Le Procès, Orson Welles, 1962

coquillage


Le Procès, un linceul tendu sur l'incommunicabilité des hommes.
Claude Bessy, Orson Welles, Seghers, 1967



Pour commencer...

Assez curieusement, il s'agit d'un film de commande. En 1960, deux producteurs, Michel et Alexandre Salkind, qui produisent alors le film d'Abel Gance, Austerlitz, où joue Orson Welles, lui proposent de tourner un film adapté d'un "classique" dont ils lui fournissent une liste. Orwell choisit Le Procès. Il aurait dit alors qu'il ne jugeait pas Kafka comme un écrivain "extraordinaire", raison pour laquelle il se sentait plus libre pour l'adapter, mais d'autres déclarations démentent celle-ci. Par exemple, dans un "Entretien avec Jean Clay", (Etudes cinématographiques, n° 13, été 1963) :



Pourquoi Le Procès ?
C'est un grand livre. L'un des textes qui ont marqué l'époque. J'ai restitué l'histoire en 1963. Je voulais peindre un cauchemar très actuel ; un film sur la police, la bureaucratie, la puissance totalitaire de l'Appareil, l'oppression de l'individu dans la société moderne.
Parce que pour vous, Joseph K., le héros de Kafka, qu'on inculpe un matin à l'aube, chez lui, et qui finira sous le couteau du bourreau après avoir vainement tenté de comprendre ce dont on l'accuse, est innocent ?
L'explication serait trop banale... A mon avis, pour Kafka, Joseph K. était coupable. Pour moi aussi. Une des grandes qualités du livre, c'est que Joseph K. fait partie de l'Appareil, de l'Organisation. Il est fonctionnaire, chef de bureau* ; lui aussi fait attendre les autres, lui aussi est plein de morgue et de faux mystère. K. est vaniteux, arriviste. Victime de l'Appareil, il essaie de lui résister, mais en même temps, il est complice. Comme dans la vie. Il est coupable parce qu'il fait partie de la condition humaine.

* Il est même plus que cela, dans le roman, puisqu'il fondé de pouvoir dans une banque.



Ajoutons quelques raisons vraisemblables de ce choix :
1. le cadre, le décor est intemporel. C'est n'importe quelle ville, n'importe où, n'importe quand, ce qui facilite l'adaptation.
2. le récit peut être lu comme proposant une certaine vision du pouvoir (mystérieux, partout, caché, dangereux par cela même), assez proche, en somme, de celle de Racine, dans Britannicus, par exemple.
3. il souligne l'importance des images et de l'imaginaire dans la manipulation des individus (les juges ne sont tout puissants que d'être imaginés tels / pour être coupable, il suffit de le croire), ce que Pascal, après Montaigne, rappelait aussi.
4. il attire l'attention sur le poids du passé dans le présent, son caractère destructeur en même temps que l’impossibilité d’atteindre le noeud qui fournirait la solution : un homme accusé puisqu’arrêté, devant être jugé et qui sera exécuté : mais quel a été son crime ?




affiche du film

Affiche française du film, 1962. Têtes d'affiche, Antony Perkins et Jeanne Moreau.


5. le personnage de K. et ses contradictions : courageux et veule, séducteur et solitaire, arrivé et raté. il y avait déjà tout cela dans Citizen Kane (1941) ou dans La Splendeur des Amberson (1942), voire dans La Soif du mal (1958).
6. La question de la culpabilité (sommes-nous responsables ? de quoi ? de qui ? pourquoi ?)
Le tournage commence en mars 1962 ; il va se terminer en juin. La première a lieu le 21 décembre 1962, à Paris. Le film devait être tourné dans les studios de Zagreb (aujourd'hui capitale de la Croatie). Welles avait dessiné des décors que le budget serré de l'opération lui a interdit de faire construire. Il a donc fallu trouver autre chose. Autre chose, ce sera la gare d'Orsay, désaffectée depuis le début des années 1950. Welles va tirer un exceptionnel parti d'un espace proprement hallucinant.



