11 décembre 1810 : Alfred de Musset

coquillage



A propos de Musset, ce site contient
: 1. Une présentation d'On ne badine pas avec l'amour - 2. Le texte de la Nuit de décembre -










Portrait de Musset par Landelle

Portrait de Musset par Charles Landelle (1812-1908), musée du Louvre
Dumas le décrit ainsi, en 1830, chez Nodier : " [...] un jeune homme de taille ordinaire, mince, blond, avec les moustaches naissantes, de longs cheveux bouclés rejetés en touffes d'un côté de la tête, un habit vert très serré à la taille, un pantalon de couleur claire, entra, en affectant une grande désinvolture de manières, qui n'était peut-être destinée qu'à cacher une timidité réelle.
C'était Alfred de Musset." (Les Morts vont vite, 1861)


     Il vient au monde à Paris dans une famille cultivée et relativement aisée. Le grand-père maternel (Guyot-Desherbiers), magistrat, avait fréquenté les écrivains du XVIIIe et Carmontelle en particulier, se fit à l'occasion poète et éditeur, et les témoignages lui accordent un joli talent de conteur. Le père, Musset-Pathay, a édité l'oeuvre complète de Jean-Jacques Rousseau.  Alfred a un frère aîné, né en 1804, Paul, qui semble voué à protéger son petit frère pendant toute sa vie, et après sa mort même. En 1819, naît une petite soeur : Hermine.
Enfance heureuse, protégée, choyée, puis scolarité brillante au lycée Henri IV.
En 1827, après son bac,  il devient étudiant. Etudiant aussi dilletante qu'il avait été lycéen sérieux, il s'inscrit d'abord en droit, puis abandonne pour la médecine, puis se tourne vers le dessin, puis la musique. Bref, le jeune Alfred ne sait pas du tout ce qu'il veut faire. Il se mêle à une jeunesse dorée, jeunes aristocrates plus fortunés que lui ; il fait les quatre cents coups, c'est-à-dire nuits blanches, alcool, jeu et prostituées.
Il s'est lié d'amitié avec Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, qui le présente à ce dernier. Il lui confie ses goûts littéraires et son désir d'écrire du théâtre "[...] je voudrais être Schiller ou Shakespeare." (lettre du 23 septembre 1827). Grâce à cette amitié il est introduit dans le cercle de Nodier, à l'Arsenal, où il fait la connaissance des jeunes romantiques (Lamartine, Dumas, Vigny, Sainte-Beuve, les frères Devéria, Delacroix), dont il est toutefois le benjamin et dans le Cénacle, plus restreint, qui vient de commencer à se réunir chez Victor Hugo, rue Notre Dame des Petits Champs, autour de ce dernier et de Sainte-Beuve.
Il est bien accueilli partout, sa jeunesse, son intelligence y sont pour beaucoup.
En 1829, il publie les Contes d'Espagne et d'Italie : le livre est en fait un recueil de poèmes, à la fois de pièces assez brèves et de pièces longues, dont certaines (Les Marrons du feu) adoptent une forme théâtrale, avec didascalie initiale, dialogue et didascalies internes. Le recueil se signale par un romantisme marqué (exotisme, sentiments excessifs, volonté visible de choquer dans la versification), tellement qu'il peut parfois pousser le lecteur à se demander s'il n'y a pas là une intention caricaturale. Un critique du temps, dans sa recension pour le numéro de janvier 1830 de la Revue de Paris, se gausse de ces excès et reproche d'ailleurs au poète son inintelligibilité.  C'est négliger que ce recueil contient aussi quelques pièces d'une fantaisie légère et heureuse comme "La ballade à la lune"
Le recueil est remarqué (pour le louer ou pour le blâmer) et Musset publie quelques vers en revue.
Il tente le théâtre avec La Nuit vénitienne, mise en scène à l'Odéon, le 1er décembre 1830 : le public siffle et hue. Dès la deuxième représentation, la pièce est retirée de l'affiche. Musset, blessé, attendra 17 ans avant de retenter l'aventure de la scène et réservera son théâtre pour la lecture, comme le lui proposait le critique du Globe, dans le numéro du 3 décembre 1830 : "L'idée a eu, ce me semble, la forme qu'elle devait avoir mais ce n'est pas à l'Odéon qu'il fallait la montrer au public. C'est à la fin des Contes d'Espagne et d'Italie." En 1847, une actrice, Louise-Rosalie Allan-Despréaux, Melle Despréaux, qui avait joué Un caprice à Saint-Pétersbourg, avec succès, l'impose à la Comédie-Française. Cette fois-ci, le public applaudit. Le XXe siècle, ensuite, assurera la fortune de ce théâtre, dont nous apprécions aujourd'hui la justesse de l'analyse psychologique, la complexité des personnages, le brio des répliques, une grâce et une légèreté un peu amère qui n'est pas sans attache avec le théâtre de Marivaux.
Même Lorenzaccio, publié en 1833, ne sera monté que longtemps après la mort de Musset, en 1896, et il faudra attendre 1952 pour que le rôle-titre soit interprété par un homme, Gérard Philipe,  dans une mise en scène de Jean Vilar, montée par le TNP au festival d'Avignon.


