La pagination correspond à
l'édition Gallimard, coll. folio-classique
(édition d'Yvon Belaval), 1973
(réimpression 2006)
Jacques le Fataliste et son
maître contient, comme tous les romans, de
nombreuses histoires d'amour, aux dires même du narrateur :
"Et puis, lecteur, toujours des contes d'amour ; un, deux, trois,
quatre contes d'amour que je vous ai faits ; trois ou quatre autres
contes d'amour qui vous reviennent encore : ce sont beaucoup de contes
d'amour." (p. 219)
Le lecteur se sent doublement tenu de
s'interroger : d'abord parce que ces contes entrent dans la
catégorie tant décriée, par ailleurs,
du romanesque, ensuite parce que le
narrateur ne cessant d'insister sur son refus
d'écrire un roman, cette soumission à la
fantaisie du lecteur ne peut que le surprendre. Pas de romanesque, mais
des contes qui le plus souvent ont pour moteur le sentiment amoureux,
sous toutes ses formes, qu'est-ce à dire ?
1. Les contes d'amour du roman
Le récit des amours de Jacques
Troisième cadre de
l'enchâssement initial, ce récit commence
dès l'incipit et se termine dans le cadeau des
jarretières, dont l'une est passée à
la jambe de la jeune-fille sous l'oeil bienveillant de la
mère, non sans qu'une prolepse ait annoncé que
les amours de Jacques et Denise ont été
consommées, puisque Denise "crut l'avoir [le
pucelage de Jacques] et [...] ne l'eut point." (p. 238). Ce qui
n'empêchera pas le narrateur de prétendre ne
pouvoir conclure ce récit sans relecture attentive de
l'ensemble, et de laisser la parole à l'éditeur
qui proposera trois dénouements, superfétatoires
en termes strictement diégétiques.
Si le récit en est retardé d'interruptions en interruptions, c'est
qu'il ne contient guère d'événements
tout en mettant l'accent sur un aspect particulier des relations
amoureuses : la naissance du sentiment. La rencontre (dont les
prolégomènes sont les plus longs puisqu'il faut
une succession de situations particulières pour qu'un
quelconque soldat blessé finisse par entrer dans
un château pour y être
soigné), l'admiration de Jacques devant la
beauté de Denise : "Une grande brune de 18 ans, faite au
tour, grands yeux noirs, petite bouche vermeille, beaux bras, jolies
mains..." (p. 115), l'attention portée par Denise aux soins
à donner au blessé et à son
bien-être (p. 319), les cadeaux que Jacques
s'ingénie à trouver pour Denise (p. 320). Tout
roman d'amour se réduit ainsi à la rencontre et
la naissance de l'amour. Jacques est un "honnête homme" et
Denise "a la cuisse plus longue qu'une autre" (le maître est
d'ailleurs caution de cette "honnêteté" de Denise,
puisque ses avances ont été
repoussées, p. 204) ce qui en termes plaisants,
parce que
licencieux, conduira le couple, inévitablement, vers un
mariage.
Jacques avait commenté cette
naissance du sentiment amoureux, dès le départ,
en insistant (selon sa théorie) sur la puissance d'Eros, en
deux questions rhétoriques :
"Est-on maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux ? Et
quand on l'est, est-on maître d'agir comme si on ne
l'était pas ?" (p. 40) ce qui était une
manière
déjà différente de poser la question
du
"fatalisme".
Ce récit met face à face deux jeunes gens dont
les conditions
s'accordent (il a 22 ans, "grand et vigoureux" "assez bien de figure",
"alerte et point sot" (p. 250), dont l'amour est
réciproque, et dont
l'histoire pourrait trouver son dénouement dans le couple
paysan qui accueille Jacques ou le couple de l'hôtelière et son
mari, deux variantes de ce qu'il peut advenir d'une histoire d'amour
après quelques années de vie commune.
