11 octobre 1885 : François Mauriac

coquillage






François Mauriac, 1933

Photographie de François Mauriac, 1933

Une enfance aquitaine

Au commencement, il y a Bordeaux. 
Bordeaux, c'est un ensemble architectural particulièrement spectaculaire, conçu et exécuté au XVIIIe siècle d'abord sous l'intendance de Claude Boucher, puis sous celle de Tourny et poursuivi après eux. C'est le vin, et les vignes déploient leurs domaines tout alentour ; leurs propriétaires dominent la bourgeoisie du haut du Pavé des Chartrons (ce qui n'est qu'une image, Bordeaux est une ville plate), le beau quartier d'alors ; et Bordeaux, c'est encore les pins, les landes commencent à ses portes. C'est aussi une ville aux stratifications sociales rigides, aussi imposantes que son architecture. C'est encore la mémoire de Montaigne (1553-1592) et de Montesquieu (1689-1755) qui, à deux siècles d'intervalle, rappellent quelque chose comme un devoir de lucidité.
Mais Bordeaux, alors, en cette fin de XIXe siècle et ce début du XXe, c'est aussi et c'est surtout un port, un port important qui trafique avec les Amériques autant qu'avec l'Afrique. Pourtant, dans l'imaginaire mauriacien, le fleuve, la Garonne, dont la courbe vaut à la ville le surnom de port de la lune, ne coule jamais vers l'océan mais vers l'intérieur des terres. A l'encontre de son ami, Jean de la Ville de Mirmont, le port, le fleuve, l'estuaire, l'océan, l'ailleurs n'alimentent ni les rêves de l'enfant, ni ceux de l'adolescent.
En 1925, dans le texte intitulé alors Une enfance provinciale : Bordeaux, l'écrivain marque la ville du sceau de l'origine : "il m'a suffi de cette ville triste et belle, de son fleuve limoneux, des vignes qui la couronnent, des pignadas, des sables qui l'enserrent et la font brûlante, pour tout connaître de ce qui devait m'être révélé."
Alors, Bordeaux ? Un enfant y nait, le 11 octobre 1885. Il est le dernier d'une famille qui en compte déjà quatre : Germaine (1878-1972), Raymond (1880-1960), Pierre (1883-1963, deviendra doyen de la faculté de médecine) et Jean (1884-1946, prêtre). C'est un enfant fragile, plutôt chétif, qui n'aura guère l'occasion de connaître son père puisque ce dernier meurt brutalement en 1887. Leur mère, Claire, née Coiffard, les élèvera seule mais appuyée par sa famille maternelle, et le tuteur des enfants, le frère cadet de son défunt mari. Tout ce monde appartient à la bonne bourgeoisie (négoce et propriété terrienne), catholique pratiquante, guindée comme il est de bon ton dans la ville. Mais si Mauriac a raconté de tristes enfances dans ses romans, ce n'est pas vraiment la sienne. La famille est nombreuse et présente. On passe, comme il se doit, l'année scolaire en ville, mais les vacances à Saint Symphorien (environ 50 km au sud de Bordeaux dans les Landes) où sa mère a fait construire (ou acheté, les sources diffèrent) une maison de vacances dans les années 1890, sans compter les séjours à Gradignan (dans la banlieue bordelaise) où la grand-mère Coiffard possède une propriété. A la famille appartient aussi le domaine de Malagar (acquis par l'arrière-grand-père Mauriac en 1843, l'écrivain va en hériter en 1927), à 50 km au sud-est de Bordeaux, sur la rive droite de la Garonne, dans des terres à vignes, mais Mauriac n'en découvre les charmes qu'au moment de son adolescence.


