L'image surréaliste

coquillage


L'image poétique

     Si la poésie est chant (Orphée n'est-il pas son mythe fondateur ?), elle est aussi depuis longtemps image. A Simonide de Céos (-556/ -468?)  est, en effet, attribuée une formule constamment reprise, en particulier par Cicéron, "La peinture est une poésie silencieuse et la poésie une peinture qui parle.", ce qu'Horace condense en Ut pictura poiesis ("la poésie est comme la peinture"). Si le propos d'Horace était quelque peu différent de celui de Simonide, leurs successeurs les ont ramenés sur le même plan. On attribue aussi à Simonide cette formule que ne renierait aucun poète : "La parole est l'image (eikhon) de la réalité". Depuis les Grecs, la poésie chante en images. La Rhétorique d'Aristote consacre sa troisième partie à la lexis (elocutio) et la métaphore y occupe une place de choix. Plus tard les traités des figures de style feront l'inventaire des recours permettant aux orateurs, ensuite aux écrivains de faire "voir", de rendre sensible leurs évocations. La comparaison, la métaphore, le cliché lui-même (qu'il se formule à l'aide de comparaisons ou de métaphores), la métonymie, la synecdoque, la périphrase sont des figures plus évocatrices que toute désignation directe. L'image n'a donc pas attendu le surréalisme pour affirmer son importance.
Quelle est donc sa nouveauté dans cette longue histoire ?
D'abord le fait que, pour les surréalistes et par eux, l'image devient prééminente. C'est aussi qu'ils l'affranchissent, à l'instar de certains de leurs devanciers qui le faisaient quelquefois (Rimbaud, Apollinaire, Cendrars), de ses substrats rhétoriques, la faisant surgir plus volontiers de rapprochements de mots dont l'effet de surprise est le principe. Ainsi avait fait Rimbaud dans "Le bateau ivre" (ex. "Et l'éveil jaune et bleu des phosophores chanteurs") ou Apollinaire dans cette image de "Signal-fusée" qu'affectionnaient particulièrement les surréalistes "Ta langue poisson rouge dans le bocal de ta voix".
Ensuite parce que l'image, pour eux, relève moins d'une poétique que d'une "philosophie".
En cela, ils ne s'éloignent pas des préoccupations contemporaines relatives à la compréhension du fonctionnement de l'esprit. Sigmund Freud, à Vienne, mais après être passé dans le service de Charcot, à la Salpétrière à Paris ; Janet, ou Binet en France, parmi beaucoup d'autres, s'intéressent à la folie, aux turbulences mentales, aux rêves et par là même aux images comme l'avaient fait certains de leurs prédécesseurs, Alfred Maury ou le marquis d'Hervey de Saint-Denis. Il n'est jusqu'au très rationnel Valéry qui ne se penche sur les rêves, et qui définit l'homme comme "cet animal séparé, ce bizarre être vivant qui s’est opposé à tous les autres, qui s’élève sur tous les autres, par ses... songes, — par l’intensité, l’enchaînement, par la diversité de ses songes !" (Variété I), raison sans doute pour laquelle Les Cahiers poursuivent aussi une réflexion sur le rêve, car de la songerie ou rêve diurne au rêve nocturne la distance est bien courte.
L'image apparaît donc aux surréalistes comme la voie d'accès majeure à cette part de l'esprit dont la conscience ne s'approche pas ou, pis encore, qu'elle cherche à voiler, à contrôler et qui s'exprime sans détour dans la voix des enfants, des fous ("Les déraisonnants en qui nous nous reconnaissons si bien" disait Segalen de son côté), des "primitifs" de tous bords, ceux qu'on appelle encore les "sauvages" ou, plus proches d'eux les "autodidactes" dans tous les domaines, comme le Douanier Rousseau en peinture.



Max Ernst, collage 1920

Max Ernst, La puberté proche ou Les Pléiades, 1920, collage sur carton.