[...] dans cette gare vide où j'ai découvert le monde de Kafka. Les bureaux de l'avocat, les bureaux du tribunal, les couloirs — une sorte de modernisme à la Jules Verne qui me semblait dans l'esprit de Kafka. Tout y était [...] Si vous regardez la plupart des scènes du film qui ont été tournées à Orsay, vous remarquerez que ce n'est pas seulement un décor magnifique, mais qu'il est plein de tristesse, une sorte de tristesse qui ne s'accumule que dans une gare où les gens attendent. Je sais que cela paraît terriblement mystique, mais vraiment une gare est un lieu hanté. Et l'histoire traite de personnes qui attendent, attendent, et attendent encore qu'on leur remplisse des papiers. Ce lieu est rempli du désespoir de la lutte contre la bureaucratie. Attendre qu'on vous remplisse un formulaire, c'est comme attendre un train, et la gare est aussi un lieu de réfugiés. On a envoyé des gens dans des camps nazis depuis là* ; on y a parqué des Algériens ; c'est un lieu d'une grande tristesse.

* Il semble que Welles confonde. Orsay a été un centre d'accueil des prisonniers à la Libération.

Entretien avec Huw Wheldon pour la BBC, cité par J.-P. Trias, Le Procès, Orson Welles, Cahiers du cinéma, 2005



Quelques extérieurs seront toutefois tournés dans ce pays qui s'appelle encore la Yougoslavie et à Rome.
Le cinéaste a choisi de travailler en noir et blanc, ce qui convient particulièrement bien à son propos puisqu'il est impossible de décider si K. rêve (ce que suggère Melle Bürstner dès le début, et que l'onirisme marqué de certaines séquences tendraient à confirmer) ou s'il vit, dans la vie réelle, ce qui ressemble à un cauchemar, c'est-à-dire une situation inextricable ; les jeux d'ombres et de lumières renforçant cette caractéristique et le noir et blanc "déréalisant" le cadre. Il est difficile d'imaginer les dessins de Piranese en couleurs ! Bien qu'il ait assuré à son chef-opérateur, Edmond Richard, en l'engageant, qu'on "traitera le noir et blanc comme de la couleur", ce qu'avait déjà fait avec brio Eisenstein dans Alexandre Nevski.
Aucune contrainte n'a vraiment pesé sur Welles, cette fois-ci, sauf celle de la musique puisque les Salkind ont imposé le musicien, Jean Ledrut, auquel, à son tour, Welles impose l'Adagio d'Albinoni et des directives précises. Pour Welles, la musique comme le reste, le montage, en particulier, sont nécessairement des éléments de son style.
Ce qu'il confiait, par exemple, aux Cahiers du cinéma, en juin 1958 :



Mais pour mon style, pour ma vision du cinéma, le montage n’est pas un aspect, c’est l’aspect. [...] En ce qui me concerne, le ruban de celluloïd s’exécute comme une partition musciale, et cette exécution est déterminée par le montage, de même qu’un chef d’orchestre interprètera un morceau de musique tout en rubato, un autre le jouera d’une façon très sèche et académique, un troisième sera très romantique, etc. Les images elles-mêmes ne sont pas suffisantes, elles sont très importantes, mais ce ne sont qu’images. L’essentiel est  la durée de chaque image, ce qui suit chaque image; c’est toute l’éloquence du cinéma que l’on fabrique dans la salle de montage.





Fiche technique The Trial (Le Procès), 1962



scénario et dialogues : Orson Welles, d'après le roman de Kafka, Le Procès.
photographie : Edmond Richard
décors : Jean Mandaroux
costumes : Hélène Thibault
musique et arrangements : Jean Ledrut
montage : Orson Welles (non crédité) et Fritz H. Mueller (seul crédité) 
production : France - Allemagne - Italie
durée : 119'
noir et blanc
Prologue : Alexandre Alexeieff et Claire Parker (écran d'épingles)


[le générique complet sur Ciné-ressources]


Interprètes

Anthony Perkins (Joseph K.)
Jeanne Moreau (Melle Bürstner)
Elsa Martinelli (Hilda)
Romy Schneider (Leni)
Madeleine Robinson (Mme Grubach)
Orson Welles (Hastler, l'avocat)
Akim Tamiroff (Bloch)
William Chappell (Titorelli)



photogramme

Photogramme : en sortant du tribunal, Joseph K. se retrouve derrière une porte démesurée.