François reçoit (dès 1890) la même instruction que ses frères dans des écoles religieuses, avant d'intégrer, en 1898,  Sainte-Marie Grand Lebrun, une institution religieuse que les Marianistes ont ouvert en 1894, où il poursuit et termine ses études secondaires. 
Date importante dans cette adolescence, 1902. C'est l'année où meurt sa grand-mère maternelle. Mort qui est l'occasion de disputes familiales autour de l'héritage ; il a 17 ans et découvre le double fond bordelais, sous les apparences de l'amour et de la civilité, l'âpreté, la rapacité, ce qui aux yeux d'un tout jeune homme, assoiffé d'absolu, ne peut apparaître que comme hypocrisie. Les valeurs et les vertus familiales tout d'un coup dévoilent ce qu'elles recouvrent en fait : la passion de l'argent et des terres.
Il se présente à la seconde partie du baccalauréat, philosophie, en 1903, mais échoue. Il souffre cette année-là d'une pleurésie. L'année suivante, il obtient son examen et commence des études de lettres. C'est à l'université qu'il fait la connaissance de Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914) auquel le lie, pour le temps de la brève vie de ce dernier, une profonde amitié. Son frère Jean l'introduit dans le cercle du Sillon, qu'animait, à Paris, Marc Sangnier. Mais il ne semble pas que Mauriac y ait trouvé ce qu'il cherchait et il s'en écarte assez vite, quoique la résonance de cette rencontre se fera plus durable qu'il ne l'imaginait alors. Lorsque ses positions politiques changeront, c'est à cette influence souterraine qu'il l'attribuera : "Marc Sangnier est un homme qui, pour les catholiques qui avaient 20 ans en 1905, a représenté, si vous voulez, l'éveil de ce qu'il faut bien appeler la mauvaise conscience. A partir de là, je n'ai jamais eu tout à fait bonne conscience." (conférence à L'Express, 1954)
En novembre 1906, il obtient sa licence de lettres et envisage une thèse sur les origines du franciscanisme en France.
Mais en 1907, changement de programme. Il s'agit d'aller à Paris pour entrer à l'Ecole des Chartes. Il ne reviendra plus que très épisodiquement à Bordeaux.
Ces vingt deux années bordelaises ont fait de Mauriac l'écrivain qu'il est devenu. Il n'a cessé de le dire et de l'écrire, par exemple, dans Bordeaux : "(et je désigne sous ce nom toute la matière de mon oeuvre)".
Ce sont ses paysages avec ce qu'ils insufflent dans les caractères des personnages qui les habitent qui se découvrent à chaque nouvelle oeuvre, de la première à la dernière d'une vie qui va en compter beaucoup. Ce sont aussi les interrogations et les inquiétudes grandies dans l'esprit d'un adolescent fortement marqué par le catholicisme de son éducation mais qui découvre aussi ses différences, qu'elles soient physiques (il se sent laid, pas comme les autres, mal à l'aise en groupe, plus tard aspirant à une individualité qui ne semble guère préoccuper autant les jeunes de son âge, à commencer par ses frères) ou spirituelles, l'aspiration à la "pureté" prônée par l'Eglise (qui est le plus souvent à entendre comme condamnation de la sexualité) et une sensiblité / sensualité propice à l'éveil des passions, et donc à la perte de cette "pureté", tant glorifiée.
La littérature a aussi joué un grand rôle dans cette formation. Comme la plupart de ses héros, plus tard, Mauriac est un lecteur vorace. Les livres lus, comme plus tard les livres écrits, lui sont à la fois ouvertures sur le différent et instrument de connaissance de soi, dans un dialogue qui est aussi un affrontement de désirs contradictoires ; comme il l'écrira dans Le Romancier et ses personnages (1933): "Ces personnages fictifs et irréels nous aident à nous mieux connaître et à prendre conscience de nous-mêmes"; peut-être aussi un moyen de mettre à distance, de tenir en respect ces postulations qu'il vit comme contradictoires et oppose sous les noms de Cybèle et de Dieu, paganisme puissant et christianisme tout aussi puissant.






gare de Saint Symphorien

La gare de Saint-Symphorien où se déroulaient les vacances d'été
"C'était un pays où les routes ne menaient nulle part."


landes
Un chemin dans les landes

"[...] l'être collectif dénommé «les garçons», et dont je n'étais qu'une parcelle, avait décidé qu'hors le pays des pins, du sable et des cigales, il n'était pas de vacances heureuses."


la maison de Malagar
La maison de Malagar, le tilleul de l'entrée

"Mais il suffisait à ce garçon d'une terrasse au bout de trois charmilles, et de cette plaine garonnaise à ses pieds où, immobile, il voyageait par les yeux. Là, il put descendre en lui-même, se regarder, soutenir son propre regard, se connaître enfin."




Les chemins d'un écrivain.

