L'Avare, première représentation, 9 septembre 1668, "sur le Théâtre du Palais-Royal".

coquillage



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: 1. Une biographie de Molière - 2. Une présentation des Fourberies de Scapin - 3. Une présentation des Précieuses ridicules - 4. Une présentation du Tartuffe -






Comédie en cinq actes, la pièce n'obtient que peu de succès lors de ses premières représentations et Molière la joue en alternance avec d'autres pièces puis, s'il la met régulièrement à l'affiche, elle y reste peu (7 fois en 1669, 8 en 1670, 6 en 1671, puis de nouveau 8 en 1672). Ses contemporains semblent avoir été déçus que la pièce ne fût pas en vers. Sans doute aussi, L'Avare était-elle une pièce qui ne soulevait guère de discussions, comme Tartuffe ou Dom Juan ou encore Le Misanthrope ; et le public se passionnait-il davantage pour des pièces sujettes à polémique.
Le sujet en est emprunté à un dramaturge latin : Plaute, La Marmite, qui lui fournit le nom de son personnage principal, Harpagon. Le mot "harpago" est emprunté au grec, c'est une insulte dont le sens est "rapace" (c'est donc, littéralement, un nom d'oiseau) et qui s'applique à toute personne avide. Ce choix s'est sans doute renforcé de sa proximité phonique avec "harpon" et de celle du verbe "harper", encore répertorié par Littré, qui signifie "prendre et serrer fortement avec les mains".
L'idée de transformer cet avare en barbon amoureux lui vient peut-être d'une nouvelle de Scarron, elle-même adaptée d'un récit espagnol (Anatole France s'en amuse dans ses réflexions sur le plagiat), mais en faire le rival de son propre fils lui est bien propre. C'était une idée dangereuse car elle pouvait faire déraper le comique dans le sérieux, incompatible avec le rire. Molière joue lui-même le rôle d'Harpagon, ce qui souligne son caractère comique (Molière assumait toujours les rôles les plus comiques de ses pièces.) Son costume était tout noir "un manteau, chausse et pourpoint de satin noir, garni de dentelles de soie noire, chapeau, perruque, souliers". C'est un vêtement passé de mode, et en lui ajoutant des lunettes, Molière achève de lui donner l'apparence d'un homme extrêmement vieux, aux yeux de ses contemporains.

De nombreux éléments de l'intrigue sont aussi inspirés de la Commedia dell'arte, comme le jeu des acteurs.
Comme toutes les comédies, le fond de celle-ci est profondément cruel : un père égoïste, totalement indifférent aux sentiments de ses enfants ; une révolte du fils qui prend des allures si violentes qu'elle a fait scandale à l'époque de Molière ; et un retournement final inattendu, de l'ordre du coup de théâtre, certes, mais qui fonctionne, non dans la logique de l'action — rien ne peut arrêter ni transformer Harpagon — mais grâce à un Deus ex machina [Personnage dont l'intervention, artificielle et inattendue, permet au dernier moment le dénouement de la pièce, TLF] incarné dans le personnage d'Anselme.
Pour alléger ce fond cruel, de nombreux éléments de farce permettent au spectateur de dédramatiser ce que certaines situations et le caractère d'Harpagon ont d'inquiétants : quiproquos, comiques de gestes surtout.





PERSONNAGES :


Harpagon : veuf, père d'un fils, Cléante, et d'une fille, Elise. Amoureux (ce qui veut dire qu'il n'est pas aimé en retour, mais prétend épouser la jeune fille) de Mariane.
Le personnage est doublement avare : ladre, il calcule tout au plus juste (y compris ce que coûtent les vêtements de son fils) et usurier, il prête à très forts intérêts.

Cléante : fils d'Harpagon et amant (c'est-à-dire aimé en retour) de Mariane.

Elise : fille d'Harpagon, amante de Valère qui l'a sauvée de la noyade.

Valère : amant d'Elise ; s'est fait engager comme intendant par Harpagon pour être près d'Elise et tenter de "séduire" le père pour pouvoir obtenir la main de la jeune-fille. Se sait de naissance noble, mais doit retrouver sa famille.

Mariane : amante de Cléante ; vit avec sa mère dans la pauvreté.

Anselme : homme de la génération d'Harpagon ; riche et solitaire. Harpagon veut lui faire épouser Elise, parce qu'il l'accepte "sans dot".



Frosine
: entremetteuse (elle gagne sa vie en arrangeant des mariages) ; connaît bien le valet de Cléante, La Flèche.

Maître Simon : courtier (profession consistant à mettre en relation vendeurs et acheteurs, moyennant un "courtage", un paiement — ici, il sert d'intermédiaire à Harpagon dans ses opérations de prêts d'argent)

Maître Jacques : cuisinier et cocher d'Harpagon — le seul personnage qui manifeste un peu  de sympathie à Harpagon en lui disant la vérité sur ce qu'on pense de lui.

La Flèche : valet de Cléante, adjuvant de son jeune maître, comme très souvent les valets des comédies de Molière. Son nom souligne sa vivacité.

Dame Claude : servante d'Harpragon
Brindavoine et La Merluche : laquais d'Harpagon (les laquais sont des domestiques en uniformes — livrées — qui escortent leur maître)
Le commissaire
Le clerc (secrétaire) du commissaire





LE PERSONNAGE D'HARPAGON A TRAVERS LE TEMPS

Grandmesnil

Grandmesnil (pseudonyme de Jean Baptiste Fauchard), 1737-1816. Il entre à la comédie française en 1790. Il était considéré à son époque comme l'un des grands acteurs des pièces de Molière.
Peinture de J.-B. Desoria.