Le couple de paysans
Ici, pas de romanesque : un jeune
couple, marié,
déjà pourvu d'enfants ("quelques petits enfants"
dont l'aîné est un petit garçon qui
peut déjà monter à cheval, p. 40) aux
prises avec les difficultés de la vie quotidienne (p. 53),
mais le mari est jeune et la femme jolie, si bien que le
résultat de leurs amours est nécessairement un
enfant de plus.
L'histoire des deux paysans, amusante parce que l'oreille qui gratte
n'est pas sans rappeler la naissance de Gargantua, pose deux questions
: celle de la sexualité et celle de la reproduction. Elle
ramène donc l'amour à l'instinct
génésique. Questions qui vont devenir
récurrentes dans le récit : allusion à
la possibilité pour Jacques et son maître d'avoir
passé la 3
e
nuit chez les filles (p.
57), aventure de Jacques
avec la servante Javotte qui prétend se faire payer une
complaisance qu'elle n'a pas eu, pour lui, en tous cas (p. 64),
aventure du maître avec Agathe qui se termine par une
paternité qu'il doit endosser.
Les aventures de Gousse
Relatées par le narrateur,
elles sont marquées le
plus souvent par des aventures amoureuses : la fuite de
Prémontval et de M
elle Pigeon (p.
101), sa propre fuite projetée avec sa servante qui le berne
et pour laquelle,
après avoir quitté sa femme, il se retrouve en
prison (p. 122), celle du pâtissier qu'il rapporte et qui ne
doit d'échapper à la prison qu'à
l'habileté de son ami l'exempt (p. 129): elles
mettent toutes l'accent sur la puissance du désir qui
conduit à faire des sottises et, le plus souvent, à
se mettre en infraction avec la loi ; elles semblent donc corroborer le
sentiment premier de Jacques, l'amour est un "maître" auquel
les hommes de toutes conditions sont soumis.
L'histoire de Mme de Pommeraye
et du marquis des Arcis
Racontée par l'aubergiste
du Grand Cerf qui la tient de son
mari qui la tenait de la servante qui la tenait du domestique du
marquis, elle met en scène une femme en passe
d'être abandonnée et qui prend les devants, bien
décidée à se venger. Elle souligne
l'inconstance du sentiment puisque le marquis avait
été vraiment et profondément amoureux
("lui proposa même de l'épouser", p. 144) avant de
se lasser "au bout de quelques années" (p. 145). Pour se
venger, M
me de la Pommeraye se propose de lui
faire épouser une courtisane. Le stratagème
réussit, mais les deux "victimes" de la mise en
scène sont tombés amoureux et le marquis pardonne
et "oublie", se retirant avec sa femme dans ses terres : "tant y a que
c'est une excellente femme ; que son mari est avec elle content comme
un roi, et qu'il ne la troquerait pas contre une autre." conclut
l'aubergiste (p. 197)
La fable de la gaine et du coutelet
Le début du
récit, après la présentation des
personnages, est interrompu d'abord par une réflexion du
narrateur (qu'ensuite il partage avec Jacques et son maître,
affirmant ne pas savoir à qui l'attribuer), puis par la fable de la Gaine et du Coutelet
qui se raconte, dit Jacques en la rapportant, dans les
veillées de son
village.
La première réflexion se retrouve,
très semblable, dans le
Supplément au voyage de Bougainville, 1772 .
Orou, le Tahitien qui a accueilli l'aumônier du bateau de
Bougainville (dans la fiction de Diderot), surpris de ses
propos sur la fidélité, et le mariage, lui
rétorque :
|
Rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu'un
précepte qui proscrit le changement qui est en nous ; qui
commande une constance qui n'y peut être, et qui viole la
nature et la liberté du mâle et de la femelle, en
les enchaînant pour jamais l'un à l'autre ; qu'une
fidélité qui borne la plus capricieuse des
jouissances à un même individu ; qu'un serment
d'immutabilité que se font deux êtres de chair,
à la face d'un ciel qui n'est jamais le même, sous
des antres qui menacent ruine ; au bas d'une roche qui tombe en poudre
; au pied d'un arbre qui se gerce ; sur une pierre qui
s'ébranle ?
