anciennes représentations, dont Circé, les Parques, les déesses lunaire ; "fatale"non seulement parce que porteuse de mort, mais parce qu'elle est "destin" incarné. Après la littérature, le cinéma naissant va s'empresser de l'adopter à travers le personnage de la "vamp", dont il faut rappeler que le terme est une apocope de "vampire", le vampire rejoignant les effrayantes créatures imaginaires que les Romantiques avaient trouvées chez les écrivains latins, les stryges et autres lamies ; toutes créatures tenant de la femme et de l'oiseau de nuit qui passaient pour se nourrir de sang ou pour dévorer hommes et enfants. Ce qui, pour les Romains, était surtout destiné à faire peur aux enfants, est  devenu la figure de l'inquiétude masculine adulte.

L'Insoumise
    
     Mais celui qui va, sans doute plus qu'un autre, oeuvrer au retournement dont les féministes du XXe siècle, puis celles du XXIe vont être les actrices, est Michelet avec son essai intitulé La Sorcière, publié en 1862. Dans ce texte étonnant, dont le succès fut grand et dont il semble que les lectrices furent nombreuses (Viallanex) Michelet insiste sur le fait que la "sorcière" est bien une représentation négative du féminin dont il renoue les fils en retournant les accusations : guérisseuse, oui, comme le montrait le roman de Sand, et seule à se pencher sur la misère féminine, du moins dans les campagnes. Consolatrice, car les malheurs psychologiques doivent aussi être pris en compte, et les promesses de philtres d'amour peuvent ne pas agir vraiment, ils n'en restent pas moins porteurs d'espérance, et c'est mieux que rien, sans compter probablement aussi les onguents ou boissons propices aux rêves (une opinion que d'autres plus tard partageront avec Michelet, par ex. Ginzburg)  ; conteuse aussi de mondes réconfortants parce qu'immédiats, les fées et les lutins sont là, dans la cheminée, à la lisière du bois, et les pages de Michelet sur les contes de fées sont des plus jolies jamais écrites sur ce sujet. Salvatrice dans les cas graves, grossesses à répétitions, accouchements malheureux, etc.
Mais surtout, contrairement aux idées reçues, non pas enfermée dans la répétition (comme le disait le texte des Evangiles des quenouilles), mais moteur du progrès, figure révolutionnaire jusque dans son invention de Satan, un Satan certes fort romantique, rebelle, révolté, Lucifer (porteur de lumière) qui se refuse à laisser le monde tel qu'il va mal, et qui pousse à l'action. C'est un diable matérialiste qui s'inquiète des corps que l'Eglise accable de son mépris et qui encourage de toute sa puissance les efforts de la sorcière pour contrer la fatalité.
Le "mythe" que construit Michelet est un tel éloge des femmes et du féminin qu'il est difficile à une femme d'y rester indifférente.

     La magicienne avait commencé par être un personnage littéraire chargé de représenter une ou des visions du féminin, fascinantes ou inquiétantes, souvent inquiétantes parce que fascinantes,  Circé versus Médée, magiciennes-Janus, dont la première, plus tard, a beaucoup investi la fée et la seconde la sorcière, à proprement parler, créature mauvaise par nature. Ces magiciennes, au fil de l'antiquité, s'étaient dégradées en vieilles femmes corruptrices, protagonistes d'une comédie amoureuse où les hommes sont toujours victimes de leurs faiblesses sexuelles, parfois pour en rire, souvent pour en trembler avant que de terriblement piètres lecteurs se décident à y lire une représentation exacte du monde, et à transformer des créatures de papier en personnes vivantes, à brûler comme les livres que l'Eglise mettait si volontiers à l'index dès qu'ils interrogeaient un tant soit peu l'ordre établi. 
     Une fois terminés ces siècles de délire mortifère, la magicienne devenue sorcière a regagné son univers littéraire pour incarner le désir et son inexplicabilité, et toujours le féminin dans ce que les hommes ressentent comme un mystère. La plus grande partie de la littérature du XIXe et de la première moitié du XXe siècle va lui devoir nombre de ses personnages, de la créature désirable et dangereuse (cf. Heredia :  Artemis, Médée, ou Cléopatre) à la mère terrible dont Hervé Bazin ou François Mauriac vont décliner les divers méfaits.

