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Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Jules Verne, 1872

coquillage








Jules Verne, portrait de Carjat

Portrait de Jules verne, Etienne Carjat











L'auteur :

     Il est né à Nantes, le 8 février 1828, dans une famille bourgeoise ; son père est avoué et avocat. Il est le premier enfant de cette famille qui en comptera 5 (un autre garçon et trois filles). Il passe dans cette ville son enfance et son adolescence avant de partir à Paris, terminer des études de droit, en 1848. Il sera diplômé en 1849. Mais ce qui l'intéresse vraiment c'est la littérature.
Il rencontre et fréquente les écrivains de son époque et se lie d'amitié avec Alexandre Dumas fils (le fils de l'auteur des Trois mousquetaires). Ils ont le même âge et écrivent ensemble des pièces de théâtre qui seront représentées sur les scènes parisiennes. Grâce à cette amitié, il trouve un petit travail dans un théâtre et continue d'écrire, s'essayant aussi, avec un autre ami, à la composition de pièces lyriques. En 1856, à Amiens, au mariage d'un ami, il rencontre une jeune veuve, Honorine, et tombe amoureux. Ils se marient en 1857. Jules Verne est devenu agent de change grâce à un investissement paternel, mais ne perd pas de vue la littérature.
En 1862, Alexandre Dumas père le présente à un éditeur, Pierre-Jules Hetzel (1814-1886). Verne lui fait lire le manuscrit de son premier récit, intitulé alors "Un voyage dans les airs". Le caractère de vulgarisation scientifique de cette oeuvre enthousiasme Hetzel qui se met au travail avec celui qui deviendra SON auteur. De corrections en réécriture, le roman, devenu Cinq semaines en ballon, est publié en 1863 et rencontre un succès immédiat. La collaboration des deux hommes ne fait que commencer ; les récits sont publiés d'abord dans le Magasin d'Education et de Récréation, un périodique que lance Hetzel en 1864; il n'est vendu que sur abonnement, imprimé sur deux colonnes et abondamment illustré ; il édite, ensuite, une série spéciale pour accueillir les romans de Verne, Les Voyages extraordinaires dans une collection nommée "Bibliothèque d'Education et de Récréation"(à partir de 1867) qui s'ouvre sur l'avertissement suivant de l'éditeur :




Les ouvrages parus ou à paraître embrasseront ainsi dans leur ensemble le plan que s'est proposé l'auteur, quand il a donné pour sous-titre à son oeuvre celui de "Voyages dans les mondes connus et inconnus". Son but est, en effet, de résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne, et de refaire, sous la forme attrayante et pittoresque qui lui est propre, l'histoire de l'univers.




Entre 1863 et 1904, Verne publie 62 romans et 18 nouvelles. Son fils, après la mort de l'écrivain, en 1905, en poursuivra quelques-uns, laissés inachevés par leur auteur.




Quelques oeuvres parmi ces 62 romans :

Les Enfants du capitaine Grant (1865-67)
Vingt mille lieues sous les mers (1866-69)
L'Ile mystérieuse (1873-74)
Michel Strogoff (1876. Moscou-Irkoutsk)



Les Indes noires
(1876-77. Les mines de charbon)
Les Tribulations d'un Chinois en Chine (1878)
La Jangada (1880. Une descente de l'Amazone)
César Cascabel, (1890, l'univers des saltimbanques)
Claudius Bombarnac (1891. La mer Caspienne-Pékin en train)




Le roman :

publié en feuilleton, en 1872, dans Le Temps (lancé en 1861, c'est un journal très important) le récit sort en volume en 1873. C'est un des plus grands succès de Verne ; 800.000 exemplaires vendus entre 1873 et la mort de l'écrivain, en 1905. L'idée en serait venue à Verne  à la lecture d'un journal, en 1870, où un article démontrait qu'avec l'ouverture du Canal de Suez en 1869, on pouvait faire le tour du monde en 80 jours.
Dans ses souvenirs, Jules Verne raconte ainsi l'anecdote :




Le Tour du monde en quatre-vingts jours
fut le résultat d'une réclame de tourisme dans un journal. Un paragraphe attira mon attention. On affirmait qu'il était possible maintenant de faire le tour du monde en quatre-vingts jours et immédiatemment germa dans mon esprit cette idée que le voyageur profitant de la différence des heures pendant les méridiens pouvait gagner un jour suivant qu'il se dirigeait vers l'est ou vers l'ouest. Ce fut cette seule pensée qui fut le pivot autour duquel gravitait tout le récit. Vous vous rappelez que c'est cette circonstance qui permit à Phileas Fogg d'arriver encore à temps et de gagner son pari alors qu'il croyait l'avoir perdu.