|
|
|
Montaigne en faisait
déjà la remarque dans bien des
Essais et, en
particulier, en III, 2 : "Le monde n’est qu’une branloire perenne. Toutes
choses y
branlent sans cesse: la terre, les rochers du Caucase, les pyramides
d’Egypte, et du branle public et du leur. La constance
même
n’est qu’un branle plus languissant." et il
ajoutait: "Je ne peins pas l'être. Je peins le passage." La
fable de "la Gaine et du Coutelet" assure la même
leçon : les objets permettent de dire, parce qu'objets, que
la sexualité n'est pas le sentiment. Et cette
leçon est "anonymée" (l'histoire provient des
veillées, le personnage qui la donne est
identifié par un archaïsme : "Cil" = celui)
c'est-à-dire renvoyée à une origine
immémoriale qui lui permet même de se terminer sur
un quasi-blasphème (selon l'optique du temps puisque le
mariage dans la religion chrétienne est un sacrement) :
"Coutelet, ne voyais-tu pas que Dieu te
fit pour aller à plusieurs Gaines ; et toi, Gaine, pour
recevoir plus d'un coutelet ?"
Les histoires de Desglands
Elles sont deux.
La première est celle du jeu (variation sur
L'Histoire de Madame de la
Carlière, 1772) : la femme qui vit avec lui
depuis dix ans
le quitte car il n'a pas tenu sa parole de ne pas jouer, tout comme M
me
de
la Carlière quittait un mari qu'elle aimait et qui l'aimait
parce qu'il avait, une fois, commis un faux pas, après avoir
juré d'être fidèle.
La seconde est l'histoire de l'emplâtre :
Desglands amoureux
d'une inconstante (son mari "prétendait qu'il eut
été aussi ridicule d'empêcher sa femme
d'aimer, que
de l'empêcher de boire" (p. 298), finit par tuer le nouvel
amant
qui l'a remplacé (chaque fois qu'il se bat avec lui, il
diminue
l'emplâtre qu'il a mis sur sa joue) ; la jeune
femme meurt
d'avoir été cause d'un crime. Le récit
peut
apparaître comme une illustration de la fable, là
où le mari se conduisait sagement en ne tenant pas compte
des
débordements de sa femme, Desglands, par une conception
étroite de l'honneur, fait le malheur de tous.
Le dépucelage de Jacques
Conte rabelaisien, les personnages en sont une
adolescente, Justine, et deux paysannes, Suzanne et Marguerite, en sus
de Jacques : héros et conteur. Histoire de village
où
pour sauver son ami Bigre et surtout Justine d'être surprise
dans
le lit de ce dernier, Jacques abusera un peu de la situation ; ensuite il
sera recherché par Suzanne, d'abord, puis par Marguerite.
Surpris par le vicaire du village, ils s'en moqueront.
Légèreté, grivoiserie, rires parce que
personne
n'est blessé et que le plaisir n'est rien autre que le
plaisir.
C'est Bigre qu'aime Justine et elle continuera de l'aimer. L'aventure
du grenier n'est pas plus importante que la curiosité, enfin
satisfaite, de Suzon et de Marguerite.
L'histoire du maître
Le récit des amours du
maître est
celui d'une jeune homme naïf, dupé et
volé par un
couple d'aigrefins : Agathe et le Chevalier de Saint-Ouin s'entendent
pour exploiter le maître jusqu'à lui
faire endosser
la paternité de l'enfant du chevalier. C'est dans cette
histoire
que la confusion du désir sexuel et du sentiment amoureux
est la
plus claire puisqu'elle fait du jeune homme le jouet de ses
désirs manipulés par le Chevalier. Il est si
aveuglé qu'il est le seul à ne pas comprendre ce
qu'il
lui arrive : Jacques s'exclame dès le début et le
lecteur
avec lui : le mariage y est dénoncé comme une
affaire
financière et la procréation comme un instrument
de
chantage efficace. Le maître n'échappe au mariage
qu'en
raison de son statut social mais ne peut faire autrement que prendre en
charge l'enfant que la loi lui attribue.
