Landes, pins maritimes et autres pins

coquillage


La forêt des Landes est une jeune forêt, même si le pin maritime est un pin installé là depuis toujours, puisque les marais n'ont commencé d'être asséchés qu'à la fin du XVIIIe siècle et plantés, ensuite, de pins maritimes pour contenir l'avancée des dunes. Leur exploitation (résine et bois) battra son plein dans la seconde moitié du XIXe  (c'est le 19 juin 1857 qu'est votée une loi sur la mise en valeur des Landes de Gascogne) et la première moitié du XXe siècle. Mais cette jeune forêt où la lumière joue à nulle autre pareille dans le filet des aiguilles a inspiré écrivains et poètes, et porte en elle la trace de la grande lande sur laquelle elle a poussé, son silence, son étendue, sa sauvagerie aussi, et sous les pins le passant oublie vite qu'il est dans une plantation.
Théophile Gautier n'en voit que les débuts, et son poème évoque en même temps l'arbre et la grande Lande dont Félix Arnaudin se fera l'historien passionné quelques années plus tard.
Guillevic, au XXe siècle, voit la forêt tout entière. Mais avant lui, Henri de Régnier, Guy Lavaud, Francis Ponge dessinent et évoquent arbres et forêt, comme le font aussi Henri Michaux, François Mauriac et Julien Gracq.

Mais avant même de s'installer dans les landes, en forêt, le pin est un arbre qui a enchanté les poètes, à commencer par Ovide :
"Et toi, pin à la tête hirsute et la chevelure serrée,
Chéri de la mère des dieux puisqu'Attis, aimé de Cybèle,
Quitta pour toi son apparence humaine et devint ce tronc dur." (Les Métamorphoses, chant X, vers 103-105, traduction Danièle Robert).
C'est lui que l'on retrouve le plus souvent dans les chansons de geste. C'est aussi lui, qu'à la faveur d'une homonymie, célèbre Marot pour faire sa cour à une demoiselle du Pin ; et c'est encore le pin dont Ronsard fait offrande à Hélène dans ses Sonnets pour Hélène, 1578.



De Mademoiselle Du Pin

     L'arbre du Pin tous les autres surpasse,
Car il ne croît jamais en terre basse,
Mais sur hauts monts sa racine se forme
Qui en croissant prend si très belle forme
Que par forêt ou aucun autre endroit
On ne saurait trouver arbre plus droit.
     Qui touchera son écorce polie,
Pour ce jour-là n'aura mélancolie,
Au chef du pin sont feuilles verdoyantes,
Et à son pied fontaines ondoyantes.
     Son bois est bon, ou coupé ou entier :
S'il est coupé hors de son beau sentier,
On en fera ou navire ou gallée
Pour naviguer dessus la mer salée ;
Si on le laisse en la terre croissant,
Il deviendra fertile et florissant,
Et produira une très belle pomme
Pour sustanter le triste coeur de l'homme.
Pour ainsi donc, en terre et sur la mer;
Tout noble coeur doit le pin estimer.

Clément Marot, Epigrammes, XIV (édition GF, 1973. Orthographe modernisée)





Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle,
Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l'envi de l'écorce nouvelle.

Faunes, qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours,
Favorisez la plante et lui donnez secours,
Que l'Eté ne la brûle, et l'Hiver ne la gèle.

Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Eglogue en ton tuyau d'aveine,
Attache tous les ans à cet arbre un Tableau,

Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine :
Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau,
Dis, Ce Pin est sacré, c'est la plante d'Hélène.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, livre II, pièce VIII. Orthographe modernisée)




Cézanne

Paul Cézanne, Le Grand pin, 1890-96, huile sur toile, MASP, São Paulo







Le Pin des Landes

On ne voit, en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes
D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;

Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au coeur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or !


Théophile Gautier, España, 1845



forêt
Un Pin

Un pin large, arrondi en une sombre masse
Est comme une île dans l'eau vive de l'espace.
Chaque branche étendue verte sur cet azur
Y jette de longs caps et de sombres presqu'îles
Et ses courbes rameaux captent d'un geste pur
Dans leurs récifs menus des golfes d'air tranquille.


Guy Lavaud (1883-1958), Poétique du ciel, 1927.