Dans le miroir de la sorcière

     Entre les dernières années du XIXe et Les premières années du XXe siècle, la différence n'est guère sensible en littérature, et le personnage de la femme fatale est toujours un fantasme producteur, par exemple, avec une certaine tendresse dans le poème de Louis Laforgue, "Notre petite compagne" (in Des Fleurs de bonne volonté, 1890) où "La Femme" (singulier et capitale) est la transcendance face à l'immanence masculine ("de naïfs mâles"), la Nature dans son identification à Isis ; ou encore dans le roman de Pierre Louÿs, La Femme et le pantin (1898), réécriture de Carmen, ou dans L'Enchanteur pourrissant (1909) d'Apollinaire qui, à travers les personnages de Viviane/Morgane et de Merlin, reprend, à nouveaux frais, la question jamais résolue des rapports entre le masculin et le féminin.
Mais la figure de la sorcière tend surtout son miroir dans deux directions, dans le regard masculin, celle de la misogynie qui désarme d'autant moins que, dans la réalité sociale, les femmes occupent de plus en plus de place, et celle de la satire sociale, avant de s'offrir comme incarnation de la liberté, puis d'alimenter une revendication égalitaire, voire une utopie "écologiste" dans le regard féminin s'appropriant la figure inventée par les hommes.

Le misogyne version Montherlant

    Emblématique de cette misogynie rampante, qui se traduit souvent dans la colère, sous forme d'insulte, par un "vieille sorcière", si la femme est âgée, ou un "mal baisée" si elle est jeune, le sous-entendu étant qu'elle est trop "laide" pour susciter un désir masculin24, est le personnage imaginé par Montherlant dans Pitié pour les femmes (1936). Costals, écrivain de 36 ans, explique à sa jeune amie de 20 ans, Solange Dandillot, les deux types de femmes existant dans les sociétés, fantasme qui court depuis la nuit des temps dans le regard masculin sur les femmes, cela commence par :
"Tout le monde a remarqué que le corps de la femme, quand il n'est plus jeune, a tendance à devenir un objet ridicule, et quelquefois repoussant, la joie des caricaturistes, tandis que le corps de l'homme, aux approches de la vieillesse, garde tournure beaucoup mieux." et vlan... (Livre de poche,  p. 74)
Après cela, il ajoute : "Quand une femme n'a pas de tenue, n'est pas très bien élevée, elle est une stryge."25 et de continuer " Vous savez ce qu'est une stryge ? Eh bien, je dirais garce, si j'était homme à employer une autre langue que la langue du Quai Conti. Toutes les femmes à chichis, les femmes vamp, les "grandes coquettes", les femmes ohé ! ohé !, toutes ces femmes qui font mettre leurs photographies dans les magazines, tout ce que j'englobe sous ce nom : la femme-tête-à-gifle, sont des stryges. Ce sont ces stryges qu'ont vues les religions, les philosophies, les moralistes qui, depuis des millénaires, jettent le mépris ou l'anathème sur la femme, mais leur tort a été de ne pas marquer fortement que c'étaient ces femmes-là qu'ils visaient et elles seules. Et j'en reviens à ma question : pourquoi les femmes sérieuses et honnêtes ne se défendent-elles pas contre ces stryges? Ne se rendent-elles pas compte du tort que ces stryges leur font ? Les pires ennemies de la femme sont les femmes. [...] Car si les hommes se conduisent mal avec les femmes, c'est parce qu'ils ont peur d'elles, parce qu'ils sont obsédés par les stryges. La plupart des mufleries, des abandons, des ruptures de fiançailles, etc., dont souffre la femme, c'est parce que l'homme, même si elle est gentille et aimante, a cru voir en elle, soit existante et cachée, soit inexistante encore mais virtuelle, la stryge. Et il a attaqué ou il a fui : de toute façon il a traité sa compagne naturelle en ennemie. Et voilà comment chez vous, les bonnes payent pour les mauvaises." (p. 74-75)
Involontairement, Costals livre le fin mot de l'affaire "Les pires ennemies de la femme sont les femmes", car les femmes, êtres vivants, réels, différents, n'ont rien à voir avec l'image que les hommes ont inventée pour les confiner dans leur statut d'infériorité, "La" femme, avec tout ce que le déterminant défini contient d'abstraction et de connotations sans fin sur la fragilité, la bétise, plus tous les défauts que les juges et inquisiteurs des XVe-XVIIe siècles listaient avec tant de soins. La stryge, c'est bien sûr la sorcière.  Or cette sorcière est ici définie par des catégories, "femmes à chichis", femmes qui font des manières, autrement dit qui ne laissent pas culbuter sans résistance ; "femmes vamp", où se retrouve la femme fatale, celle qui attire, séduit, et repousse; "les grandes coquettes", mélange de "femmes à chichis" et de "femmes vamp" dont la Célimène de Molière est restée le modèle ; la "femme ohé ohé", déformation de la formule"Olé, olé" qui renvoie aux danses andalouses, Carmen n'est pas loin, et qui désigne les femmes libres, celles qui décident, choisissent, bref se conduisent comme des hommes. Enfin les femmes "qui font mettre leurs photographies dans les magazines", autrement dit celles qui envahissent l'espace public.
Le choix du mot "stryge", rare et menaçant dans sa prononciation peu aisée (trop de consonnes), la présence du "y", souligne l'étrangeté de ce féminin, mais comme le personnage le dit lui-même, il masque le mot "garce" lequel n'est qu'un euphémisme pour dire "pute". Or donc, le point commun de toutes ces catégories, c'est la liberté et, au premier chef, la liberté sexuelle. Ou la femme dépend d'un homme ou elle est une pute ! rien de nouveau sous le soleil...

