Roméo
et Juliette,
William Shakespeare, vers 1595
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A propos de Shakespeare ce site contient : 1. La structure de Roméo et Juliette - 2. La conception du théâtre de Shakespeare - 3. Un extrait de Shakespeare, dramaturge élisabéthain, Henri Fluchère, 1966 (la scène élisabéthaine) - 4. Un extrait de Shakespeare et le théâtre élisabéthain, Robert Payne, 1983 - 5. Shakespeare comme modèle littéraire - 6. Roméo et Juliette : tragédie politique ? - 7. Un extrait de William Shakespeare, Victor Hugo, 1864 - 8. Comme il vous plaira - 9. Hamlet - |
Tu es un monument sans tombe Et tu resteras en vie tant que ton Livre vivra. Ben Jonson
(poème introduisant la première
édition des oeuvres de Shakespeare, in-Folio,
1623)
Le plus grand
créateur après Dieu.
Alexandre Dumas
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L'auteurné en 1564 à
Stratford-sur-Avon (à deux jours de cheval de Londres), dans
une famille aisée, dont il est le 3e
enfant et le premier
fils, il est baptisé le 26 avril. il appartient donc
à une famille catholique, en des temps où la
question religieuse agite l'Angleterre.
On ne sait rien de son enfance. Mais il est probable qu'il reçut l'éducation habituelle d'un fils de bonne famille, même s'il n'a pas fréquenté l'université puisqu'il devient l'apprenti de son père. Il se marie en 1582 avec Anne Hathaway dont il aura trois enfants (une fille née en février 1583, des jumeaux — un garçon et une fille, nés en 1585). Entre 1585 et 1592 où l'on retrouve sa trace à Londres (il est suffisamment célébre pour susciter des pamphlets à son encontre ; celui de Robert Greene, dramaturge lui-même (1558-1592) le traite "d'arriviste", de "coeur de tigre enveloppé dans le peau d'un acteur"), on ne sait rien de lui. Comme on a pu recenser vingt cinq passages de troupes de théâtre à Stratford entre 1569 et 1587, peut-être Shakespeare s'est-il fait engager dans l'une ou l'autre. Entre 1590 et 1592 est sans doute représentée, ce qui serait sa première pièce, la trilogie historique d'Henri VI. Quand Shakespeare arrive à Londres, les grands noms du théâtre sont alors Christopher Marlowe (1564 - 1593) qui meurt dans une rixe et Thomas Kyd (1558 - 1594). Leur mort prématurée laisse le champ libre au nouvel auteur. Entre 1592 et 1594, les théâtres sont fermés en raison d'une épidémie de peste qui fait 20.000 victimes, c'est de cette époque que datent les oeuvres poétiques. La peste est une donnée courante du temps, de nouvelles épidémies frappent la ville en 1603, puis en 1623. Entre 1592 et 1600, Shakespeare écrit à la fois des pièces historiques et des comédies. S'il n'innove pas en terme d'intrigues (il les prend aussi bien dans le folklore que dans la littérature), il semble avoir eu un sens aigu de la dramaturgie qui lui assure un succès immédiat autant que durable. 1596 : mort de son fils. Cette année-là, il dépose une demande d'annoblissement qui lui sera accordée. Fait qui témoigne d'un statut des comédiens bien différent en Angleterre, même s'ils sont regardés avec suspicion et un certain mépris, de ce qu'il est, et sera pour longtemps encore, en France où ils sont au ban de la société. 1598 : publication de Peines d'amour perdues sous le nom de Shakespeare. Dramaturge et acteur, il est aussi l'un des actionnaires du Théâtre du Globe avec les deux frères Burbage et quatre autres comédiens de la Troupe. Il passe sa vie à Londres, sans jamais changer de compagnie, mais augmente son patrimoine à Stratford-sur-Avon, dont il est devenu l'un des plus riches habitants. Après l'incendie (accidentel) du Globe, en 1613, il semble s'y réfugier, rédige son testament en 1616 et meurt la même année, le 23 avril. Dramaturge prolifique, Shakespeare ne laisse pas moins de 36 pièces et trois recueils de poèmes : Vénus et Adonis (1593), Le Viol de Lucrèce (1594), tous deux dédiés au comte de Southampton, et des Sonnets (publiés en 1609). En 1623, est publiée la première édition complète de son oeuvre ( à l'exception de deux pièces : Périclès, 1608-09, et Les Deux nobles cousins, 1613-14, sa dernière pièce) par Robert Heminge et Henry Condell, deux acteurs. Ben Jonson qu'il avait aidé et qui était devenu son ami signe le poème introducteur et dira de lui qu'il "était en vérité intègre, d'un naturel ouvert et généreux" — He was indeed honest, and of an open and free nature, Timber or Discoveries. - |
![]() William Shakespeare,
gravure de Martin Droeshout, illustrant la page de titre de la
première édition des Oeuvres
complètes,
le Folio,
en 1623 (Bodleian Library, Oxford)
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Il y a quatre amphithéâtres à Londres, d'une beauté notable qui portent les noms correspondant à leurs enseignes respectives. Dans chacun d'entre eux, on joue une pièce différente tous les jours pour le bénéfice du populaire. Les deux plus magnifiques se situent au sud, au-delà de la Tamise et comme l'annoncent les enseignes qui y sont suspendues, s'appellent "La Rose" et "Le Cygne". De tous les théâtres cependant, le plus grand et le plus magnifique est celui qui a pour enseigne un Cygne et que dans la langue du pays, on appelle le Théâtre du Cygne car il offre place à 3000 personnes et est construit à grand renfort de rognons de silex dont la Grande Bretagne a de prodigieuses réserves, étayé par des colonnes de bois si excellemment peintes pour imiter le marbre que le regard le mieux exercé peut s'y tromper. Parce que sa forme rappelle celle d'un édifice romain, j'en ai fait un croquis. |