Le carton porte sous le collage un poème (en français):
La puberté proche n'a pas encore enlevé la grâce tenue de mes pléiades / le regard de nos yeux pleins d'ombre est dirigé vers le pavé qui va tomber / La gravitation des ondulations n'existe pas encore



cadavre exquis, 1933

Jean Arp, Oscar Dominguez, Marcel Jean, Sophie Taeuber-Arp, Cadavre exquis, 1937.
Photos déchirées, crayon sur papier plié en huit.
(Centre Pompidou)

L'expérience de l'écriture automatique, celle des récits de rêve puis celle des sommeils hypnotiques, celle aussi des jeux comme "le cadavre exquis" fournissent des contingents d'images insolites car, n'obéissant plus aux règles de la rhétorique, elles obligent à explorer les voies qu'elles imposent, elles font surgir des analogies improbables permettant de sonder le non-dit, l'impensé encore.

Lautréamont

     Le rôle des Chants de Maldoror par le comte de Lautréamont dans cette appréhension de l'image a été grand car, plus encore que Rimbaud (qu'il ne faut pas négliger pour autant) il libère l'imaginaire, un imaginaire violent, perturbant mais qui ouvre indéniablement sur ailleurs, sur "l'autre scène" pour employer l'expression de Freud. Non seulement il fournit des exemples, mais il insiste sur les puissances de la comparaison ou de la métaphore "cette figure de la rhétorique rend beaucoup plus de services aux aspirations humaines vers l'infini que ne s'efforcent de le figurer ordinairement ceux qui sont imbus de préjugés ou d'idées fausses, ce qui est la même chose." (Chant IV, 7).  De ses comparaisons, les surréalistes ont surtout retenu la série des "beau comme" et particulièrement celle qui clôt l'évocation de la beauté de Mervyn (Chant VI) : "beau [...] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie." L'image de Lautréamont joue bien de la surprise, les deux objets convoqués n'ayant que peu à voir l'un avec l'autre et encore moins avec la table de dissection que ces pacifiques et domestiques instruments n'ont aucune raison de fréquenter, mais leur point commun est bien la modernité ; la table de dissection connotant la science médicale (faculté de médecine, hôpital ou morgue), la machine à coudre et le parapluie se diffusant largement sous le second Empire. La comparaison est vidée de son contenu au seul profit du choc qu'elle provoque, de la surprise, propice par là même à embarquer l'esprit vers d'autres horizons en commençant par le plus immédiat, trouver des liens (et il s'en trouve toujours) à cette déconcertante conjonction.

Rimbaud

      A la même époque que Lautréamont, sans qu'aucun lien n'existe de l'un à l'autre, Rimbaud aussi renouvelle l'image. Il suffit de lire les Illuminations (rassemblées par Verlaine) ou encore Une saison en enfer (oeuvre découverte en 1910 dans les caves d'un imprimeur belge) pour constater une même quête. La section "Délires. II. Alchimie du verbe" d'une Saison en enfer propose une sorte de démarche poétique, de descente aux enfers, comme Orphée, pour en ramener Eurydice, la Beauté. Or, cette descente aux enfers passe par l'exploration des images rassemblées sous l'intitulé de "peintures idiotes", sous celles de "l'hallucination simple" consistant à voir la réalité comme un palimpseste en superposant "des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac", puis en s'abandonnant à "l'hallucination des mots". Il y rappelle son poème "Voyelles" ("j'inventai la couleur des voyelles") qui procède justement par accumulation d'images détonnantes.
Dans Illuminations, sous le titre "Phrases", peuvent se lire quelques-unes de ces "hallucinations", par exemple "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse." ("Phrases II")