Les Pins

Les pins chantent, arbre par arbre, et tous ensemble ;
C'est toute une forêt qui sanglote et qui tremble,
Tragique, car le vent, ici, vient de la mer ;
Sa douceur est terrible et garde un goût amer
Et d'endormir nos soirs il se souvient encore
D'être né du sursaut d'une farouche aurore
Dans l'écume qui bave et la houle et l'embrun ;
Et, sous les hauts pins roux qui chantent, un à un,
Ou qui grondent en unissant de cime à cime
Le refrain éternel de leur flot unanime,
Le bonheur qui s'endort et qui ferme les yeux
Croit entendre, en un rêve encore soucieux,
La rancune ancienne et la rauque colère,
Couple hargneux qui hurle et se guette et se flaire,
Passer dans sa mémoire et mordre son sommeil ;
Et la joie, au sommet des grands arbres vermeils
Que le soir fait de pourpre et que l'heure ensanglante,
Ressemble à la colombe hamonieuse et lente
Et dont le chant roucoule et se perd et s'éteint
Dans la rouge rumeur que murmurent les pins.

Henri de Régnier, Les Jeux rustiques et divins, 1897




Rogério Medeiros
Plage de Silveira, photographie Rogério Medeiros



Dans La Nuit remue, publié en 1934, Henri Michaux (1899-1984) évoque la pinède comme un lieu d'apaisement si l'on sait en utiliser les vertus d'où son "Conseil au sujet des pins" :



pins

La pineta litoranea, la pinède côtière, près de Ravenne, où se déroulent les apparitions dans la huitième histoire de la cinquième journée du Décaméron, Boccace.




Un bruit monotone ne calme pas nécessairement. Une foreuse ne calme personne, sauf peut-être le contremaître. Néanmoins, c'est dans les bruits monotones que vous avez le plus de chance de trouver le calme.

Ce qu'il y a d'agréable dans le bruit du vent soufflant sur une forêt de pins, c'est que ce bruit n'a aucune arête, il est rond. Mais il n'a rien de glauque. (Ou bien calme-t-il parce qu'il nous induit à imaginer un être considérable et débonnaire, incapable de sortir absolument de ses gonds?)

Cependant, il ne faut pas trop regarder la cime des pins secoués par grand vent. Car si l'on venait à s'imaginer assis sur leur faîte, dans un tel balancement, l'on pourrait et bien plus naturellement que se trouvant sur une balançoire ou dans un ascenseur, à cause de ce bizarre et superbe mouvement là-haut, se sentir emporté, et, quoique s'efforçant de ne pas y songer, bien éloigné pour sûr de vouloir méditer ce balancement, on en est sans cesse occupé, on se sent toujours au sommet vacillant d'un pin, on ne peut plus redescendre à terre.






En 1940, Francis Ponge se met en quête de l'expression d'un "bois de pins". Dans un carnet, où il note jour après jour, à partir de deux vers initiaux, peu satisfaisants puisque ouverts aux permutations, le travail de conquête de l'écrivain cherchant, à travers l'effet que produit le bois de pins, les mots qui l'installeraient définitivement sur la page. Du 7 août au 9 septembre, où il abandonne  "FIN DU BOIS DE PINS / A PARTIR D'ICI L'ON SORT / DANS LA CAMPAGNE.", il note, vient, revient, écrit, réécrit ce "bois de pins", dont l'aventure se prolonge dans une correspondance avec un ami en 1941. Celui-ci avait lu le texte qu'un autre ami s'était chargé de dactylographier à Marseille et voulait le publier.
On peut comprendre que Ponge n'ait pas été satisfait du résultat. La logique de l'écriture et des associations le conduisent à une évocation où le parfum dominant, le bois de pins s'imprègne d'une atmosphère aquatique qui en éloigne, malgré la notaton du 20 août, sur la sécheresse ; mais la démarche poétique reste une magnifique leçon d'écriture.
Finalement, le texte ne sera publié qu'en 1947.