Les portes sont un des leitmotive du film. Ouverte, fermée, claquée, entrebaillée, enfoncée, plus ou moins cachée ou comme, dans le plan ci-contre, démesurée, la porte rappelle dans tout le film l'apologue qui l'introduit.
La porte ouvre sur l'interdit : une femme presque désabillée, séquence 1, ou des hommes torturés, séquence 5. Mais elle pourrait être une issue que le personnage ne parvient pas vraiment à trouver, ou "à inventer" selon la formule sartrienne.




Découpage



numéro / durée

contenu de la séquence

commentaire


0 (4'08)

générique ( = déroulant sur fond noir, 1'13)
prologue (2'91) : écran d'épingles (Devant La loi — apologue conté dans le roman, au chapitre IX, par l'aumônier de la prison)





Fondu enchaîné

Le récit est conté en voix off (Orson Welles) et se conclut par "This tale is told during a story called The Trial. It's been said that the logic of the story is the logic of a dream... or a nightmare." (Ce conte est raconté dans une histoire intitulée Le Procès. On a dit que la logique de cette histoire est la logique d'un rêve... ou d'un cauchemar.)
C'est une pratique, la voix off, que Welles affectionne. Ses films sont toujours des histoires que quelqu'un nous raconte, comme à ses débuts à la radio.
Welles choisit donc la piste du conte en déplaçant le récit de la porte de la loi pour le mettre en ouverture et en clôture, et si le film commence par une voix off, il se clot de la même manière, le générique est dit, il ne défile pas sur l'écran. Le procédé avait été souvent employé par Sacha Guitry qui aimait raconter des histoires, il sera repris par Truffaut dans Farenheit 451 (1966), pour d'autres raisons.
Le placer aussi sous le signe du rêve (comme l'avaient fait nombre de commentateurs lors de la première édition du roman, en 1925), c'est inciter le spectateur à la vigilance et à l'interprétation. Un rêve dit toujours ailleurs, comme Freud l'a expliqué (condensation, déplacement), etc.


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1
(22'14)

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le jour de l'arrestation

la séquence se déroule en trois parties:
a. la chambre = 7'14
b. Mme Grubach (intérieur +balcon) =7'16
c. Melle Bürstner = 7'82
noir

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le premier plan : visage du dormeur s'éveillant, contreplongée ; le 2e plan est celui de la porte vue par le personnage couché, elle apparaît comme énorme, donc inquiétante.
L'atmosphère d'étouffement est rendue par des noirs très denses, la démultiplication des plans rapprochés, les plafonds très bas qui écrasent les personnages.
La séquence se termine par la fermeture violente des portes de la chambre de Melle Bürstner qui l'a jeté dehors. Si madame Grubach trouve la situation "abstraite", Melle Bürstner s'inquiète d'une possible implication politique qui l'effraie et la met en fureur.


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2
(2'23)

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le bureau


fondu enchaîné

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le bureau : un alignement de dizaines de personnes tapant à la machine. K. va mettre un paquet (c'est un gâteau d'anniversaire, dit-il à son directeur) dans un cagibi, en louvoyant entre les tables. Une secrétaire l'avise de la présence de sa cousine. Le directeur insinue qu'il ne s'agit pas d'une cousine, attitude à la fois envieuse et réprobatrice.


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3
(4'01)

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la femme à la malle

fondu au noir

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extérieur, nuit. K. revient chez lui avec son gâteau et croise une boiteuse (elle a un appareil à la jambe droite) qui tire la malle de Melle Bürstner qu'il reconnaît. Il tente de l'aider et se fait rejeter. Elle est l'amie de Melle Bürstner qu'elle appelle Marika, et accuse K. d'être responsable d'un déménagement qui lui est dommageable.
Dans le scénario, elle porte le nom de Melle Pittl (le personnage est joué par Suzanne Flon).


