17 janvier 1622 : Jean-Baptiste Poquelin dit MOLIERE

coquillage


Et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. (La Critique de l'Ecole des femmes, scène 6)


De Poquelin à Molière

Jean Pouguelin que l'on appellera Jean Baptiste Poquelin avant qu'il ne s'invente le nom de Molière est baptisé, à Paris, ce 17 janvier 1622. Sans doute est-il né quelques jours avant, dans cette famille de bonne bourgeoisie parisienne, résidant dans le quartier des Halles. Le père est tapissier et achètera, en 1631, la charge de Tapissier et valet de chambre ordinaire du roi.
L'année suivante, en 1632, sa mère meurt. Et en 1633, le père se remarie, mais devient veuf de nouveau en 1636. Deux fois veuf, M. Poquelin père se retrouve avec cinq enfants et ne se remarie pas. Il obtient, en 1637, la survivance de sa charge pour son fils aîné. Rien ne dit que Jean-Baptiste en était d'accord. Il est encore "écolier" au Collège de Clermont, établissement réputé, tenu par les Jésuites. Ensuite, il fait du droit, ou du moins obtient ses licences à Orléans, mais ne semble avoir plaidé qu'une fois.

Des débuts difficiles

Et d'ailleurs, à peine licencié, il signe, en 1643, un contrat avec un groupe de comédiens, dont les Béjart (Joseph et ses deux soeurs, Madeleine et Geneviève), constituant une troupe, "L'Illustre théâtre", qui s'installe dans une salle de jeu de paume, lieu ordinaire en ces temps-là des spectacles théâtraux, et donne ses premières représentations en janvier 1644. En juin, sur un contrat de la compagnie (elle engage un danseur) se lit pour la première fois le nom de Molière dont  "Il n'en a jamais voulu dire la raison, même à ses meilleurs amis." selon le témoignage de Grimarest (Vie de Monsieur de Molière, 1705)
Mais le succès se fait attendre, la troupe s'endette, change de salle sans améliorer sa situation, et Molière, qui semble bien en être le directeur, se retrouve en prison. Il n'y reste guère, parce que son père paie les mais la troupe se dissout.


Mignard, vers 1670-72

Pierre Mignard (1612 - 1695), Portrait de Molière, vers 1670-72. Le peintre et le dramaturge étaient amis.
(Musée Condé, Chantilly)

Comédiens itinérants

Molière et les Béjart (Joseph, Madeleine et Geneviève) quittent Paris et s'engagent dans une troupe itinérante, celle de Dufresne. Ils y font la connaissance de René Duparc, dit Gros-René.
Pendant treize ans, Molière et ses amis mènent l'existence des saltimbanques passant de ville en ville, dans le sud de la France : de la Guyenne au Languedoc, en remontant jusqu'à Lyon.
En 1650-1651, ils jouent devant le prince de Conti qui décide de patronner la troupe. La vie en est sans doute facilitée. La troupe, dont Molière semble être devenu le chef, s'installe à Lyon, tout en se déplaçant souvent à Pézenas (quand le prince de Conti s'y trouve) et dans le Languedoc. A Lyon, vers 1655, Molière découvre les comédiens italiens et avec eux la Commedia dell' arte. Il compose ses premiers scenarii et sans doute écrit-il alors L'Etourdi. C'est aussi l'année où le prince de Conti se convertit et retire son soutien à la troupe puisque l'Eglise condamne violemment le théâtre et les comédiens, mais cette situation ne devient effective qu'en 1656 lorsque les Etats du Languedoc ne renouvellent pas leur subvention à la troupe, et qu'en 1657, le prince exige qu'elle ne fasse plus état de son nom.  Peut-être est-ce à ce moment-là que les comédiens décident de tenter de nouveau leur chance à Paris. Ils passent, en tous cas, par Rouen, en mai 1558. Ils y connaissent les Corneille (Pierre et Thomas) ; les deux frères célèbrent à l'envi la beauté de Marquise (c'est son prénom) Duparc, épouse de Gros-René. Mais ni Pierre, ni Thomas ne l'enlèveront à la troupe de Molière, Racine s'en chargera en lui confiant le rôle d'Andromaque dans sa tragédie, en 1667.
En 1658, Molière et sa troupe (dix comédiens et comédiennes) sont à Paris où ils s'installent en espérant la réussite, et d'abord la protection d'un grand seigneur, celle de Monsieur, frère du roi. Le 24 octobre, la troupe présente au Louvre, devant le roi, Nicomède (tragédie de Corneille datant de 1651) et "un petit divertissement" de Molière : Le Docteur amoureux. La pièce est perdue, mais la petite histoire rapporte que le roi en rit beaucoup et installe Molière et ses amis au Petit Bourbon qu'ils partagent avec les Comédiens italiens jusqu'à ce que ces derniers repartent en Italie, en 1659.