De cette idée, Verne tire une intrigue simple mais efficace reposant sur un pari entre gentlemen appartenant au même club select de Londres : la somme en jeu est de 20.000 livres. Phileas Fogg parie qu'il réussira à faire le tour du monde en 80 jours, ce que ses collègues estiment impossible.
Mais avant que d'en faire un roman, Verne a d'abord envisagé une pièce de théâtre. Il y reviendra ensuite, en 1874, pour en écrire une seconde version avec Adolphe Demery qui est montée au théâtre de la Porte-Saint-Martin. La pièce est un grand spectacle "avec éléphants, serpents boas articulés qui se dressent en sifflant, locomotive, et bon nombre de figurants tour à tour Indiens et Peaux-Rouges." (Jules Verne, Sa vie et son oeuvre,  Charles-Noël Martin, éd. Rencontre, 1970) à l'immense succès : deux ans de représentations dans le même théâtre, de dix à douze mille francs de recettes chaque soir. La pièce sera exportée dans le monde entier et connaîtra des milliers de représentations.  Avec le récit et la pièce, Jules Verne devient une célébrité et un homme riche.



Les personnages :

— Le parieur, Phileas Fogg,  est un Anglais —tel que peuvent se l'imaginer des Français — dandy exemplaire (Il est comparé à Byron pour la beauté et habite la maison d'un autre écrivain, Sheridan), homme flegmatique et mystérieux, riche, sans occupation connue, qui ne fait rien comme tout le monde et dont le comportement est rigoureux, mathématique, extrêmement routinier, voire quelque peu maniaque. Son nom le caractérise doublement. Son prénom est le nom d'un géographe grec dont Le Grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane de Louis Moreri, publié en 1759, rappelle dans une courte notice qu'il avait décrit l'Asie et la Grèce et que Macrobe en parle. Le début du récit suppute d'ailleurs les connaissances précises que possède Phileas Fogg des pays étrangers. Quant au mot "fogg", même avec ses deux g, il évoque le brouillard qui, pour un Français, est une caractéristique londonienne ; ce brouillard brouille, par ailleurs, le personnage, puisque nul ne sait rien de lui.

— son domestique, Passepartout, est un Français,  engagé le jour même du pari, qui en est tout l'opposé. Energique, impulsif, bavard, sociable et expansif, aventurier désireux de se ranger, il va être à la fois une aide et une entrave pour son maître. Pour lui aussi, le surnom "Passepartout" hérité de ses années d'acrobate (il a aussi travaillé dans un cirque), dessine un avenir dans lequel il prouvera ses capacités de passer, en effet, partout.

— Pour qu'il puisse y avoir aventure, il faut un opposant. Ce sera Fix (dont le nom évoque naturellement l'idée fixe), policier persuadé que Fogg est un cambrioleur talentueux qui vient de délester la banque d'Angleterre d'une somme conséquente, et bien décidé à l'appréhender. Comme Passepartout est à la fois, ou successivement, un obstacle et une aide pour son maître, ainsi en est-il de Fix qui d'opposant peut se faire adjuvant.


Mrs Aouda, James Prunier



Mrs Aouda
( dessinée ci-contre par Jame's Prunier), qui n'est jamais nommée autrement, est le seul personnage féminin de l'histoire. Elle fournit la note sentimentale qui complète cette aventure, sans compter le rôle qu'elle joue dans le dénouement. Son nom a une consonnance arabe (bien qu'elle soit Indienne et parsi) et dans cette langue signifie "chemin de la vérité". Il n'est pas exclu, compte tenu de sa fonction dans le roman, que Jules Verne ait choisi ce nom pour sa sonorité aussi douce qu'exotique comme pour sa signification. N'est-elle pas le personnage qui donne à ce tour du monde un véritable sens, celui de la rencontre de l'amour ?





Le roman va ainsi "mouliner", comme le montre la caricature de Gill, et selon les principes de Verne, l'aventure dans laquelle Passepartout aura un rôle essentiel, la découverte géographique qui est aussi le fait de Passepartout — Phileas Fogg se contentant de calculer le temps imparti à son parcours et de financer les moyens de locomotion au fur à mesure des nécessités — et l'information technique sur les moyens de transports modernes : trains et paquebots, ce qui n'empêche pas les personnages d'emprunter des transports plus exotiques : l'éléphant, pour traverser une partie de l'Inde ; une goélette pour aller de Hong Kong à Shanghaï et même un traîneau à voile pour traverser une partie des Etats-Unis.