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4
. ( 7'51)

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le tribunal

a.le concert + la marche vers le tribunal : 3'74
b. le tribunal : 3'76




fondu au noir

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salle de théâtre, un concert (musique d'opérette qui rappelle un peu Offenbach). Un billet avise K.  il sort et est conduit à travers des couloirs (qui font penser à des caves) devant deux hommes. On lui donne un plan pour aller au tribunal, il traverse d'autres couloirs, débouche sur une place que domine une grande statue voilée levant les bras au ciel (que Kubin aurait pu imaginer tant elle est menaçante). Au pied de la statue des groupes de gens, à demi dévêtus, portant au cou une plaque avec un numéro. D'abord des hommes, quelques femmes vêtues, tous sont vieux. Après le bureau, le théâtre, c'est la 3e répétition de K. se frayant un chemin dans une foule qui l'ignore (le thème court tout le long du film).
Le décor (couloirs et escaliers) évoque les dessins de Piranese.
Le tribunal est lui-même une salle de spectacle dont le public, masculin, rit, applaudit. Il doit monter sur l'estrade où un homme assis à une table lui demande s'il est peintre en bâtiment (house painter). Il commence un discours vindicatif, plusieurs fois applaudi, mais interrompu par un homme qui brutalise une femme près de la porte et l'enlève sur son épaule. Tout le monde se lève et rit. K. sort. Plan sur la porte énorme, K. ramené au statut de l'enfant (comme déjà la vision de la porte dans la séquence 1 le suggérait), lequel lui prenait la main dans la salle pour le conduire à l'estrade.


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5
(9'31)

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le bureau

a. la punition: 3'74 (la scène à  l'intérieur du débarras ne dure que 2'81 et comporte 74 plans)
b. l'oncle (et l'ordinateur)

fondu au noir

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K. dans son bureau, entend des bruits dans le cagibi, ouvre la porte sur une scène inattendue, les deux hommes qui l'ont arrêté se font fouetter, ils l'implorent. il tente de suborner le bourreau. Les autres s'acrochent à lui. Sifflement du fouet. Violence de la lumière qui illumine puis éteint la scène. Nombreux gros plans. K. s'extrait difficilement du cagibi et ferme la porte. Angoisse du personnage.
La secrétaire le prévient que son oncle Max est là. Ce dernier lui reproche de ne pas s'occuper de sa situation.
Les bureaux se vident. K. suit son oncle, puis retourne au débarras où les deux hommes sont baillonnés. Il rejoint ensuite son oncle qui propose de consulter l'ordinateur (ici une séquence tournée avec la machine et son opératrice a été coupée au montage).


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6
(13'19)

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chez l'avocat

a. l'avocat
b. Leni
c. Bloch
d. sortie





Fondu enchaîné

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s'ouvre sur les yeux de Romy Schneider (Leni) à travers l'oeilleton de la porte (qui ressemble à celui des cellules de prisonniers de l'époque). L'appartement, comme une chapelle, est jalonné d'une grande quantité de bougies. Leni a une blouse blanche comme une infirmière. L'avocat apparaît dans son lit dans des volutes de fumée. Lorsqu'il s'intéresse à Joseph K. celui-ci se détourne, quitte le groupe des trois hommes qui discutent sa situation (voix off) et rejoint Leni, appelé, en somme, par un bruit de verre cassé.
Leni l'entraîne dans le bureau de l'avocat où il voit son premier portrait de juge. La salle est pleine de dossiers écroulés (la scène fait penser à l'un des plans les plus célèbres de Citizen Kane où Kane, pris en contreplongée trône au milieu de paquets de journaux.)
Première vision de Bloch derrière une porte qu'il ouvre, en contreplongée, air apeuré (la scène rappelle celle du cagibi de la séquence précédente)
Longue et difficile sortie. dispute avec l'oncle.
La séquence entière est marquée par l'orage extérieur (tonnerre et pluie)


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7
(12'98)

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Le tribunal

a. Hilda, l'étudiant
b. l'huissier (le greffe)
C. sortie du tribunal

fondu enchaîné / Adagio

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lieu meublé comme un appartement. Hilda coud à la machine. Ouvre la salle du tribunal, grands panneaux d'affichage, estrade. Arrivée de l'étudiant, agressif, emporte Hilda sur son épaule comme dans la séquence 4. Poursuite dans le couloir. Ils disparaissent derrière une porte que K. n'ouvre pas. Arrivée de l'huissier à travers une longue passerelle. L'espace ressemble à un grenier. Les portes vitrées que l'huissier ne peut pas ouvrir. Après avoir traversé les rangs de gens en attente (des hommes), K. se retrouve dans des archives, malaise de plus en plus grand, une femme surgit qui le conduit vers la porte, mais pour l'atteindre, il doit encore passer par des pièces où d'autres hommes attendent.