     Si, une fois à Paris, Mauriac prépare vraiment son entrée à l'Ecole des Chartes où, après un premier échec, il est admis en 1909, c'est pour y renoncer aussitôt. Le jeune homme a bien d'autres projets. Il publie deux volumes de vers, qu'il juge plus tard avec une certaine sévérité, "vers sans vertèbres", "poèmes flasques", écrira-t-il de ces Mains jointes (titre trouvé par son ami Jean de la Ville de Mirmont) publié en 1909 et L'Adieu à l'adolescence en 1911, n'est pas mieux jugé. Ces oeuvres ne rencontrent guère qu'un succès d'estime, mais la première vaut à son auteur une lettre élogieuse de Barrès lui prédisant une "carrière [...] glorieuse", et le sacrant poète "Monsieur vous êtes un grand poète", ce qui, pour Mauriac, vaut tous les adoubements.
Il se tourne vers le roman, ce qui ne signifie pas qu'il s'éloigne de la poésie, sinon dans la forme commune du vers. Mais Jean Amrouche, en 1952, rappelle encore qu'il tenait particulièrement au titre de "poète". En 1925, il y aura, en effet, un nouveau recueil, Orages, puis en 1940, Le Sang d'Atys, long poème autour du mythe d'Atys, changé en pin par Cybèle, dont il affirme à plusieurs reprises qu'il l'a occupé pendant quelques quinze ans, de 1927 à 1938 ou 1940.
Lui-même, d'ailleurs, confie dans Les Nouveaux mémoires intérieurs (1965) : "[...] poésie. Le nom de poète, je me moque bien qu'on me l'ait dénié! J'en suis un et je n'aurai même été que cela ; et dans la mesure où je n'ai pu m'imposer comme poète, j'ai manqué ma vie,—ou plutôt je l'aurais manquée, si la nappe secrète n'avait alimenté tout ce que j'ai écrit : romans, essais, mais même le moindre article de journal."
En attendant, le roman va faire, pour une décennie, l'essentiel de sa production. Le Mercure de France publie L'Enfant chargé de chaînes, en 1912, lequel paraît en librairie, l'année suivante. Ce n'est pas encore cela, même si l'atmosphère et les questionnements soulevés par le roman montrent déjà ce que sera l'oeuvre à suivre. Son auteur confiera, plus tard, "Dès 1909, j'en avais écrit les principaux chapitres. Il ne s'agit point ici de demander grâce pour les évidentes faiblesses de ce petit livre, ni pour son ridicule héros, mais simplement d'avertir le lecteur qui peut-être se scandaliserait de ce que mes personnages payent vingt francs, à Montmartre, une bouteille de Mumm, et avec quinze mille francs de rente font figure de grands seigneurs!
J'ai eu vingt ans à l'époque des cochers de fiacre, des tziganes, de l'hérésie moderniste*, du double-boston, de la peinture d'Eugène Carrière, du Sillon, et de la Valse Chaloupée." . (* expression utilisée par le pape Pie X, en 1907, englobant toutes les modernités scientifiques et en particulier la lecture historique de la Bible)
En 1914, La Robe-prétexte.
Entre temps, il a fait la connaissance de Jeanne Lafon qu'il épouse, à Talence, en 1913. Le couple aura quatre enfants. Leur fils aîné, Claude (1914-1996), sera lui aussi écrivain.





dessin d'Eugène Clairin

Portrait de Mauriac, dessin d'Eugène Clairin (1897-1980)


Puis c'est la guerre, bien que réformé, Mauriac tient à prendre sa part des souffrances du temps et il s'engage dans le service des ambulances, il sera même volontaire pour Salonique, où il ira en décembre 1916, pour être rapatrié, malade, en mars 1917.
Il revient à Paris en 1918, rencontre Proust qu'il admire profondément et auquel il consacrera un livre en 1926 (et un autre en 1947). Il publie Préséances en 1921 puis en 1922, Le Baiser au lépreux. Le succès arrive enfin, celui des tirages et celui de la réception critique.  François Mauriac, l'écrivain, est vraiment né.