anonyme, XVIIe siècle, comédiens

Cette peinture, anonyme, du XVIIe siècle représente une scène avec le décor traditionnel des comédies, l'éclairage assuré par des lustres portant des chandelles (qu'il faut moucher toutes les demi-heures, ce qui explique la division des pièces en actes), une rangée de chandelles aussi le long de la rampe, sous laquelle sont écrits les noms des personnages (de gauche à droite : Molière, Jodelet — un acteur de sa troupe —, Poisson, Turlupin, Matamore, Arlequin, Guillot Gorju, Gros Guillaume, le dottor Grazian Balourd, Gautier Garguille, Polichinelle, Pantalon — reconnaissable à sa  barbe, à son habit rouge et à sa cape noire, archétype du marchand avare, Philippin — sur le balcon, Scaramouche avec sa guitare, Briguelle et Trivelin). Tous ces personnages sont les acteurs masculins des deux troupes occupant le petit Bourbon entre 1658 et 1659, puis la salle du Palais Royal (construite par Richelieu) : celle de Molière et celle des Italiens. Les acteurs de Molière sont identifiés par leur nom, ceux des Italiens par le nom de leur personnage.


Le succès

L'Etourdi et Le Dépit amoureux ont du succès, mais la troupe est moins heureuse lorsqu'elle représente des tragédies ; en 1559, Les Précieuses ridicules sont largement applaudies. En 1660, le petit Bourbon est démoli et le roi accorde le théâtre du Palais Royal, construit par Richelieu, mais alors abandonné et en ruine. Molière s'y installe quand même et il l'inaugure le 24 juin 1661 avec L'Ecole des maris. L'année 1662 voit le retour des Italiens qui partagent de nouveau la salle de Molière ; leur nouveau Scaramouche (Domenico Biancolelli) devient son ami. Cette année-là aussi Molière se marie avec Armande Béjart, fille (ou soeur) de Madeleine, qui a vingt ans de moins que lui, et qui, peut-être, ne lui sera guère fidèle si l'on en croit les ragots du temps. Du 8 au 14 mai 1662, la troupe séjourne à la Cour, ce qui est une consécration.  La faveur du roi se marque aussi par des gratifications, par le fait qu'il devient le parrain du premier enfant du comédien, Louis, le 28 février 1664, mais le petit Louis ne vivra que dix mois, par le choix de Molière pour organiser les divertissements royaux : il participe aux Plaisirs de l'Ile enchantée, divertissement proposé à Versailles du 30 avril au 22 mai 1664. Et il continuera à le faire toute sa vie. C'est lui qui invente la "comédie-ballet" qui agrée beaucoup au jeune Louis XIV passionné de danse au point de danser lui-même dans les spectacles dont il régale les courtisans.
En 1665, le roi fait de Molière et de sa troupe "Les Comédiens du  roi".
Tant de réussite ne va pas sans jalousie. Molière ne heurte pas seulement les comédiens ou les auteurs auxquels il fait concurrence, il heurte et fâche ceux qui se sentent "visés" par ses comédies comme L'Ecole des femmes (1662), le premier Tartuffe (1664), voire Dom Juan (1665) écrit en hâte pour remplacer la première pièce interdite. Dom Juan ne sera pas interdit mais cessera vite d'être joué. La protection du roi ne suffit pas toujours à arrêter l'opposition et l'hostilité.
En 1666, Molière est gravement malade. le théâtre fait relâche pendant trois mois. Mais dès qu'il est remis, il continue d'écrire, de mettre en scène et de jouer, à la ville comme à la cour : en 1668,  L'Avare ; en 1671, Les Fourberies de Scapin. Certaines amertumes endeuillent ses dernières années. Il se brouille avec Lully, son collaborateur musical pour les divertissements royaux (ils ont travaillé ensemble à douze spectacles) qui, en se faisant octroyer, en 1672, le privilège de tous les spectacles à ballet et à musique, prive la compagnie de Molière d'une source de revenu important puisque les comédies ballets (dont Molière est l'inventeur, rappelons-le) étaient très appréciées du public.
En février 1673, Molière est très malade lorsqu'il monte Le Malade imaginaire. Il terminera la quatrième représentation mais mourra en rentrant chez lui, sans avoir eu le temps de se confesser, ce dont profitera le clergé pour refuser la sépulture en terre sainte. Pour l'enterrer, il faudra qu'Armande Bejart fasse intervenir le roi, et encore ne sera-t-il inhumé que de nuit.
Son régisseur, La Grange, consigne cette mort et ses conséquences dans son registre :