Les textes essentiels



Reverdy, 1918

Breton, 1924

L'image est une création pure de l'esprit.
Elle ne peut naître d'une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique.
Deux réalités qui n'ont aucun rapport ne peuvent se rapprocher utilement. Il n'y a pas création d'image.
Deux réalités contraires ne se rapprochent pas. Elles s'opposent.
On obtient rarement une force de cette opposition.
Une image n'est pas forte parce qu'elle est brutale ou fantastique — mais parce que l'association des idées est lointaine et juste.
Le résultat obtenu contrôle immédiatement la justesse de l'association.
L'Analogie est un moyen de création — C'est une ressemblance de rapports; or de la nature de ces rapports dépend la force ou la faiblesse de l'image créée.
Ce qui est grand, ce n'est pas l'image — mais l'émotion qu'elle provoque; si cette dernière est grande on estimera l'image à sa mesure.
L'émotion ainsi provoquée est pure, poétiquement parce qu'elle est née en dehors de toute imitation, de toute évocation, de toute comparaison.
Il y a la surprise et la joie de se trouver devant une chose neuve.
On ne crée pas d'image en comparant (toujours faiblement) deux réalités disproportionnées.
On crée, au contraire, une forte image, neuve pour l'esprit, en rapprochant sans comparaison deux réalités distantes dont l'esprit seul a saisi les rapports.
L'esprit doit saisir et goûter sans mélange une image créée.
La création de l'image est donc un moyen poétique puissant et l'on ne doit pas s'étonner du grand rôle qu'il joue dans une poésie de création.
Pour rester pure cette poésie exige que tous les moyens concourent à créer une réalité poétique.
On ne peut y faire intervenir des moyens d'observation directe qui ne servent qu'à détruire l'ensemble en détonnant. Ces moyens ont une autre source et un autre but.
Des moyens d'esthétiques différentes ne peuvent concourir à une même oeuvre.
Il n'y a que la pureté des moyens qui ordonne la pureté des oeuvres.
La pureté de l'esthétique en découle.

Pierre Reverdy, Nord-Sud n° 13, mars 1918.


1° Il en va des images surréalistes comme de ces images de l'opium que l'homme n'évoque plus, mais qui "s'offrent à lui, spontanément, despotiquement. Il ne peut pas les congédier ; car la volonté n'a plus de force et ne gouverne plus les facultés." (Baudelaire). Reste à savoir si l'on a jamais "évoqué" les images. Si l'on s'en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible de rapprocher volontairement ce qu'il appelle "deux réalités distantes". Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la plus formelle, que chez Reverdy des images telles que :
Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule
ou :
Le jour s'est déplié comme une nappe blanche
ou :
Le monde rentre dans un sac
offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que "l'esprit a saisi les rapports" de deux réalités en présence. Il n'a, pour commencer, rien saisi consciemment. C'est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu'a jailli une lumière particulière, lumière de l'image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l'image dépend de la beauté de l'étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Lorsque cette différence existe à peine comme dans la comparaison (Cf. l'image chez Jules Renard), l'étincelle ne se produit pas. Or, il n'est pas, à mon sens, au pouvoir de l'homme de concerter la rapprochement de deux réalités si distantes. Le principe d'association d'idées, tel qu'il nous apparaît, s'y oppose. Ou bien faudrait-il en revenir à un art elliptique, que Reverdy condamne comme moi. Force est donc bien d'admettre que les deux termes de l'image ne sont pas déduits l'un de l'autre par l'esprit en vue de l'étincelle à produire, qu'ils sont les produits simultanés de l'actiivité que j'appelle surréaliste, la raison se bornant à constater, et à apprécier le phénomène lumineux.
Et de même que la longueur de l'étincelle gagne à ce que celle-ci se produise à travers des gaz raréfiés, l'atmosphère surréaliste créée par l'écriture mécanique, que j'ai tenu à mettre à la portée de tous, se prête particulièrement à la production des plus belles images. On peut même dire que les images apparaissent dans cette course vertigineuse, comme les seuls guidons de l'esprit. L'esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images. Se bornant d'abord à les subir, il s'aperçoit bientôt qu'elles flattent sa raison, augmentent d'autant sa connaissance. Il prend conscience des étendues illimitées où se manifestent ses désirs, où le pour et le contre se réduisent sans cesse, où son obscurité ne le trahit pas. Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. C'est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d'elle, est la nuit.

Les types innombrables d'images surréalistes appelleraient une classificiation que, pour aujourd'hui, je ne me propose pas de tenter. Les grouper selon leurs affinités particulières m'entraînerait trop loin ; je veux tenir compte, essentiellement, de leur commune vertu. Pour moi, la plus forte est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas; celle qu'on met le plus longtemps à traduire en langage pratique, soit qu'elle récèle une dose énorme de contradiction apparente, soit que l'un de ses termes en soit curieusement dérobé, soit que s'annonçant sensationnelle, elle ait l'air de se dénouer faiblement (qu'elle ferme brusquement l'angle de son compas), soit qu'elle tire d'elle-même une justification formelle dérisoire, soit qu'elle soit d'ordre hallucinatoire, soit qu'elle prête très naturellement à l'abstrait le masque du concret, ou inversement, soit qu'elle implique la négation de quelque propriété physique élémentaire, soit qu'elle déchaîne le rire.