Les voies (voix) de la comédie sociale

     Un peu plus tard dans le siècle, la sorcière va servir d'autres propos, parfois dans le sens du rire ou du sourire, parfois dans celui de la gravité pour moquer et/ou stigmatiser les travers d'une société, à commencer par la société américaine.
     En janvier 1953 est présentée à Broadway (New York) une pièce du dramaturge Arthur Miller, The Crucible (Les Sorcières de Salem, traduction française de Marcel Aymé, 1954). A travers le procès en sorcellerie, intenté, sans preuves, à Salem, en 1692-93, contre 200 accusés qui se solde par19 condamnations, 14 femmes et 5 hommes exécutés par pendaison, Miller dépeint les événéments des années 1950, les activités du comité dirigé par McCarthy, sénateur obsédé par les communistes comme d'autres l'avaient été en d'autres temps par les sorciers avec autant de preuves de leurs fantasmes. Miller lui-même n'échappera pas à la "chasse" et sera accusé en 1956. C'est moins ici le thème de la "sorcière" qui domine que celui du délire interprétatif devant la réalité et de ses conséquences tristement concrètes. C'est à partir de là que l'expression "chasse aux sorcières" s'est répandue avec la connotation essentielle d'absence totale de fondement dans la dénonciation d'un groupe de personnes.
     Revenons à la comédie.  En 1942, René Clair, cinéaste français travaillant alors à Hollywood signe une pochade, I married a Witch (Ma femme est une sorcière) qui se gausse du puritanisme étasunien, grâce à ses deux sorciers, la belle et séduisante créature féminine (Veronika Lake) et son père, bougon et vindicatif, qui n'a pas l'intention de pardonner aux descendants de ceux qui l'ont brûlé. L'amour qui est le plus grand des sorciers (Ovide le disait déjà) aura raison des malédictions et des rancoeurs. Dans ce film, se voit à l'oeuvre la confusion sorcière/fée qui domine le XXe siècle. La sorcière est jeune, belle, immortelle, et grâce à ses pouvoirs magiques fait triompher son politicien de mari contre tous ses ennemis. Comme dans les lais du Moyen Age, il n'est rien de plus gratifiant pour un homme que de gagner l'amour d'une fée.
C'est un peu le même jeu qui se joue dans la série télévisée à grand succès, Bewitched (Ma sorcière bien-aimée), 254 épisodes entre 1964 et 1972. La série est diffusée en France à partir de 1966. Les relations de famille en sont le centre. Et la belle-famille (tous des sorciers) en fait voir de toutes les couleurs au jeune mari. Tout particulièrement, la belle-mère, Endora, qui méprise ces mortels ridicules, incapables de soumettre le réel à leurs volontés, et représente à la fois la figure de la sorcière dangereuse (elle tente de se débarasser du mari de sa fille par tous les moyens) et celle de la belle-mère, toujours ridicule et haïssable. Si l'ensemble baigne dans une certaine misogynie (le personnage de la vieille voisine à l'affût de tous les commérages, curieuse et grincheuse), le personnage de la sorcière, Samantha, est finalement l'image de la femme qui, sous des dehors de soumission et de respect de la primauté masculine, résout réellement les difficultés de son benêt de mari. Elle aussi est jeune, belle selon les critères de l'époque, capable de métamorphoses, jouant de son bout de nez comme d'une baguette magique et tient donc plus de la fée que de la sorcière traditionnelle.
     Transformation d'un imaginaire qui peut aussi se lire dans la littérature fantastique, en particulier aux Etats Unis, dans un récit comme celui de Clark Ashton Smith, L'Enchanteresse de Sylaire (The Enchantress of Sylaire, publié en volume en 1960)26  qui renoue avec l'image ambivalente de la sorcière, belle et séduisante pour le héros, Anselme, elle est en réalité "inimaginablement vieille et infâme jusqu'à la hideur", mais le héros s'en moque et choisit de jouir des apparences, "ce que mes yeux me révèlent me suffit" proclame-t-il.
Ou encore dans "La sorcière du mois d'avril" de Bradbury27 où la toute jeune sorcière découvre le désir en se glissant dans le corps d'une jeune fille. Le récit poétique laisse le lecteur hésitant, fée ou sorcière ?  sorcière  ou fée ? La "magie" agissant pour en faire, en tous cas, une créature éminemment séduisante et poétique, dans un récit particulièrement évocateur des émois adolescents.
Certes ces deux récits mettent encore en scène le désir, comme au XIXe siècle, mais non dans l'angoissse et la dépossession, plutôt dans la jubilation. Dans le premier, le héros loin de se sentir victime de la situation se considère comme privilégié, tout prêt à perdre joyeusement son corps et son âme pour vivre avec la femme de ses rêves. Quant au second, il fait de la jeune sorcière un esprit accordé aux pulsations de la végétation comme à celles des animaux, qui célèbre la vie où se confondent amour et désir.