Les histoires de prêtres
Jacques raconte celle de son
frère, qui est
plutôt une histoire de pouvoir, mais il n'en prête
pas
moins à Jean de nombreuses aventures sexuelles, allusivement
:
"et que s'il y avait une fille, deux mois après sa visite
elle
était mariée" (p. 76) et directement : "la
dernière des filles du village, qu'il avait
mariée et qui
venait d'accoucher d'un gros garçon qui ressemblait
à
frère Jean comme deux gouttes d'eau" (p. 81)
Le marquis des Arcis raconte celle du
père
Hudson, elle aussi histoire de pouvoir, mais à
caractère
nettement plus sexuel, puisque son pouvoir sert essentiellement
à lui garantir l'assouvissement de ses pulsions sexuelles.
La petite histoire qu'y
ajoute Jacques sous
forme de tableau montrant un moine pris en flagrant délit
avec
deux filles —entre deux prostituées — (p. 233) permet d'inférer la leçon
que la
fable de la Gaine et du Coutelet avait énoncée :
"Vous
regardiez comme fous certains Coutelets qui faisaient voeu de se passer
à forfait de Gaines, et comme folles certaines Gaines qui
faisaient voeu de se fermer pour tout Coutelet." : agir contre la
nature ne peut produire que des catastrophes,
méchanceté,
agressivité, volonté de pouvoir, manipulations
diverses.
Cela rend les êtres qui le font hypocrites pour le moins,
malheureux le plus souvent, et entraîne le malheur des
autres.
2. Jacques
le fataliste : un éloge de l'inconstance ?
A première vue, il semble
que oui.
L'intertextualité interne (avec
Le Supplément au
voyage de Bougainville)
et externe (Montaigne) semble plaider en ce sens. Pourtant, le roman ne
prend nullement à son compte le discours de Don Juan
à
Sganarelle, dans la pièce de Molière : "Quoi
, tu veux qu'on se lie au premier objet qui vous prend, qu'on renonce
au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne?" (
Dom
Juan, I, 2), la question posée est plus
fondamentale et vise
à déplacer l'interrogation. Du conte rabelaisien
à
la comédie de moeurs en passant par l'attaque en
règle de
la religion (dans l'histoire du marquis des Arcis un prêtre
joue
les entremetteurs), ce sont les fondements d'une morale qui sont remis
en cause.
La maîtresse inconstante de Desglands est une femme
honorable,
dont les sentiments sont honnêtes et
généreux, dont le mari (pourtant
"trompé" selon les normes sociales) fait l'apologie, et qui
meurt d'être cause d'une haine entre deux hommes. Il
n'y a
qu'une société hypocrite qui peut se formaliser
de ce
qu'elle nomme ses "débordements". Dans
Le
Supplément au
voyage de Bougainville, la question était
posée
plus
directement et la réponse visait à mettre en
accord la
loi sociale et les besoins de la nature, au lieu comme le signalaient
les Tahitiens d'enfermer les humains dans des contradictions insolubles
: ou obéir aux lois civiles voire religieuses et
être
malheureux en déconsidérant les
impératifs
naturels, ou obéir aux impératifs de
la nature et
se trouver rejeter au ban de la société, du moins
pour
les femmes.
Jacques le
Fataliste...,
semble par la voix du narrateur plaider au moins pour une
égalité masculin-féminin "les hommes
communs
aux femmes communes." Balzac s'en souviendra avec
précision en écrivant
La Physiologie du mariage.
3. Une interrogation sur la morale et donc la
liberté.
Chacune de ces histoires pose davantage
la question de la
sexualité que celle du sentiment. En renouant avec les
histoires plaisantes traditionnelles : celles des maris
trompés, ou des moines lubriques, le roman expose aussi
peut-être leur raison d'être, une
manière de compensation face à des situations
invivables où les êtres humains (hommes et femmes)
se font souffrir, prisonniers d'une morale, d'impératifs
sociaux qui ne leur laissent le choix qu'entre deux malheurs : celui de
rester avec quelqu'un qu'ils n'aiment pas ou n'aiment plus (le marquis
des Arcis) ou celui de se mettre hors-la-loi, de déclencher
des catastrophes : le duel de Desglands combattu par la jeune femme qui
anticipe sur le meurtre de Saint-Ouin commis par le maître,
la vengeance perverse de M
me de la Pommeraye
dont l'échec n'empêche pas la noirceur.