André Breton, Premier manifeste du surréalisme, 1924



Aragon, 1926

Dans la première partie du Paysan de Paris (1926), "Le Passage de l'Opéra", Aragon intègre "L'homme converse avec ses facultés  — Saynète". Au milieu de la discussion apparaît l'Imagination: un médecin étranger, "vieillard grand et maigre" qui "tient sous son bras Au 125, Boulevard Saint-Germain, par Benjamin Péret". Il s'adresse ainsi à l'homme :







Dali, "Le bateau", 1934-35

Salvador Dali (1904-1989), Le Bateau, huile sur toile, 1934-35.

Un tableau qui n'est pas sans évoquer une comptine enfantine dont la musique a été empruntée à Erik Satie, en somme les "refrains niais, rythmes naïfs" de "L'Alchimie du verbe" (Une saison en enfer, Rimbaud)


DISCOURS DE L'IMAGINATION

A la guerre comme à la guerre : vous tous avec votre façon de faire contre fortune bon coeur, vous aviez compté sans moi. D'une illusion à l'autre, vous retombez sans cesse à la merci de l'illusion Réalité. Je vous ai tout donné pourtant : la couleur bleue du ciel, les Pyramides, les automobiles. Qu'avez-vous à désespérer de ma lanterne magique ? Je vous réserve une infinité de surprises infinies. Le pouvoir de l'esprit, je l'ai dit en 1819 aux étudiants d'Allemagne, on en peut tout attendre. Voyez comme déjà de pures créations chimériques vous ont rendus maîtres de vous-mêmes. J'ai inventé la mémoire, l'écriture, le calcul infinitésimal. Il y a encore des découvertes premières qu'on n'a pas soupçonnées, qui feront l'homme différent de son image comme la parole le distingue à sa grande ivresse des créatures muettes qui l'entourent. Que marmonnez-vous ainsi ? Il ne s'agit pas de progrès : je ne suis qu'un marchand de coco, et ma neige à moi, votre manne, du souvenir à la méthode expérimentale, reconnaissez en elle la griserie du mirage. Tout relève de l'imagination et de l'imagination tout révèle. Il paraît que le téléphone est utile : n'en croyez rien, voyez plutôt l'homme à ses écouteurs se convulsant, qui crie Allô ! Qu'est-il qu'un toxicomane du son, ivre mort de l'espace vaincu et de la voix transmise ? Mes poisons sont les vôtres : voici l'amour, la force, la vitesse. Voulez-vous des douleurs, la mort ou des chansons ?
Aujourd'hui je vous apporte un stupéfiant venu des limites de la conscience, des frontières de l'abîme. Qu'avez-vous cherché jusqu'ici dans les drogues sinon un sentiment de puissance, une mégalomanie menteuse et le libre exercice de vos facultés dans le vide ? Le produit que j'ai l'honneur de vous présenter procure tout cela, procure aussi d'immenses avantages inespérés, dépasse vos désirs, les suscite, vous fait accéder à des désirs nouveaux, insensés ; n'en doutez pas, ce sont les ennemis de l'ordre qui mettent en circulation ce philtre d'absolu. Ils le passent secrètement sous les yeux des gardiens, sous forme de livres, de poèmes. Le prétexte anodin de la littérature leur permet de vous donner à un prix défiant toute concurrence ce ferment mortel duquel il est grand temps de généraliser l'usage.  C'est le génie en bouteille, la poésie en barre. Achetez, demandez la damnation de votre âme, vous allez enfin vous perdre, voici la machine à chavirer l'esprit. J'annonce au monde ce fait divers de première grandeur : un nouveau vice vient de naître, un vertige de plus est donné à l'homme : le Surréalisme, fils de la frénésie et de l'ombre. Entrez, entrez, c'est ici que commencent les royaumes de l'instantané.
Les dormeurs éveillés des mille et une nuits, les miraculés et les convulsionnaires, que leur envierez-vous, haschischins modernes, quand vous évoquerez sans instrument la gamme jusqu'ici incomplète de leurs plaisirs émerveillés, et quand vous vous assurerez sur le monde un tel pouvoir visionnaire, de l'invention à la matérialisation glauque des clartés glissantes de l'éveil, que ni la raison ni l'instinct de conservation, malgré leurs belles mains blanches, ne sauront vous retenir d'en user sans mesure, envoûtés par vous-mêmes jusqu'à ce que, fichant en guise d'épingle une si belle image au croisillon mortel de votre coeur, vous deveniez enfin pareils à l'homme qu'une seule femme à tout jamais fixa et qui n'est plus qu'un papillon cloué à ce liège adorable ? Le vice appelé Surréalisme est l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l'image pour elle-même et pour ce qu'elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses : car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l'Univers. Et il y a pour chaque homme une image à trouver qui anéantit tout l'Univers.