Sorcières féministes

     Cette confusion opérée entre la fée et la sorcière explique en partie les proclamations féministes des années 1970.
Dans le sillage de mai 68, ce sont les premières femmes à se revendiquer comme sorcières, selon le principe du retournement de l'insulte, car le terme "sorcière" dans une bouche masculine est toujours manifestation d'une répulsion et d'une inquiétude.
Les féministes retournent le cliché en l'assumant, mais elles ont peu à faire pour valoriser le terme puisqu'il est déjà imbibé de l'imaginaire de la fée. Leur sorcière est une jeune femme rompant les tabous, telle qu'elle apparaît dans le premier numéro de Sorcières, la revue dont Eleonor Fini avait dessiné la couverture, une jeune femme chevauchant un balai au milieu de fleurs, le tout dessinant un S,  et dont l'éditorial de Xavière Gauthier justifiait le choix du nom "sorcières", par ces mots :
"Parce qu’elles dansent. Elles dansent à la pleine lune. Femmes lunaires, lunatiques, atteintes — disent-ils — de folie périodique. Gonflées de révolte fulgurante, de colère bouillonnante, gonflées de désir, elles dansent sur la lande sauvage des danses sauvages.
Sauvages, comme l’homme blanc le dit des autres ethnies ; sauvages comme l’Etat et le syndicat le disent de certaines grèves, de certaines crèches. Elles dansent, sauvages et irrécupérables, comme le désir."28
"Lunaires", "lunatiques", les deux adjectifs soulignent que sont prises en charge les accusations masculines à l'encontre des femmes incompréhensibles et imprévisibles (cf. les fameux vers attribués à François Ier par Brantôme, "Souvent femme varie / Bien fol est qui s'y fie).
La lune une fois de plus est convoquée dans l'imaginaire féminin, comme il l'était depuis toujours. C'est encore le personnage de Montherlant qui, dans le roman cité plus haut, parle de "mal lunaire" à propos des menstrues. Tout comme un certain M. Cyr, médecin qui, en 1884, s'insurgeait contre la possibilité de voir des femmes au concours de l'internat avec cet argument majeur : "Si mademoiselle se trouve sous influence lunaire, croyez-vous qu'elle sera... à la hauteur de la situation."29
Lunaires mais aussi "sauvages". L'adjectif est glosé par deux exemples de l'époque : les "crèches sauvages" (des services de garderies d'enfants organisés par des groupes de parents hors du contrôle de l'Etat) et les "grèves sauvages" (grèves spontanées, hors du contrôle syndical et ne respectant pas les termes de la loi, en particulier le dépôt de préavis). Le point commun étant, bien sûr, la liberté.
C'était marquer le territoire des marges, du hors norme où elles voulaient s'inscrire.
Nul besoin alors de déguisements. Il suffisait d'affirmer haut et fort le droit de vivre, de créer, de sortir de  la cuisine, de la nurserie et des églises où la société patriarcale confinait les femmes depuis toujours, devrait-on dire, même si la formule "Küche, Kinder, Kirsche" ne remonte qu'à Guillaume II,  largement propagée durant la Seconde guerre mondiale, tant par les nazis que par le régime pétainiste.
Le sous titre de la revue était d'ailleurs : "Les femmes vivent".
Les sorcières des années 1970  se disaient telles pour proclamer leur droit à disposer de leur propre corps, ce qui impliquait la généralisation de la contraception ("des enfants si je veux, quand je veux !") et la dépénalisation de l'avortement ; elles revendiquaient le droit d'être elles-mêmes, sans obéir aux impératifs esthétiques dictés par le monde masculin ; elles cherchaient comment créer en inventant des langages qui pussent leur être propres. On était alors en plein débat sur l'existence ou non d'une écriture féminine, avec une certaine tendance à confondre thèmes et styles. C'est le temps (mai 1974) où est fondée la librairie des femmes, lieu de rencontre et maison d'édition.
La volonté d'avoir la maîtrise de son corps ne va pas sans son exaltation, non comme objet de désir mais comme sujet désirant. En même temps, cet élan vers la liberté permettait aux femmes de sortir de leur isolement, de rencontrer d'autres femmes de tous les âges, de confronter leurs expériences, leurs espérances. La "secte" des sorcières qu'avaient découverte les démonologues et inquisiteurs des XVe et XVIe siècle et qui n'était qu'un mythe, au sens de construction erronée du réel, était alors en voie de constitution dans les rires ou les pleurs, la joie et la rage, le partage mais aussi, pour un grand nombre d'activités, mais pas toutes, l'exclusion des hommes. Il suffit de retrouver les éphémères revues qui fleurirent alors pour s'en assurer et, parmi elles, Le Torchon brûle, "menstruel".
Elles étaient, certes, fortement influencées par la lecture que faisaient Duras, et les femmes de Sorcières, de La Sorcière de Michelet,  lesquelles voyaient dans la répression des sorcières une façon de faire taire les femmes: "on les a brûlées. Pour arrêter, endiguer la folie, endiguer la parole féminine "(Les Parleuses, Gauthier, Duras, 1974), point de vue qui va proliférer, s'exaspérer, en dépit du bon sens, mais elles faisaient échapper la figure de la sorcière à sa gangue de création masculine. C'était la liberté par l'insoumission que les femmes célébraient alors, refus des normes, refus du mariage, refus de la maternité comme seule "destinée" d'un être féminin, marginales et prétendant le rester au moins tant que la société n'aurait pas modifié les rapports de force entre hommes et femmes, lesquels continuaient à faire peser sur les femmes le poids de millénaires d'oppression comme le rappelait la chanson d'Anne Sylvestre, en 1975, "Une sorcière comme les autres".
A la suite de quoi, la littérature, le cinéma, se sont engouffrés dans la brèche et les histoires de sorcières ont fait florès. Les petites filles de la fin du XXe siècle ont grandi dans un univers imaginaire où les sorcières s'étaient définitivement amalgamées aux fées.