9 août 1940 - le soir
[...] il faut que je revienne au plaisir du bois de pins.
De quoi est-il fait ce plaisir ? — Principalement de ceci : le bois de pins est une pièce de la nature, faite d'arbres tous d'une espèce nettement définie ; pièce bien délimitée, généralement assez déserte, où l'on trouve abri contre le soleil, contre le vent, contre la visibilité ; mais abri non absolu, non par isolement. Non ! c'est un abri relatif. Un abri non cachottier, un abri non mesquin, un abri noble.
C'est un endroit aussi (ceci est particulier aux bois de pins) où l'on évolue à l'aise, sans taillis, sans branchages à hauteur d'homme, où l'on peut s'étendre à sec, et sans mollesse, mais assez confortablement.
Chaque bois de pins est comme un sanatorium naturel, aussi un salon de musique... une chambre, une vaste cathédrale de méditation (une cathédrale sans chaire, par bonheur) ouverte à tous les vents, mais par tant de portes que c'est comme si elles étaient fermées. Car ils y hésitent.
[...]
12 août 1940
Une infinité de cloisonnements et de chicanes fait du bois de pins l'une des pièces de la nature les mieux combinées pour l'aise et la méditation des hommes.
Point de feuilles s'agitant. Mais au vent comme à la lumière tant de fines aiguilles sont opposées qu'il en résulte une températion et comme une défaite presque complète, un évanouissement des qualités offensives de ces éléments et une émanation de parfums puissants. La lumière, le vent lui-même y sont tamisés, filtrés, freinés, rendus bénins et à proprement parler inoffensifs. Alors que les bases des troncs sont parfaitement immobiles, les faîtes sont seulement balancés...
[...]





les landes, du côté de Mimizan
La forêt des Landes (auteur inconnu)


20 août 1940
Le pin (je ne serais pas éloigné de dire que) est l'idée élémentaire de l'arbre. C'est un I, une tige et le reste importe peu. C'est pourquoi il fournit — de ses développement obligatoires selon l'horizontale — tant de bois mort. C'est que seule importe la tige, toute droite, élancée, naïve et ne divergeant pas de cet élan naïf et sans remords ni retouches ni repentirs (dans un élan sans repentir, tout simple et droit.) Tout évolue aussi vers une parfaite sécheresse."

Francis Ponge, La Rage de l'expression, éd. Gallimard, 1976





A quoi répond un texte de Julien Gracq dans Lettrines 2 (Corti, 1974) :




Il reste à dire sur le pin après le remarquable et aigu Carnet du bois de pins de Francis Ponge (Il restera toujours). Sa relation vitale avec le sol sableux qu'il natte, feutre, stérilise et désherbe, afin que rien ne se perde dès le collet, de la grâce exotique et japonaise qu'a parfois la torsion capricieuse du tronc. Comment il utilise la jonchée sans couture autour de lui de ses aiguilles : à la manière d'un miroir qui renverrait et répercuterait non son image, mais sa chaleur et son odeur torréfiée ; ainsi le sol lustré, cuirassé par lui est pour son essence résineuse et odorante ce qu'est à une plante aquatique le miroir d'eau qui exalte sa verticalité. Imaginons, pour preuve a contrario, un pin au milieu d'un labour — bouleversée la petite clairière rituelle, stérilisée, lisse et sèche qu'il moquette autour de lui — et se tordant nu vers le soleil, pareil à un musulman sans son tapis de prière.




Mais dès avant, dans Lettrines (Corti, 1967), Gracq avait rassemblé des "Eléments du paysage des Landes" incluant toutes les étapes de la vie du pin, non plus isolé, mais dans le collectif de la pinède :