La dernière histoire, par sa gaillardise, suggère
une réponse qui ferait de la sexualité un besoin
physique sans plus d'importance (mais sans moins non plus) que la faim,
la soif ou le sommeil. Elle entre dans le domaine du corps qui n'est ni
moral, ni immoral, qui simplement EST, comme matière. Reste
que les individus vivent en société, que les
sociétés ont besoin de se reproduire et de
réguler cette reproduction. Dans
Le Supplément au
voyage de Bougainville, la liberté apparente,
aux yeux des Européens, des Tahitiens, masquaient des
règles différentes, mais qui n'en
étaient pas moins des règles. Restent aussi les
sentiments et les émotions : les couples de Jacques et
Denise,
du paysan et de sa femme, voire de l'aubergiste et de son mari, de
Prémontval et M
elle
Pigeon, de Justine et Bigre, dans ces deux derniers cas, d'ailleurs,
se
pose aussi la question des familles (des pères en
l'occurrence)
qui se mêlent de régenter ce qui ne peut
l'être
comme l'a dit Jacques au début du récit.
La réponse, là, se trouve
peut-être dans le
couple formé par le paysan et la paysanne du
début, par
le narrateur et son épouse, par l'aubergiste du Grand-Cerf
et
son mari, par le marquis des Arcis et sa jeune épouse: un
projet commun et des enfants à élever. Dans
chacun de ces
cas, hormis pour l'épouse du narrateur dont le lecteur ne
sait
rien en dehors de son existence et sa conversation avec Gousse
où elle
apparaît comme bonne ménagère et
hospitalière, les couples semblent s'être
fondés sur un désir physique, dont
témoigne encore les couples jeunes (commençant
comme Justine et Bigre, voire Jacques et Denise puisqu'il s'agit du
récit de leur rencontre) évoluant vers une sorte
d'association tolérante, comme l'aubergiste et son mari en
donnent l'exemple, occupés à faire fructifier
leur entreprise.
Mais l'essentiel se trouve dans le fait que la relation amoureuse est
de toutes les relations humaines celle qui peut le mieux se regarder
comme un "modèle" (au sens de "système
représentant les structures essentielles d'une
réalité") puisqu'elle met en jeu un
déterminisme qu'on pourrait appeler "instinct
génésique", besoin de reproduction, et une
liberté qui est le choix du partenaire. C'est aussi par
rapport aux relations amoureuses que les humains veulent à
la fois le plus de liberté comme le dit Diderot
lui-même à l'une de ses maîtresses
(Madame de Meaux) : "je ne puis souffrir que mes sentiments pour vous,
que vos sentiments pour moi soient assujettis à quoi que ce
soit au monde...", et contradictoirement, la détermination
la plus grande, comme si le mythe de Tristan et Iseut, l'absorption du
philtre, pouvait seul être garant de la profondeur du
sentiment. "L'instinct" sexuel poussant à l'inconstance, et
le "philtre" exigeant la fidélité et
l'unicité du sentiment amoureux sur la base de la phrase, devenue fameuse, de
Montaigne expliquant son amitié avec La Boétie : "Parce que c'était lui, parce
que c'était moi."
Ainsi, les histoires d'amour jouent-elles leur partie dans la
réflexion philosophique à l'oeuvre dans le roman
en reposant indéfiniement la même interrogation :
liberté ou déterminisme ? Aucune des histoires ne
fournit de vraie réponse, hormis le rire "rabelaisien"
visant à rendre à la sexualité sa
dimension ludique et joyeuse, en déplaçant la
question morale vers le rapport à autrui. D'une certaine
manière, Diderot libère la question, en redonnant
à chacun le droit de trouver la réponse qui lui
convient comme le marquis des Arcis a trouvé la sienne dans
la situation où M
me de La Pommeraye avait voulu le
piéger.