La sorcière unique représentation du féminin ?

     Dans ces premières décennies du XXIe Les sorcières sont partout, nous l'écrivions au début de cet article. Cet engouement peut se mesurer,
par exemple, à travers une recherche sur Google où l'entrée "sorcière" donne accès à 24.100.000 résultats (5/12/18), ce qui n 'est rien à côté de l'entrée "witch" qui, elle, donne accès à 312 millions de résultats. (5/12/18) Le mouvement d'identification et de réhabilitation des sorcières trouve sa source dans les cultures anglophones, mais il est aujourd'hui largement répandu, au point, par exemple, d'avoir suscité la réhabilitation (officielle, par le parlement de Glaris, le 27 août 2008) de la dernière "sorcière" exécutée en Suisse, Anna Göldi, en juin 1782.
     Personnage imaginaire et divertissant à la fin du XXe siècle, comme par exemple la chanteuse Juliette s'en amuse encore dans "L'éternel féminin" (2002) qui assume le lien entre femme et diable, la sorcière du XXIe siècle renvoie d'autres reflets. Celui de la victime d'un univers phallocrate, largement constitué de "porcs" à fustiger et stigmatiser ; celui de la "savante", dont les anciens savoirs vaudraient mieux que les sciences "dures", aux conséquences dangereuses,  prônées par le monde masculin.