[...]
     Les pinèdes plantées serrées sont laides, à cause de la raideur des troncs verticaux que rien ne coupe ou dissimule ; de lugubres futaies de poteaux télégraphiques éclaffés au pied de leur longue entame neuve. Plus au large, plus aérées — c'est une claire forêt solaire, où le pin tord ses branches à l'aise comme la ferraille dans le grésillement d'un brasier : tout ici est crépitement — soleil décollant les lamelles d'écorce, déhiscence claquante des pignes, aiguilles sèches sous le pied du promeneur : tout glorifie la sécheresse combustible. La double bande, d'un vert lumineux, de l'herbe au bord de la route, y fait une allée de fraîcheur, débouche de loin en loin sur des clairières de conte de fée, où les maisonnettes couchées à l'ombre sur la pelouse ont la dispersion bizarre et rêveuse d'un troupeau qui rumine logé au large sous les chênes.
     Beauté des grandes coupes de pins et des espaces incendiés où les arbres repoussent : simples surgeons encore d'un mètre de haut à peine. Au loin, à des kilomètres, les falaises noir-violet des troncs serrés contre lesquels vient battre la lande ; et on entend le bruit orageux du ressac passer sur la mer libre.
     De loin en loin, les hautes piles de planches, les tas de sciure jaune au milieu de la coupe dépeuplée, les barils de résine, paraissent une concrétion de ces espaces gréés de bruissements et de soleil aussi improbable que l'ambre ou l'écume de la mer. C'est par un malentendu que cette gâtine produit : elle est un beau luxe de sauvagerie et de rêve, l'espace de Sahara nécessaire qu'un pays a besoin, pour respirer, de retirer du circuit économique — elle travaille à sa rumeur et à son odeur. Dédiée au sable, au vent et au soleil — et à l'arbre entre tous qui passe entre eux sans briser leur absence — ce qui fait le moins d'ombre et le plus de musique.









D'une promenade en Sologne, en fin de journée, Gracq dans une note de Lettrines (1967), rapporte qu'elle était "délicieuse, et la vue la plus approchée jusqu'ici que je connaisse des jardins d'Eden."
Mais il ajoute :
"Çà et là seulement, quand on longe une sapinaie, le froissement de mer du vent dans les branches ramène au sens du lointain et de l'étendue, de l'ailleurs, et un instant froisse au coeur le sentiment épanoui et protégé qu'on avait du jardin sauvage. Et plus encore, dans cette solitude aimable, y ramène le pin isolé, ramassant toujours autour de lui cette aura tragique et hargneuse qu'ont ressentie les poètes des chansons de geste — noir et immobile comme un homme qui guette, qui pressent et qui se souvient, au milieu de cette vie confuse et naïve."

Arcachon

La forêt descendant sur le bassin d'Arcachon

Pins

Pins qui restez debout à crier, malhabiles,
Sur l'étendue des landes

Où rien ne vous entend que l'espace en vous-mêmes
Et peut-être un oiseau qui fait la même chose —

Lorsque vous avez l'air d'être ailleurs, occupés,
Livrés à tous les ciels qui sont livrés aux vents,

C'est pour mieux retenir le silence et le temps,
Et vous continuez à ne pas abdiquer,

Et vous êtes pareils
Aux hommes dans la ville.

Eugène Guillevic, Avec, 1966




François Mauriac évoque mieux que quiconque la forêt des Landes, dans la majorité de ses oeuvres, en particulier Thérèse Desqueyroux (1927), sans oublier le poème qu'il a consacré au pin, Le Sang d'Atys, auquel il a travaillé de 1927 à 1938. Mais aussi dans un court texte publié en 1925, dans la Revue hebdomadaire, puis repris et corrigé sous le titre "Commencements d'une vie", enfin publié de nouveau en 2009, sous le titre Bordeaux, il évoque ses vacances d'enfant et d'adolescent dans les Landes :




[...] alors comme aujourd'hui, j'écoutais le vent dans les pins, mais je ne le sentais pas sur mon visage. Le vent d'équinoxe, arrêté par l'immense forêt odorante et chaude, ne se décèle qu'au glissement des nuages, qu'au balancement des cimes, à ce bruit de mer qu'elles font dans le ciel.
     Bruit de mer ? Telle est la comparaison accoutumée. Mais le vent dans les pins gémit moins sauvagement que l'Atlantique ; il ne pousse pas ce cri d'un monstre aveugle et sourd ; c'est une plainte éolienne, une plainte humaine ; elle entre en moi qui suis immobile au milieu des arbres sans nombre; et mon être profond collabore à ce gémissement indéfini, comme si je n'étais qu'un pin entre mille autres et que le souffle envahit. Plus que par le bruit du vent, peut-être, le souvenir de la mer est-il ici éveillé par le balancement des cimes — mâts géants d'une immense flotte ensablée.

François Mauriac,
Bordeaux, éd. L'Air du temps, 2009









A lire
: un très joli petit livre de Pascal Mayer (ingénieur forestier), Le Pin maritime, illustré par Fabien Seignobos, chez Actes Sud, dans la collection "Le nom de l'arbre", 2007.



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