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8
(2'82)

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rencontre avec Irmi
(la cousine)
fondu enchaîné

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Extérieur / jour : des escaliers, des colonnades, surgit la cousine qui lui fait des reproches. Ils marchent devant de grands immeubles modernes et arrivent devant ce qui est supposé être le bureau de K. (la scène a été filmée à Rome devant le Ministère de la marine)


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9
(21'99)

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chez l'avocat

a. Bloch
b. le licenciement de l'avocat
fondu enchaîné

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Ellipse. Il est chez l'avocat, nuit. Les yeux de Leni, puis ceux de Bloch. Il entre, Leni est en combinaison, elle fuit. Conversation avec Bloch dans la cuisine. Il finit par dire qu'il va congédier son avocat : réactions paniques de Bloch et de Leni.
Mais l'avocat l'appelle, confidence sur le pouvoir de séduction des accusés.
Leni lui conseille de voir le peintre. Pour finir, il défonce la porte que refuse d'ouvrir Leni, d'un grand coup de pied.


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10
(9'28)

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Chez Titorelli

a. escaliers, petites filles
b. atelier du peintre
c. greffe.
d. corridor, souterrain

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rue miteuse, puis escaliers pleins de petites filles bruyantes qui l'encerclent. Difficile arrivée chez le peintre qui doit jeter les petites filles dehors (univers inquiétant, le peintre les menace de prendre son "pic à glace"). Toute la scène se passe sous leurs regards derrière les planches espacées qui délimitent l'atelier de Titorelli, yeux démultipliés en inserts. Il étouffe, veut partir, achète trois tableaux sans les regarder et sans les payer non plus. Dit qu'il reviendra et sort par la porte cachée derrière le lit qui débouche sur le greffe couvert par une verrière. Rangée de tiroirs, présence d'accusés en attente, panique et course à travers un corridor de planches horizontales, poursuivi par les petites filles (absolument sublime), puis dans un souterrain (qui rappelle Le Troisième homme) débouchant dans la cathédrale reconnaissable aux fenêtres en ogive.


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11
(4,56)

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A la cathédrale

a. le prêtre (Michel Lonsdale)
b. l'avocat

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Une voix interpelle K., celle d'un prêtre, il clame encore son innocence. Arrive l'avocat qui lui passe, avec un appareil de projection de diapositives, l'histoire de la loi. La superposition de K. sur l'écran l'identifie à l'homme de la campagne. "it's all lost. And so What ?" (Tout est perdu. Et alors ?) clame K.
Oppressé le personnage s'enfuit.


12 (7'18)

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la fin

a. la marche
b. l'exécution
c. fumées, générique oral (les acteurs)
d. générique déroulant (technique)
e. dernier plan sur la porte de la loi qui se ferme (écran d'épingles)

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extérieur / nuit : K. marche, avec derrière lui la cathédrale. Surgissent, en haut de marches, deux hommes (ceux de la séquence 4) qui l'encadrent et l'entraînent dans une course à travers la ville. Ils passent devant la statue (séquence 4), la place est vide, puis dans la campagne, un lieu désert, ils le font tomber dans un trou plein de pierres, il se dévêt, les hommes descendent, et l'ayant fait coucher en utilisant sa veste comme oreiller, passent et repassent un couteau de boucher, avec un air navré, mais ne l'utilisent pas et remontent. K. Les interpelle. Il rit aux éclats. Ils jettent un paquet de dynamite, explosions, Adagio, fumées, finalement remplacées par un plan de nuage atomique, bien que Welles ait nié ce fait, assurant à Bogdanovitch (Belfond, 1983) :" Ce n'est pas  [c'est Welles qui souligne] un champignon atomique. C'est ainsi que se forme le nuage après toute explosion", ce que démentent les images précédentes. Disons que c'est une manière de refuser la réduction.
Générique oral qui rappelle "This film The Trial was based on a novel by Franz Kafka" (Ce film, Le Procès, est tiré d'un roman de Franz Kafka) suit la liste des acteurs, puis la conclusion "I played the advocate and wrote and directed this film. My name is Orson Welles " (J'ai joué l'avocat et jai écrit et mis en scène ce film. Mon nom est Orson Welles). Suit le générique technique et la dernière image de la porte  (écran d'épingles)