1832 : année du choléra. L'épidémie atteint Paris au moment du carnaval. Elle fera 16.000 morts, dont 13.000 pour le seul mois d'avril. Parmi ces victimes, le père de Musset. Le poète a 22 ans. L'événement, douloureux en soi, semble aussi avoir été traumatisant, la disparition du père donnant à Musset le sentiment qu'il est ruiné et contraint de travailler pour vivre. "La nuit de décembre" (1835), comme le récit du personnage de La Confession d'un enfant du siècle (1836) disent ce deuil, quand il a été accompli, sans doute.
Musset commence à collaborer avec les journaux, grande ressource des écrivains à cette époque. Buloz, le directeur de la Revue des Deux mondes, lui propose un contrat, et à partir de 1833, il publie l'essentiel de ses oeuvres dans cette revue. C'est à un banquet organisé par la revue, en juin 1833, que Musset fait la connaissance de George Sand.



Leur liaison commence par être idyllique, à la fois sur le plan sentimental comme sur celui de la création. Chacun insufflant à l'autre des idées, des projets, dont portent trace leurs oeuvres respectives. Lorenzaccio part d'un schéma proposé par Sand ; de leur découverte conjointe des Contes d'Hoffman naissent Fantasio pour Musset, Aldo le rimeur et Le Secrétaire intime pour Sand. En décembre 1833, le couple décide d'un voyage à Venise. Ils feront une partie de la route en compagnie de Stendhal (jusqu'à Marseille). Mais arrivés à Venise, George Sand tombe malade. Musset reprend sa vie de bohème : courtisanes, jeu et vin. Puis c'est à son tour de tomber malade. Sand le soigne avec l'aide d'un jeune médecin vénitien, Pagello, qui devient son amant. Fâcheries. Musset rentre à Paris, en mars. Le reste est affaire de disputes, réconciliations, violences de la part de Musset jusqu'à ce que Sand parte se réfugier à Nohant.
Toute sa vie, Musset a eu avec les femmes des relations difficiles. Il se rêve souvent en Don Juan, et dès son adolescence confiait à son ami Paul Foucher: "Je voudrais être un homme à bonnes fortunes : non pour être heureux, mais pour les tourmenter toutes jusqu'à la mort." (lettre du 19 octobre 1827)
Ces années, 1832-1840, sont les plus fructueuses de sa vie. Il rédige alors la presque totalité de son oeuvre à la fois poétique et dramatique.
En 1840, il tombe gravement malade et, selon les témoignages, ne se remettra jamais vraiment bien, même si le succès au théâtre d'Un caprice, en 1848, suivi de plusieurs autres, Il ne faut jurer de rien, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, lui met sans doute du baume au coeur. En 1852, il est élu à l'Académie française, après deux échecs (1848 et 1850), mais cette reconnaissance s'adresse à un homme précocement usé par les excès et par la maladie.
Il meurt en 1857, et son cortège funèbre n'est suivi que d'une trentaine de personnes.
Alexandre Dumas en lui rendant hommage dans Les Morts vont vite (1861), tout en l'estimant un grand poète, juge l'homme assez sévérement:



[...] de Musset était un buisson d'épines. Il rendait la piqûre pour la caresse.
On ne peut pas aimer les gens malgré eux.
Seulement on peut toujours ne pas haïr.
Ne pouvant pas avoir Musset pour ami, ne voulant pas le haïr, j'avais pour lui un sentiment étrange que je ne puis rendre que par ces mots : je le regrettais.
J'eus l'occasion de lui rendre un service. Il m'en aima un peu moins, je crois.
Pauvre de Musset ! Je crois qu'au fond il a été une des âmes les plus désolées de notre époque.









dessin de Musset

George Sand dessinée par Musset, 1833


     L'oeuvre de Musset est variée mais dominée par son théâtre (réuni sous le titre de Comédies et proverbes, 15 pièces), et les poèmes, dont Les Nuits (1835-1837). Son unique roman, La Confession d'un enfant du siècle (1836), où le personnage d'Octave se donne en exemple d'une génération malheureuse, prise entre un passé glorieux révolu et un avenir obscur, perdue dans un présent qui ne lui offre rien, n'en reste pas moins une des oeuvres marquantes du temps. Musset y ressucite le vieux mot "désespérance" pour exprimer la déréliction de  sa génération qui ne semble avoir de choix qu'entre la débauche et le désespoir.
A travers toutes ses oeuvres, il est sans doute celui qui a contribué le plus à forger le mythe de l'adolescent. Idéalisant l'enfance comme temps de l'innocence et du paradis perdu, il met l'adolescent dans cet entre deux, qui est aussi celui de l'époque, entre un passé idyllique et fortement idéalisé, et un avenir sombre de compromissions et de renoncements, ses personnages refusent de devenir adultes dans un monde gouverné par le conformisme, l'hypocrisie, la lâcheté ; un monde sans idéal et sans valeurs, pour lequel seul compte l'argent.
L'amour, quoique source perpétuelle de trahison, reste la valeur suprème.
Enfin, le thème du double est constant, comme si Musset tentait de saisir dans cette mise à distance de soi à soi, la complexité de l'individu. Les écrits même du poète en témoignent, lui qui est à la fois le plus "romantique" des romantiques (la souffrance comme source poétique, l'exacerbation des sentiments, le dolorisme constant) et en même temps le plus critique et le plus acerbe des anti-romantiques. Les Lettres de Dupuis et Cotonet, publiées à partir de septembre 1836, mêlent l'ironie, voire le sarcasme à l'encontre du romantisme, au sarcasme à l'encontre du bon sens bourgeois et provincial.





A lire
: un article drôle et insolent de Catherine Dufour, qui explicite l'affirmation ""Je voudrais être un homme à bonnes fortunes : non pour être heureux, mais pour les tourmenter toutes jusqu'à la mort" adressée à Paul Foucher, dans une lettre du 19 octobre 1827.



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