L'itinéraire

Phileas Fogg et Passepartout quittent Londres en train à destination de Paris. De Paris, toujours en train, ils vont à Brindisi, en traversant les Alpes par le tunnel du mont Cenis. A Brindisi, ils embarquent à bord d'un paquebot qui, via le canal de Suez et une escale dans cette ville, rallie Bombay (Indes). Le projet de Phileas Fogg est de rejoindre Calcutta en train, mais la voie étant inachevée, les deux hommes poursuivent leur voyage à dos d'éléphant. Ainsi peut se donner libre court le récit exotique dont le sauvetage de Mrs Aouda sera le point fort. A Calcutta, ils s'embarquent sur un nouveau paquebot en direction de Hong-Kong où ils prendront un autre bateau pour Yokohama, au Japon, mais un contretemps oblige Phileas Fogg à s'embarquer pour Shanghai et c'est au large de cette ville chinoise qu'il rattrape un paquebot en route pour Yokohama. De Yokohama, un autre paquebot conduit les voyageurs à San Francisco où ils prennent un train pour Chicago. L'aventure continuant, ils ne rejoindront cette ville que dans un traîneau à voile, pour y prendre le train pour New-York d'où ils partiront pour Liverpool où un train spécial les conduira à Londres.
Ainsi Phileas Fogg a accompli son tour du monde en partant vers l'est et en revenant par l'ouest, puisque Verne voulait jouer avec les méridiens et les changements d'horaires.

caricature de Gill
Caricature d'André Gill à l'occasion de la représentation de la pièce tirée du Tour du monde en 80 jours.




Ray Bradbury et Jules Verne

En septembre 1978, la revue Futurs publie un entretien entre Philippe Curval, écrivain de science-fiction français, né en 1929, et Ray Bradbury, écrivain américain, (1920- 2012), devenu célèbre en France grâce à ses Chroniques martiennes (1950). Ray Bradbury était venu en France, en juillet 1978, pour participer à un Colloque de Cerisy consacré à Verne.
Il fait part de l'influence qu'a exercée Jules Verne sur son travail d'écrivain :



Ray Bradbury : [...] D'une certaine manière, on peut dire que Melville et Verne ont changé ma vie.

Philippe Curval : Que pensez-vous alors de l'opinion de ceux qui affirment que Jules Verne a faussé dès le départ l'image de la Science-Fiction en privilégiant la science par rapport à l'Homme ?

Ray Bradbury : Il y en a qui disent ça ! mais ce n'est pas vrai ! Toutes les histoires de Jules Verne sont pleines d'humanité. Voyez Le Tour du monde en quatre-vingts jours : l'humour, la subtile description des caractères, tout concourt à magnifier le courage humain et à justifier l'orgueil qu'on peut avoir à accomplir une œuvre qu'on s'est proposée. Bien sûr, ses héros utilisent la technologie, mais c'est seulement pour parvenir à leurs fins ; ils n'adorent pas la technologie. Voyez, dans L'Île mystérieuse : Jules Verne vous invite à devenir l'un des cinq ou six Robinson Crusoé de son histoire et à voir si vous pouvez, tout seul, vous créer une science propre. Ses héros y parviennent et deviennent leurs propres maîtres, malgré les incroyables forces de la nature qui s'y opposent, c'est une bonne leçon.
Dire que Jules Verne a privilégié la science, c'est un peu comme si quelqu'un prétendait que le vol sur la Lune est une expérience purement scientifique. Ce qui compte, ce n'est pas que la fusée ait atterri, c'est qu'Armstrong et, avec lui, toute l'Humanité, y ait débarqué. Tout ce que Jules Verne dit, c'est : "nos yeux sont faibles, nos mains sont courtes ; construisons des outils qui nous permettent d'atteindre cent, mille, un million de kilomètres. Il ne s'agit pas de devenir des machines, mais d'obtenir une supra-perception de l'Humanité qui nous amène à voir et à comprendre davantage."









A voir
: des illustrations tirées de la pièce de théâtre adaptée du roman en 1874.
A découvrir : la bibliographie commentée des oeuvres de Jules Verne.
Un dossier consacré à l'écrivain par la Cité des Sciences, Paris, à l'occasion d'une exposition en avril 2005
Le musée qui lui est consacré à Nantes
A écouter : une conférence de Michel Butor à Aubervilliers (Les Lundis du Collège de France, 2007-2008), "Les Mondes utopiques de Jules Verne".
La rediffusion d'une émission de Concordance des temps (France culture, Jean-Noël Jeanneney), 10 juin 2006, consacrée à l'écrivain.



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