De Funès

Louis de Funès (1914 - 1983), dans le film qu'il a tiré de la pièce de Molière et mis en scène lui-même.






Espace du Marais, 2004

acteurs de la Compagnie Sissia Buggy, Espace du Marais, 2004. (Harpagon: Bernard Lefebvre)

Savary

Harpagon (Jacques Sereys) et Frosine (Catherine Jacob)
mise en scène de Jérome Savary, Théâtre de Chaillot, 1999



Molière fustige l'avarice et les avares, comme l'ont fait et le feront d'autres écrivains avant et après lui. Mais, à l'inverse, Alexandre Vialatte qui avait le goût du paradoxe, chante souvent les avares dans ses chroniques.
Ainsi dans la chronique de La Montagne du 24 mai 1960 intitulée "Chronique des plaisirs souterrains" :



J'aime beaucoup les avares. Ils vivent d'exploits sportifs. Ils ont les pieds enveloppés de pansements parce que des hommes sans expérience les ont brûlés à la lampe à souder en croyant leur faire dire où était caché le trésor*. Ils mènent une vie qui les passionne. Car l'avarice n'a rien à voir avec l'argent. C'est une rage de collectionneur. Il n'y a pas plus féroce que les collectionneurs, plus possédés, même le joueur : ils peuvent tuer pour une assiette qui leur manque ; une assiette de trois sous. Ce sont des fous, des rêveurs ; l'avare n'entasse pas de l'or, il accumule du songe. L'avare vit deux fois plus qu'un autre ; il vit de sa foi, il vit sa foi, comme un martyr, comme un ermite ; c'est un moine du désert, il a de grandes visions, des extases, une ascèse affreuse qui ne lui laisse que la peau sur les os ; quand il s'assied ça crève son fond de culotte ; il s'éclaire avec une chandelle qui fait de grandes ombres sur les murs.  Assis dans l'escalier de sa cave, les pieds nus dans des mules jaune d'oeuf et enveloppé d'une espèce de souquenille, comme le roi du Maroc sur les photographies, il regarde enfler son trésor avec le ravissement de l'horticulteur aisé qui voit gonfler ses potirons, la joie profonde d'une mère qui voit pousser son fils. Ce n'est pas pour lui une masse inanimée, c'est un personnage fantastique, c'est un domestique tout-puissant ; à condition qu'on n'y touche pas ; car à servir il perdrait de sa puissance ; il ne faut surtout rien lui demander ; moins on lui demande, plus il peut, c'est fascinant. L'avare est un homme fasciné ; il a des jouissances d'opiomane. Pour les garder plus grandes, il ne les partage pas. Il les goûte seul, clandestinement. Il est avare du plaisir d'être avare. L'avarice est un tel plaisir que j'ai toujours envie d'être avare. Et tout le monde est sûrement comme moi.




* allusion aux bandes de brigands appelées "chauffeurs" parce qu'ils brûlaient les pieds de leurs victimes pour les faire parler.






dessin de Marevéry

L'acteur Louis Leloir (1860-1909) dans le rôle d'Harpagon, dessin de Marevéry.


Ou encore dans celle du 16 avril 1967, "Chronique des collections et des collectionneurs" où l'on surprend un écho de La Bruyère (Les Caractères), "De l'homme", 113, où la rélfexion se conlut par : "Il faut seulement laisser son bien dans ses coffres et se priver de tout ; cela est commode aux vieillards, à qui il faut une passion, parce qu'ils sont hommes".



L'homme sage doit conserver un vice pour ses vieux jours. il en mène une vie plus ardente. Beaucoup de vieilles dames se passionnent pour le jeu. Elles ont de grands nez crochus, les joues creuses, les bras maigres, les doigts griffus et des toilettes extravagantes. Des bijoux, de la poudre de riz et un maquillage excessif. Déconseillons cette aventure. Elles finissent en folles de Chaillot*. L'avarice est beaucoup plus sage. Elle n'absorbe pas moins que le jeu, elle dévore son homme tout autant. Elle lui impose un régime très sobre qui le fait vivre jusqu'à cent ans. Elle multiplie son ingéniosité, elle aiguise son intelligence. Elle l'enrichit considérablement. Elle le rend cher longtemps à ses neveux, à ses nièces, à ses futurs héritiers. Elle lui impose des rites qui l'occupent, des privations qui le fanatisent, des férocités impressionnantes qui l'entretiennent dans l'allégresse. Elle le rend vif, mordant, coriace, impressionnant et même typique. Elle tire de lui le plus vrai et le plus sec de lui-même. Elle confère à sa silhouette un caractère extrêmement accusé : les grands avares ont la tête de Voltaire sur un corps de lapin écorché. Rien n'est plus beau que de les voir dans leur cave compter des sous à la lueur d'une chandelle entre un nid de chauves-souris et une toile d'araignée. L'avarice est un sport total. On ne saurait trop conseiller l'avarice.




* renvoie à la pièce d'Anouilh montée par Jouvet en 1945 et dont Marguerite Moreno jouait le rôle titre.







A voir et à entendre
: la présentation de L'Avare sur le site du théâtre Roumanoff.
A écouter en MP3 (gratuit) : le monologue d'Harpagon.



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