Intérieur
du théâtre du Cygne en 1596 (dessin de Arnold van
Buchell — Arnoldus Buchelius — d'après la description de J. de Witt)
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"On sait par quelques descriptions, un croquis de De Witt et le contrat de construction de La Fortune, quelle était la structure d'un théâtre public. D'extérieur circulaire, hexa- ou octogonal, l'édifice ménageait au centre comme un puits, une cour à ciel ouvert où le peuple massé, debout, mangeait, buvait, trépignait. Deux ou trois galeries couvertes de chaume s'étageaient dans l'enceinte, où prenaient place les personnes de qualité. La scène, dressée à hauteur d'homme, en partie surplombée d'un toit, de huit mètres et profonde de dix, s'avançait comme un coin dans le parterre, dont une balustrade l'isolait. Trois aires de jeu y voisinaient : à l'avant-scène prolongée jusqu'aux piliers du toit, se donnaient les batailles, les duels, les frairies champêtres — à l'arrière, dans une alcôve que découvrait une courtine, les adultères et les trépas se consommaient — au premier étage, un balcon sous auvent figurait aussi bien une chambre de pucelle que les remparts d'un château-fort. On y pendait suivant les circonstances, des lés d'Arras, des oriflammes ou des voiles de deuil. Habilement pratiquée dans le plancher, une trappe livrait passage aux spectres et aux démons ; cependant que du toit, ou "ciel", parfois descendaient "les chérubins aux jeunes yeux". Outre les tapisseries, les décors se réduisaient à l'indispensable : un arbre était une forêt, un roc une falaise, et pour pallier l'insuffisance des imaginations, une pancarte confirmait le vrai lieu de l'intrigue. La splendeur des costumes, la variété des travestis, de velours, de brocart, de satin, de dentelle, contrastait heureusement avec cette indigence. Point de femmes ; les rôles féminins étaient tenus par des éphèbes au port gracile, à la voix frèle. On le voit, un tel théâtre en appelait à la constante complicité des spectateurs." Jean Paris, Shakespeare par
lui-même, Seuil, 1954
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La véritable invention, ce n'est pas d'écrire le premier la nouvelle, c'est de l'animer du souffle de la vie, c'est d'en tirer Roméo et Juliette, c'est de s'approprier à jamais le sujet, et d'éteindre le nom de Luigi da Porta, ou de Bandello, sous l'éclat du nom de Shakespeare. Ferdinand Brunetière, Théorie du lieu commun, Revue des deux Mondes, 15 juillet 1881
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On a peine à se
pénétrer des attitudes de l'époque, qui avait un
tout autre sens de la propriété littéraire et des
rapports des auteurs entre eux, et qui devait considérer les
histoires comme quasi anonymes, à la disposition de tous. Le
récit n'étant en lui-même qu'une sorte
d'ébauche, la simple indication d'une situation et d'une
série d'événements, le travail consistait
précisément à l'adapter, à lui trouver un
possible nouveau et décisif. [...]
Racine et Shakespeare permettent de comprendre que depuis le début on récrit toujours d'une manière ou d'une autre, on modifie sans arrêt ce qui existe déjà, et que l'originalité, forme particulière de l'imitation, réside souvent ailleurs que là où on la cherche, et très souvent dans la configuration que l'on donne aux matériaux des autres. Michael Edwards, Racine et Shakespeare, éd. PUF,
2004, pp. 105-106
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Qu'est-ce qui fait que
Shakespeare est "Shakespeare" ?
Peut-être
la conjugaison de deux talents : d'un côté, l'art
de
recombiner ainsi des éléments de l'histoire pour
lui
donner plus de force dramatique, et, de l'autre, la capacité
d'investir en imagination les personnages (dans la situation
où
l'histoire les a placés) pour leur faire dire de
façon
saisissante les émotions et les sentiments qu'ils
éprouvent. Le génie poétique
s'articule sur le
génie dramatique. Le dramaturge maîtrisait l'art
de
transformer en destins exemplaires des histoires
(authentifiées
ou non) qui illustrent l'ordinaire de la vie (amours
contrariées, jalousie meurtrière,
méprise fatale,
etc.), et le poète celui de transfigurer ces
destinées
singulières en itinéraires spirituels. Macbeth est
une histoire d'ambition criminelle dans laquelle les mots de
Shakespeare nous font vivre la destruction d'une conscience par le mal
qu'elle a consenti.
Victor
Bourgy, "Problématique de la poétique
shakespearienne", Magazine
littéraire, décembre 2000
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Shakespeare était un puissant assimilateur. Il s'amalgamait le passé. Il cherchait, puis trouvait ; il trouvait, puis inventait ; il inventait, puis créait. Une insufflation sortait pour lui du lourd tas des chroniques. De ces in-folios il dégageait des fantômes. Fantômes éternels, les uns terribles, les autres adorables. Richard III, Glocester, Jean sans Terre, Marguerite, Lady Macbeth, Regane et Goneril, Claudius, Lear, Roméo et Juliette, Jessica, Perdita, Miranda, Pauline, Constance, Ophélia, Cordélia, tous ces monstres, toutes ces fées. Les deux pôles du coeur humain et les deux extrémités de l'art représentées par des figures à jamais vivantes d'une vie mystérieuse, impalpable comme le nuage, immortelle comme le souffle. La difformité intérieure, Iago ; la difformité extérieure, Caliban; et près de Iago le charme, Desdémona, et en regard de Caliban, la grâce, Titania. Victor Hugo, préface à la
traduction des oeuvres de Shakespeare de François-Victor Hugo, 1865.
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