22 décembre 1639 : Jean Racine

coquillage



La Champmeslé

La Champmeslé dans le rôle de Phèdre (Marie Desmarets, dite "La Champmeslé", 1642 -1698 ; ses contemporains louaient particulièrement sa voix)


Né à la Ferté-Milon (un village à 75 km de Paris, entre l'Oise et l'Aisne) et orphelin très tôt : sa mère meurt en 1641 et son père en 1643, Racine appartient à une famille de petite bourgeoisie sans fortune. Lui et sa soeur seront élevés par leur grand mère avant qu'il ne soit admis comme élève des Petites Ecoles de Port-Royal, parce qu'une de ses tantes y est religieuse. Il y reçoit l'instruction la plus en pointe de son époque, et sera helléniste en sus de latiniste, comme il se doit en ce temps-là.
Quelques tribulations plus tard (des études de philosophie, un voyage à Uzès, sans doute pour préparer une carrière ecclésiastique et l'éloigner de Paris où il a tendance à trop fréquenter le monde du théâtre et des artistes), il se retrouve à Paris où l'un de ses cousins, Nicolas Vitart, l'accueille. Ce dernier l'introduit dans le monde de l'aristocratie et il rime des odes à la gloire de Louis XIV qui le font remarquer par Chapelain. Il rencontre Boileau, en 1663, qui restera son ami toute sa vie.
Racine entre dans le théâtre par un échec : La Thébaïde, en 1664. La pièce est  confiée à la troupe de Molière qui, comme toutes les troupes, jouait autant de comédies que de tragédies, mais ne peut rien pour sauver la médiocrité de l'oeuvre. Qu'à cela ne tienne, Racine a 25 ans, du talent, une grande intelligence associée à une solide culture  et, semble-t-il, une féroce envie de réussir.
L'année suivante, il se corrige et Alexandre est un premier succès, qu'il obtient après avoir abandonné Molière pour l'Hôtel de Bourgogne  (dont la troupe, dirigée par Floridor, est spécialisée dans la tragédie)  en lui enlevant Marquise-Thérèse Duparc, dite "Marquise", qu'il fera triompher dans Andromaque (1667).
En 1665, il s'est aussi brouillé avec éclat avec ses amis de Port-Royal dont le rigorisme religieux incluait la condamnation du théâtre. Pierre Nicole, par exemple, qualifiait "d'empoisonneur public", "un faiseur de romans et un poète de théâtre" (Les Visionnaires, 1665)





Racine

Jean Racine, portrait attribué à François De Troy, 1645 - 1730 (Musée de Langres) — un peintre apprécié du grand monde, sans doute parce qu'il flattait quelque peu ses portraits

Andromaque
, 1667, est son premier grand succès. Marquise y triomphe, mais elle mourra l'année suivante.
En 1668, Racine s'essaie à la comédie, Les Plaideurs. Ce sera la seule.
Avec constance, mais un succès inégal, il fait représenter Britannicus en 1669, Bérénice, en 1670 avec La Champmeslé dans le rôle titre.
Bajazet, 1672,  Mithridate, 1673, Iphigénie, 1674 (créée à Versailles), Phèdre, 1677.