"ce même jour [17 février] après la comédie, sur les 10h du soir, monsieur de Molière mourut dans sa maison rue de Richelieu, ayant joué le rôle du malade imaginaire, fort incommodé d'un rhume et fluxion sur la poitrine qui lui causait une grande toux, de sorte que dans les grands efforts qu'il fit pour cracher, il se rompit une veine dans le corps et ne vécut pas  demi-heure ou trois quarts d'heure depuis la dernière veine rompue. Son corps est enterré à Saint Joseph de la paroisse saint Eustache. Il y a une tombe élevée d'un pied hors de terre. Dans le désordre où la troupe se trouva après cette perte irréparable, le roi eut dessein de joindre les acteurs qui la composaient aux comédiens de l'hôtel de Bourgogne. Cependant après avoir été le dimanche 19 et mardi 21 sans jouer en attendant les ordres du roi, on recommença le vendredi 24e de février par Le Misanthrope. Le sieur Baron joua le rôle."
cité dans Concordance des temps, France culture, 25 mai 2016



Molière laisse une grande oeuvre théâtrale, une troupe qui la prend en charge et que le roi, en 1680, fusionnera avec celle de l'Hôtel de Bourgogne pour créer la Comédie Française. Des enfants qu'il a eu avec Armande, seule survit une fille : Marie-Madeleine, qui meurt sans enfant en 1723.

L'apport de Molière

Un de ses contemporains nommait Molière "le premier farceur de France", et les témoignages soulignent ses talents d'acteur comique. Le dramaturge a renoué avec la farce, directement dans des pièces brèves, simples, usant de ressorts comiques traditionnels (disputes, coups de bâton, exagération des gestes, des mots, des comportements ; jeux avec les langages : patois, latin de cuisine, préciosité excessive) et de personnages tout aussi traditionnels comme le vieillard amoureux, le médecin ignorant et prétentieux, les femmes trop émancipées ou les épouses tyranniques. Il ne reste souvent de ces pièces que les titres répertoriés par La Grange, le régisseur de Molière. Mais il avait, en outre, le désir de donner au théâtre comique une place aussi éminente et respectable que celle de la tragédie. Sa première comédie de caractères, L'Ecole des femmes (1662) déclenche une polémique. En dessinant le portrait de son barbon jaloux, Arnolphe, Molière emprunte bien au théâtre traditionnel, mais il lui donne une profondeur qui frise parfois le pathétique. Ses autres "caractères", le misanthrope, l'avare, le dévot (vrai : Orgon, plutôt sot ; et faux : Tartuffe, à l'intelligence pernicieuse), le malade imaginaire, le grand seigneur méchant homme (Dom Juan), le bourgeois gentilhomme, dénoncent des défauts humains, envie, vanité, orgueil, égoïsme, hypocrisie, avarice, (qui d'ailleurs se combinent le plus souvent dans ces personnages) poussés à l'excès pour faire rire et obtenir ce que Molière définit comme "le devoir de la comédie [...] corriger les hommes en les divertissant." (Premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe, août 1664). Parmi ses comédies, quatre obéissent à la distribution en cinq actes et à l'écriture en vers : L'Ecole des femmes, Le Misanthrope, Tartuffe, Les Femmes savantes.




Madeleine Béjart

Madeleine Béjart dans le rôle de Magdelon des Précieuses ridicules.
Dessin de Kugel, huile sur pierre.
(BnF)
Les pièces de Molière :

1654 : L'Etourdi
1658 : Le Dépit amoureux
1659 : Les Précieuses ridicules
1660 : Sganarelle ou le cocu imaginaire
1661: L'Ecole des maris / Les Fâcheux
1662 : L'Ecole des femmes
1663 : La Critique de l'Ecole des femmes / L'Impromptu de Versailles
1664 : Le Mariage forcéTartuffe (en trois actes)
1665 : Dom Juan
1666 : Le Misanthrope / Le Médecin malgré lui
1667 : Le Sicilien ou l'amour peintre
1668 : Amphytrion / Georges Dandin / L'Avare
1669 : Tartuffe (en cinq actes) / Monsieur de Pourceaugnac
1670 : Les Amants magnifiques / Le Bourgeois gentilhomme / Psyché (comédie-ballet à laquelle Corneille a participé pour une grande part)
1671 : Les Fourberies de Scapin
1672 : Les Femmes savantes
1673 : Le Malade imaginaire


Molière

Molière dans le rôle de Mascarille des  Précieuses ridicules.
Dessin de Kugel, huile sur pierre.
(BnF)

A découvrir : un site de documentation, moliere 21, proposé pour compléter la publication d'une nouvelle édition de l'oeuvre en pléiade, en 2010.
A regarder : des extraits de mises en scène du Malade imaginaire; de L'Ecole des femmes (avec Isabelle Adjani) ; des Précieuses ridicules et la pièce intégrale présentée par L'Atelier théâtre de L'Ecole alsacienne.


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