Orson Welles

Orson Welles dans le rôle de l'avocat, Hastler, séquence 9.

Sur le sujet du Procès, bien de l'encre a été dépensée. Chacun, comme pour Kafka, a sa petite (ou sa grande) idée sur la question. Et elle change, naturellement, chaque fois que nous revoyons le film. Mais ce qui ne change pas, c'est l'éblouissement que provoque l'oeuvre. Parce que chaque nouveau visionnage fait apparaître la trame serrée de la construction, le rythme qui va en se précipitant au point que les trois dernières séquences, autrement dit les 20 dernières minutes du film, s'enchaînent sans temps mort, dans une course de plus en plus hallucinée, à l'inverse des  20 premières minutes du film, dans un espace clos, l'appartement, avec des déplacements réduits du personnage. Au début, il tourne en rond, à la fin il fuit, et même encadré par ses deux exécuteurs, le déplacement est encore une fuite vers le vide (la plaine déserte), vers la mort, vers le néant. L'image fixe de la nuée atomique in fine, se substituant à la fumée des explosions filmée, est, dans une certaine mesure, un commentaire du cinéaste qui ferait de son histoire, même s'il récuse cette interprétation, un apologue au même titre que celui de la porte de la loi, un apologue sur la folie de l'humanité, qui se détruit elle-même, comme le personnage.
Frappe aussi un certain nombre de situations récurrentes : les rapports ambigus avec les femmes, séduction-répulsion toujours. Gentillesse de Mme Grubach, la logeuse, d'abord acceptée comme réconfortante puis repoussée (plan magnifique derrière la vitre dont le rideau baissé brutalement se relève aussitôt); désir de Melle Bürstner, qui le repousse violemment quand elle croit qu'il est impliquée dans des problèmes politiques; accusations de la boiteuse qu'il aide à contre temps, d'ailleurs, saisissant sa malle pour la porter où elle ne veut pas ; Hilda, qui s'offre, ce qui le tente mais son enlèvement par l'étudiant coupe court ses vélléités ; Leni (Romy Schneider magnifique de séduction et de malice) à laquelle il succombe pour la repousser ensuite violemment ; enfin, les petites filles (femmes aussi dans le souterrain) de l'avant dernière séquence: Furies (aurement dit Erynnies) ou Bacchantes, on ne sait trop. Dans tous les cas, menaçantes pour les hommes. Sans compter la jeune cousine. Ainsi se tend un fil qui trame le récit d'une interrogation sur les rapports entre hommes et femmes qui ne sont pas moins inquiétants que tous les autres rapports humains ou leur absence.