La victime d'un univers phallocrate

     Le reflet dans le miroir est d'abord celui de la victime. Ce n'est plus l'innocente victime de la folie et des superstitions humaines, comme l'Esmeralda de Hugo, c'est la sorcière de la Renaissance mise au bûcher, non plus pour de confuses raisons religieuses, mais dans ce qu'il faudrait appeler une guerre des sexes. Car si la victime a acquis une manière de statut de "héros" en ce début de troisième millénaire, la sorcière, comme les autres, exige réparation. Les féministes radicales, à la suite de Silvia Federici (Caliban et la sorcière, 2004, traduit en français en 2014) qui, elle-même, renouait avec les thèses de Matilda Joslyn Gage (1826-1898) dont le livre Women, Church and State [Femmes, Eglise et Etat], 1893, défendait des idées comparables sur le "complot" masculin, se sont emparées de cette figure en lui donnant une curieuse dimension politique, fondée sur une relecture des "chasses aux sorcières" qui se seraient déroulées aux XVIe et XVIIe siècles, en Europe. Certaines n'hésitant pas à parler de "féminicide", ce qui revient à faire entendre que les sorcières ont été exécutées parce qu'elles étaient femmes et uniquement pour cela, en faisant osciller les chiffres des victimes dans des fourchettes dépassant les bornes du simple bon sens et en négligeant, en général, le travail des historiens. D'aucunes parlent d'un million de victimes, de "centaines de milliers", d'autres s'en tiennent à 100.000, alors que le chiffre réel semble plus proche des 40.000, ce qui n'est certes pas négligeable, mais bien loin des chiffres allégués.
Les procès, les condamnations, les exécutions auraient eu pour objectif de "soumettre" les femmes aux rôles de seules reproductrices que le capitalisme entendait leur faire jouer, ce qui est aller un peu vite en besogne. Femmes victimes, hommes bourreaux, cela fait curieusement écho aux mouvements de révoltes contemporains contre les comportements phallocratiques, dont il est entendu qu'ils sont certes à combattre, mais sans doute en comprenant d'abord d'où ils viennent pour en éviter la répétition. Les hommes comme les femmes devenant ce qu'ils sont en fonction de ce que leurs sociétés attendent des rôles qu'elles ont codifié pour eux, ces codes nous échappant la plupart du temps, faute de les reconnaître comme tels en les prenant pour la "nature" (qui a toujours eu bon dos !)
Parfois, heureusement, certaines réflexions s'y emploient comme celles de Mona Chollet30 qui pose le miroir de la sorcière pour interroger le rapport des femmes (et partant de la société qui est la nôtre) au célibat, à la vieillesse, au refus de la maternité, autrement dit questionner le poids des "interdits" dont le revers est toujours celui des impératifs : le mariage, la procréation, la jeunesse ou son apparence versus la "transparence" imposée aux vieilles femmes. C'est bien remettre en question la vision du féminin comme "sexe". Mais même si cette vision est largement répandue encore, elle n'a plus la solidité qu'elle a pu avoir, en d'autres temps. Voir le féminin dans le miroir de la sorcière c'est, volontairement ou non, exaspérer les tensions entre le féminin et le masculin.

La sorcière "savante"

     De même que la sorcière-victime contemporaine ne ressemble pas Esmeralda, la sorcière savante d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec la petite Fadette. Elle repose largement sur un fantasme qui trouve, lui, sa source en partie dans le féminisme des années 1970 (cf. Françoise d'Eaubonne), en partie dans l'importance qu'ont prises les questions écologiques ces dernières années.
Que reconnaissons-nous de la figure imaginaire dans ce nouvel avatar de la sorcière ? un fantasme de la toute puissance, les sorcières sont des "savantes" méconnues ; elles incarneraient l'accord traditionnel entre la femme et la nature, que tous les poètes ont chanté depuis que l'humanité à inventé l'écriture, qui leur permet d'en maîtriser l'usage (herbes, plantes diverses, minéraux) ; elle prend en charge l'association, elle aussi séculaire, de l'accord entre la femme, la nuit (la femme est secrète, obscure, travaille dans l'ombre) et la lune et en appelle à la sorcellerie en tant qu'intervention magique sur le monde, "science douce" opposée aux sciences "dures" que le hommes auraient imposées au monde, le conduisant ainsi à la catastrophe, ainsi de ce témoignage :
"La figure de la sorcière nous permet de jouer sur deux tableaux. En tant qu’archétype, elle symbolise des siècles d’histoire patriarcale, puisqu’à travers les âges, les femmes qui étaient savantes, notamment en médecine naturelle, ou simplement indépendantes des hommes étaient qualifiées de “sorcières” et chassées, torturées, tuées. [...] De manière plus pragmatique, nous comptons effectivement des sorcières, c’est-à-dire des praticien-ne-s de sciences occultes, dans nos rangs." (déclaration dans manifesto XXI, 15 février 2018).
Ce qui ne va pas sans un rien de charlatanisme, ou de fantasme dans les pouvoirs censés être spécifiquement féminins, sans parler des méconnaissances historiques.
En somme, cette perception de la femme "naturelle" renverse l'affirmation baudelairienne d'un "La femme est naturelle, donc abominable" (Mon coeur mis à nu) à un  "la femme est naturelle donc admirable". Mais pourquoi, sinon en fonction d'un imaginaire admis sans plus, la femme serait-elle plus naturelle que l'homme? Et si c'était exactement l'inverse ? Si les femmes n'avaient eu de cesse, au cours de l'histoire, d'échapper à la nature qui paraissait les condamner, justement, à épuiser leurs vies dans des fonctions reproductives ?
Le miroir de la sorcière ainsi réactivé ouvre une contradiction car si la sorcière figure la liberté féminine, cette dernière ne peut s'accomplir que si les femmes s'arrachent à la nature, contrôlent leur corps et leur fécondité, car on ne sache pas que la "sorcellerie" ait jamais empêché les grossesses à répétition, les fièvres puerpérales et leurs cortèges de morts (ce n'est que récemment — un peu plus d'un siècle —  que l'espérance de vie féminine a rejoint et dépassé celle des hommes), les accouchements qui se terminaient mal autant pour les mères que pour les enfants.
Les femmes seraient, par ailleurs, supposées avoir une empathie plus grande à l'égard du vivant sous toutes ses formes, ce qu'on serait bien en peine de prouver, à moins de considérer les tâches et les rôles que les sociétés leur confient depuis toujours, sans doute bien moins parce qu'elles sont "douées" pour cela, que parce qu'il s'agit de tâches que les hommes ne pouvaient (il y a bien longtemps) ou ne voulaient (le plus souvent) prendre en charge.