La Mémoire, 1940

René Magritte (1898-1967), La Mémoire, 1940-42.
Le tableau appartient à une série que le peintre poursuit longtemps.

L'image surréaliste n'est donc pas l'association incongrue de n'importe quelles réalités. Si l'analogie entre comparant et comparé est souterraine, elle n'en est pas moins là, et doit faire signe. L'image surgie est en quelque sorte un "moteur de recherche" qui entraîne l'invisible vers le visible.
L'image surréaliste est au carrefour de l'imagination (activité prospective, l'imagination "invente" le non existant, le possible, voire l'impossible) et de l'imaginaire (rétrospectif, puisque réservoir des représentations à la fois collectives et individuelles), tous deux, quoique de manière différente, façonnés par la culture au double sens du terme, celui qui désigne l'ensemble des oeuvres susceptibles d'une appréciation esthétique et celui qui chapeaute toutes les pratiques, les manières de vivre d'une société. Mais cet imaginaire soumis aux activités de l'imagination se trouve bousculé, contraint de fournir ce qu'on ne lui demande, en principe, jamais.
Jeux avec le langage, progressivement, l'image rejoint l'iconographie et les peintres, les photographes aussi, vont prendre part à cette exploration d'un monde qui cesse d'être une donnée immédiate pour devenir la perception troublée et troublante d'une subjectivité.
Comme le tableau ci-contre de Magritte l'illustre. Son titre, "la mémoire" pourrait faire croire à une allégorie, mais relève davantage de l'énigme ou du rébus. Il se propose au spectateur comme une image de rêve, immédiate, évidente et profondément obscure. Le tableau affirme d'emblée qu'il est une image, et non une représentation du réel. Un ciel de toile peinte (rien de réaliste dans cette représentation des nuages), un monde désert mais illimité jusqu'à l'horizon, un visage féminin de sculpture antique aux yeux clos, une tache de peinture rouge qui mime le sang (le vivant? le souffrant ?), une clôture (mais ouverte puisqu'elle se termine avant le tableau), une palissade de bois, dont chaque planche offre une texture différente, interdisant mais aussi permettant, une sphère ouverte en son milieu (une clochette disproportionnée par rapport au visage, possibilité d'alerte ?), une lumière venant de la gauche du tableau, des débris au sol qui font penser à des gouttes de mercure par la texture.
Comme dans le poème surréaliste et ses images verbales, c'est du dialogue entre la subjectivité du spectateur et le tableau, subjectivité visible du peintre, que naîtront les sens, d'autres images provoquées par celle-ci. Un exemple, sur une autre des versions de ce tableau.
L'image qu'elle soit verbale ou iconographique est un symptôme de l'inconscient, elle le manifeste, elle ne l'exprime pas ; elle est une porte qui s'entrouvre, elle ne dit ni ce qu'est l'inconscient, ni ce qu'il contient (puisqu'elle met en jeu plusieurs subjectivités, nécessairement différentes), elle "fait signe".




A lire
: "Le surréalisme, point de basculement du rapport à l'image", article de Myriam Watthee-Delmotte, 2006.



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