Récurrentes aussi sont les situations où Joseph K. se trouve au sein d'un groupe (le plus souvent à dominante masculine) dans lequel il doit se frayer un chemin, à contre courant (par ex. au tribunal, séquence 4, ou dans le bureau, séquence 5), en s'en différenciant (au théâtre, par exemple, où son isolement se traduit par les présences féminines, plus nombreuses que masculines), en s'y perdant (sur la place de la statue), ou en traversant des rangées d'hommes en attente (dans les deux greffes, séquences 4 et 7) ; dans tous les cas, le personnage louvoye au sein de ces groupes, comme s'il ne parvenait pas à trouver le droit chemin. Du monde resserré de la première séquence, le groupe l'entoure et l'écrase, le film va conduire le personnage à l'isolement, la solitude du trou final. La ville que traverse K. avec ses deux "gardes" est vide (la place de la statue, déserte) comme si la solitude existentielle de l'être humain devenait visible à travers le monde déserté que traverse le personnage.
Au fur et à mesure du développement de l'histoire, les espaces deviennent de plus en plus labyrinthiques, escaliers, passerelles, couloirs de toute sortes, y compris ceux que forment les rangées de dossiers ou de tiroirs, ou le souterrain final qui débouche sur la cathédrale qui ne l'est qu'en raison des vitraux (blancs d'ailleurs) et de la chaire où est perché le prêtre. Ces espaces, nettement séparés au début du récit, s'enchevêtrent de plus en plus, on passe de l'atelier du peintre au greffe qui débouche via les corridors sur la cathérale. La sensation d'étouffement est de plus en plus forte (très peu d'extérieurs en fait. La séquence 2 mais la nuit et les immeubles font un enfermement ; la séquence 8, mais là encore, les grands immeubles bouchent complètement l'horizon. Seule la dernière séquence ouvre l'espace, mais sur le rien), y compris dans l'immense appartement de l'avocat où s'entassent meubles et objets, sans parler des dossiers.
Welles en confiant le rôle de Joseph K. à Anthony Perkins, que son rôle dans Psychose d'Alfred Hitchcock (1960) avait rendu célèbre, a choisi un acteur qui rend particulièrement sensible les aspects enfantins du personnage. Dès la première séquence, la sollicitude de sa logeuse, les remarques d'abord moqueuses de Melle Bürstner comme ses propres confidences sur le sentiment de culpabilité qui est le sien depuis toujours, ses gestes, sa parole embarrassée, le trop visible effort pour tenter d'avoir l'air sûr de lui face à la police, en font un "petit garçon" aux prises avec une autorité qu'il dénie autant qu'elle l'écrase. Il ne se dégage de cette emprise que pour mourir, en quelque sorte, lorsqu'avant de quitter la cathédrale, il rétorque à l'avocat "I'm not your son !" (Je ne suis pas votre fils). Personnage touchant avant de devenir parfois irritant (un rien obséquieux avec ses supérieurs, cassant avec sa secrétaire), il oscille perpétuellement entre soumission et révolte, y compris dans la dernière scène, il se laisse coucher docilement puis se relève, éclats de rire, geste de ramasser une pierre pour la jeter contre les deux hommes qui l'ont conduit là.

Le Procès est un très grand film d'Orson Welles.



Et après ?

Jean Louis Bory (1919-1979), grande voix du Masque et la plume, a écrit un très bel article dans Arts, le 27 décembre 1962. A méditer, avant de regarder pour la énième fois l'inépuisable film.



ateleir de Titorelli

Insert, séquence 10, un oeil parmi la ronde de ceux qui enferment K. plus sûrement qu'une prison.

Le Procès, c'est un festival d'Orson Welles. Une véritable anthologie de son oeuvre qu'il nous présente, Kafka aidant, pour nous rappeler tout ce que lui doit le cinéma moderne. Nous reconnaissons les saisissantes contreplongées de Citizen Kane, avec décors plafonnés ; d'Othello (la séquence du bain maure), cette folle poursuite dans une architecture de planches disjointes ; et même du Troisième homme de Carol Reed, il m'a paru reconnaître la fuite dans le souterrain-égout avec échos et éclairage pathétiques.
Mais peut-on reprocher à un auteur de se citer lui-même ? Il faut admirer le travail : étonnant montage, tantôt galopant au rythme d'une action soudain déchaînée, tantôt par longs plans fixes nous engluant dans le faux calme étouffant de cet ordre qui n'est qu'un faux ordre, de cette justice qui n'est qu'une fausse justice. Il faut saluer les éclairages, dramatisant les contreplongées ou construisant l'espace dépaysant — un tel film ne peut être qu'en blanc et noir —, admirer aussi le son : échos suggérant l'espace intolérable, bruit d'averse des machines à écrire, et cette musique, par contraste (Albinoni), si déchirante parce que tellement humaine...
Même s'il était manqué (ce qu'il n'est pas), Le Procès doit compter pour un film important, ne serait-ce que parce qu'il s'agit de Kafka et parce qu'il s'agit de Welles.





A lire
: une analyse intéressante de Michaël Löwy sur Cairn "Ecriture de lumière Der Prozess The Trial" (2010)



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