L'imaginaire de la sorcière est des plus fascinants, il dit beaucoup sur la vision des femmes que nos sociétés occidentales ont imaginé pour tenter de comprendre le mystère qu'elles représentaient (et peut-être représentent encore). Mais il s'est agi, pendant des millénaires, d'un imaginaire masculin, qu'il serait peut-être temps de ranger au magasin des accessoires. Les hommes peuvent se reconnaître dans de multiples figures imaginaires, le tueur de monstres, le chevalier, le conquérant, etc. Il serait peut-être temps que les femmes aussi investissent l'imaginaire de leurs propres projections au lieu d'endosser de vieilles défroques sérieusement mitées et "mythées".

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

BAROJA, Julio Caro, Les Sorcières et leur monde, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1972, 304 p. Traduit de l'espagnol par M.-A. Sarrailh (première édition en espagnol, 1961)
CHOLLET, Mona, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Zone (éd. la découverte), 2018, 232 p.
DELUMEAU, Jean, La Peur en Occident XIVe - XVIIIe siècle. Une cité assiégée. Fayard, 1978, 484 p.
Les Evangiles des quenouilles, traduits et présentés par Jacques Lacarrière, Albin Michel, coll. Espaces libres, 1998, 135 p. (première édition, Imago, 1987.) —Le texte est publié pour la première fois en 1480.
FAVRET-SAADA, Jeanne, Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1977, 332 p.
GINZBURG, Carlo, Le Sabbat des sorcières, Gallimard, Bibliothèques des histoires, 1992, 427 p. Traduit de l'italien par Monique Aymard [première édition en italien, Storia notturna. Una decifrazione del sabba, 1989]
HARF-LANCNER, Laurence, Les fées au Moyen Age. Morgane et Mélusine. La naissance des fées. Librairie Honoré Champion, 1984, 474 p.
HUIZINGA, Johan, L'Automne du Moyen Age, Petite bibliothèque Payot, 2015, précédé d'un entretien avec Jacques Le Goff, 496 p. Traduit du néerlandais, par J. Bastin. La première traduction, du même, paraît en 1932 sous le titre Déclin du Moyen Age. [première édition du texte en néerlandais, 1919]
LE ROY LADURIE, Emmanuel, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Gallimard 1975, 1982 (édition revue et corrigée), Folio, 2018, 642 p.
MUCHEMBLED, Robert, La Sorcière au village, Julliard/Gallimard, coll. Archives, 1979, 241 p.
PRAZ, Mario , La Chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle. Le romantisme noir, Tel Gallimard, 1998, 492 p. traduit de l'italien en 1977 pour Denoël par Constance Thompson Pasquali [première édition en Italien,  La Carne, la morte e  il diavolo Nella littératura romantica, 1930]
SALLMANN, Jean Michel, Les Sorcières Fiancées de Satan, Gaillimard, Découvertes, 1979, 192 p. (rééédité en 2002)








1. Pour les essais, voir bibliographie. Expositions, ex. Archives de Paris, nov. 2016-mars 2017 ; Bruges, février-juin 2016.
Radio, ex. France culture, du 16 au 19 avril 2018.
Journaux, ex. Le Monde, 30/9/17 ou 1/11/18.







































2
. Hans Baldung Grien, par exemple, ou Bruegel l'ancien.


















































3. Cette Téthys de l'origine n'est pas la mère du héros de l'Iliade, Achille, quoique cette dernière soit une néréide, une créature de la mer, comme la première.