Nommé à l'Académie française en 1672, il est anobli en 1674 et nommé historiographe du roi en 1677 (septembre) en même temps que son ami Boileau. Il s'est marié, la même année, en juin,  avec une jeune fille de bonne bourgeoisie (ce qui sous-entend une solide dot): Catherine de Romanet, dont il aura sept enfants. A partir de 1677, Racine abandonne le théâtre, et se consacre à ses fonctions d'historiographe et de courtisan, qu'il mène avec autant de détermination, de sérieux, et d'efficacité que sa carrière dramatique.
Il ne revient au théâtre qu'à la demande de la Cour pour écrire des livrets d'opéra à l'instigation de Mme de Montespan, puis Esther (1689) et Athalie (1691) pour l'école de Saint-Cyr fondée et dirigée par Mme de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV.
Mais ces années de silence littéraire personnel ne l'empêchent pas de prendre part, avec virulence, aux côtés de  Boileau à la "querelle des Anciens et des Modernes". Partisan des Anciens, il sera, toujours avec Boileau, un des adversaires déterminés de Charles Perrault.
Il meurt en 1699, réconcilié avec Port-Royal depuis 1677, et quasiment confit en religion (quatre de ses cinq filles seront religieuses et le portrait que trace de lui son fils, Louis, dans ses Mémoires contenant quelques particularités sur la vie et les ouvrages de Jean Racine, parus en 1747, relève plus de l'hagiographie  que de l'histoire, ne sont-ils pas dédiés à son propre fils auquel il dit : " je mets devant vos yeux celui qui, pour la piété, l'amour de l'étude, et pour toutes les qualités du coeur, doit être votre modèle.")
Ce "modèle" n'avait pourtant pas laissé le souvenir d'un homme si bon et Diderot, un siècle plus tard, dans Le Neveu de Rameau (rédigé entre 1761 et 1780) en écrivait ceci : "Lequel des deux préfèreriez-vous ? Ou qu'il eût été un homme bon [...]; ou qu'il eût été fourbe, traître, ambitieux, envieux, méchant, mais auteur d'Andromaque, de Britannicus, d'Iphigénie, de Phèdre, d'Athalie." ce qui n'était guère donner de lui un portrait flatteur.
De Racine, c'est moins l'homme qui importe que l'auteur, lequel est tout entier construit par ses dix pièces qui sont tout autant celles d'un grand poète que d'un analyste pénétrant des troubles qui peuvent agiter l'esprit humain.

La fortune posthume de Racine




Les techniques au service de la tragédie racinienne:
L'imitation des Anciens : souvent Euripide, mais pour Britannicus, Racine affirme avoir puisé chez Tacite.
Une action simple : "La première règle est de plaire et de toucher, par la représentation d'une action simple, qui n'est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages." (Bérénice, préface de 1670)
Une action complète (toute tragédie de Racine est la résolution d'une crise paroxystique)
Une action vraisemblable et naturelle (la progression découle des caractères et des comportements des personnages)
Une étroite liaison entre analyse psychologique et évolution de l'intrigue
(l'intrigue permet de dévoiler les caractéristiques des personnages — cet aspect complète le précédent)
Un habile recours au récit (en particulier pour asseoir le dénouement) : "Une des règles du théâtre est de ne mettre en récit que les choses qui ne se peuvent passer en action." (Britannicus, 1ere préface, 1669)
Un style : un vocabulaire volontairement pauvre mais précis (2000 mots, disent les spécialistes), de nombreuses métaphores, des figures antithétiques (antithèses, oxymores), des phrases simples, des rythmes souvent ternaires. Toutes les ressources du vers (coupes, césures, rythmes, musicalité — assonances, allitérations...)
Auteur à succès de son vivant, Racine a toujours occupé les scènes des théâtres. On a commencé par l'admirer, le louer, voire l'imiter



pour ses qualités poétiques. De tous ses personnages, ce sont les "amoureux", vertueux, victimes, que l'on a encensé. Et la douceur de Racine est devenue un lieu commun, celui que les Romantiques ont rejeté, en lui opposant Corneille et la grandeur. Progressivement, toutefois, la violence de ce théâtre a commencé d'apparaître et les personnages comme Phèdre, Néron, Agrippine ont occupé (comme dans les pièces dont ils sont les protagonistes) le devant de la scène. On a alors admiré en Racine la profondeur de l'analyse psychologique. Le XXe siècle a ajouté à ces lectures un intérêt pour la vision du monde que transmet ce théâtre et Paul Bénichou a souligné qu'il y a, "au coeur de l'univers racinien, un caractère de désolation, une présence invincible du mal, avec un éloignement infini des remèdes,  qui coïncident étrangement avec les impressions qu'il avait pu recevoir de son enfance janséniste." (article "Racine", Encyclopedia Universalis)

A lire La Stratégie du caméléon, Alain Viala, éd. Seghers, 1990. Le livre, amusant à lire, dresse le portrait d'un ambitieux.
Michael Edwards, Racine et Shakespeare, éd. PUF, 2004
Un article de Marc Fumaroli, grand spécialiste du XVIIe siècle.


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