4
. traduction J.-J.-A. Caussin, site Remacle.





5
. Des exemples des interprétations antiques sur le site mediterranées.






6. Jean Bodin,  De la démonomanie des sorciers, 1580,  Livre II, chap. 6, p. 198. Le livre est régulièrement réédité ensuite.
L'histoire des Arcades (habitants de l'Arcadie) se transformant en loups est rapportée de Varron.

















7. Théogonie, vers 961, traduction de Annie Bonnafé, Rivages poche, 1993.
"Subtils desseins" étant la signification du terme grec  "medea".

















8.
Cf. Didier Souiller, "Circé après Jean Rousset : du corps maniériste à la théâtralité baroque", 2006.






9. Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976, traduction Théo Carlier.





















10. Légende qui provient des Métamorphoses d'Ovide, livre VII, vers 407-419.




































11. Comme on peut le voir dans une enluminure de l'un des manuscrits du Roman de la Rose, (Guillaume de Lorris, Jean de Meun. Poème en deux parties, la première du début du XIIIe, la seconde rédigée entre 1270 et 1280) représentant une femme cueillant des pénis dans un arbre.
Récemment, a été découverte en Italie, à Massa Marittima (Toscane) une fresque da la même époque et du même ordre.

















































































12. Cf Alfred Maury, Les fées du Moyen Age, 1843, p. 60.






















13. Les Mythes grecs, Pluriel, 1989, traduction Mounir Hafez.



































14. "Trouver et nommer Hécate" in Ephesia grammata, 2008.
















15. Martine Hennard Dutheil de la Rochère & Véronique Dasen, Des Fata aux fées : regards croisés de l’Antiquité à nos jours, 2011.












































16
. Cf. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Robert Laffont, 1993.



17
. in Anciens glossaires romans, Frédéric Diez, Paris, 1870.




















































18
.  Cf. Burchard de Worms cité par Harf-Lancner, Les fées au Moyen Age, Honoré Champion, 1984, p.23/24.











19. Aucassin et  Nicolette, XVIII,  GF, 1984







































































































20
. dont la première apparition semble bien être la description des réunions d'hérétiques dans la bulle Vox in rama du pape Grégoire IX, en 1233, contre la ville de Stedinger (Cf. Badoja, p. 94) avec orgie sexuelle et baiser sur le cul du diable qui est ici un chat noir.













































































































21
. l'adjectif "éminent" n'est pas ironique, il fut à la fois le crédule maniaque de la Démonologie et un très brillant et important juriste. Cf. l'article de Lucien Fevbre qui s'interroge sur cette contradiction.











22
. rapporté par J-M. Sallman in Les Sorcières, fiancées de Satan, Gallimard-découvertes, 1989.







23
. Delumeau donne de nombreux exemples de ces textes misogynes, de même que Beauvoir, Le Deuxième sexe, dans le chapitre "Histoire", citant en particulier Paul de Tarse.




































































































































24
. que le personnage y croit, aucun doute. Mais que l'auteur ironise, aucun doute non plus, car le lecteur ne peut pas ne pas se souvenir du Diable amoureux de Cazotte où le diable s'incarne en délicieuse Biondetta.






























































































































































24
. Et l'actualité la plus contemporaine (2018) tendrait à prouver que nous n'en avons pas fini avec elle.




25
. "très bien élevée" étant à entendre  "soumise" aux hommes, docile.


























































26
. traduction Dominique Mols in Fées, sorcières et diablesses, librio, 2002. Le titre de ce recueil témoigne de la confusion qui s'est installée entre la figure de la sorcière et celle de la fée.

27. in Les Pommes d'or du soleil, The Golden Apple of the sun, 1953, traduction Richard  Negrou, Denoël, Présence du futur, 1956.



















28. le n°1 date de 1975, la revue paraît jusqu'en 1981, d'abord bimensuelle jusqu'en 1979 puis trimestrielle.




29
. Josette Dall'Ava-Santucci, Des sorcières aux mandarines. Histoire des femmes médecins. Calmann-Lévy, 1989, 2004, p. 135)





































































30
. Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Zone (éd. la découverte), 2018, 232 p.
































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