Un écrivain prolifique et multiforme

     Mauriac, sur un fond poétique indiscutable, est d'abord romancier. Ses oeuvres sont toujours courtes et denses, mais nombreuses. Il explore un territoire que d'aucuns pourraient juger étroit, histoires de couples, de familles, tensions entre les aspirations complexes d'individus et la réalité étouffante dans laquelle ils se débattent et qui n'est pas simplement celle de l'entourage et de la réalité. La sécheresse de cet univers trouve souvent dans les landes le décor qui l'enserre et lui ressemble. Aspirations complexes dans la mesure où ses personnages sont tiraillés, au sens le plus charnel du terme, torturés, par leur besoin d'idéal et la pesanteur de leurs corps. Inutile de dire que ni Baudelaire (rappelons-nous de la division en "Spleen" et "idéal" des Fleurs du mal), ni Pascal ("Misère et grandeur de l'homme", quoique Mauriac s'attarde surtout à sa misère) ne sont étrangers à ces questionnements..
Le Baiser au lépreux est suivi d'autres succès. Le Fleuve de feu (mai 1923), Genitrix (décembre 1923), Le Désert de l'amour en 1925 qui irrite profondément les milieux catholiques mais reçoit le prix du roman de l'Académie française. En 1927, Thérèse Desqueyroux, puis Le Noeud de vipères en 1932 et Le Mystère Frontenac en 1933 parachèvent sa réputation de grand romancier des profondeurs. Car c'est sans doute là le miracle de la prose mauriacienne, tout est en surface et pourtant cette surface est celle des abîmes.  Ne dirait-on pas que tous ses romans pourraient recevoir en épigraphe la formule de Hugo von Hofmannsthal "Il faut toujours dissimuler la profondeur. Où donc ? A la surface." ? Et nonobstant cette étrangeté, ou peut-être grâce à elle, tous ces romans sont autant de succès de librairie.
Mais la fin des années 1920 et le début des années 1930 sont aussi des années difficiles pour l'écrivain.
Ce sont des années de crise religieuse, des années où la santé de sa mère se dégrade et elle meurt en 1929 ; ce sont aussi des années où sa propre santé est atteinte, il un cancer du larynx, et en 1933, il faut l'opérer et procéder à l'ablation d'une corde vocale. Mauriac guérit, mais pour le reste de sa vie, sa voix change. Sa parole se fait étouffée, comme perpétuellement placée sous le signe de la confidence.
Parallèlement à son oeuvre de romancier, Mauriac n'a cessé d'être un essayiste. Il explore plusieurs domaines, d'abord celui de la foi. il commence avec de Petits essais de psychologie religieuse, dès 1920, et entre divers autres, signe une Vie de Jésus (1936) qui, une fois de plus, irrite profondément les catholiques — d'une certaine manière, Mauriac les a exaspérés toute sa vie; ensuite celui des auteurs qui lui sont chers, Racine (1928) par exemple, ou Pascal ; et naturellement, son propre travail de romancier, Le Roman (1928) et surtout Le Romancier et ses personnages en 1933.
Enfin, le romancier et l'essayiste ne suffisent pas à la boulimie d'écriture de cet écrivain. Il est aussi journaliste. Le monde intérieur ne se sépare pas vraiment du monde extérieur qui, nécessairement, retentit en lui. Chroniqueur au Gaulois après la guerre, il s'est interrompu dans les années vingt pour travailler son oeuvre. Mais dès le début des années 1930, il reprend la plume pour L'Echo de Paris, puis à partir de 1934, pour le Figaro. La plume alerte et volontiers polémique de Mauriac se met au service de ses convicitions profondes et d'abord un anti-fascisme indiscutable. il s'élève contre l'invasion de l'Ethiopie par les troupes de Mussolini (1935), apporte son soutien aux Républicains espagnols (1936). Ses combats se poursuivront dans la presse clandestine durant la Seconde guerre mondiale, ce qui ne l'empêchera pas, à la Libération, de prôner la charité pour tempérer la justice, certes nécessaire, à ses yeux, mais qui n'en doit pas moins contenir une certaine part de pardon. Après la guerre, les combats continuent dans des chroniques intitulées "Bloc-Note", d'abord à La Table ronde (1952-1954), puis à L'Express (1954-1961) et enfin au Figaro littéraire (1961-1970). Ce catholique n'hésite pas à fustiger son Eglise, à défendre la décolonisation dès les premiers signes de ce combat, à prendre résolument parti, de manière quasi inconditionnelle, pour le général de Gaulle.
A cette époque, son oeuvre de romancier se raréfie. Le Sagouin (1951), Galigaï (1952), L'Agneau (1954), ensuite il faudra attendre 1969 pour voir ressurgir cette veine avec Un adolescent d'autrefois, dont la suite, Malataverne, reste inachevée en raison de la mort de l'auteur, le 1er septembre 1970.
En compensation, la veine journalistique et celle du mémorialiste (Mémoires intérieurs, 1959, et Nouveaux mémoires intérieurs, 1964) occupent les vingt dernières années de cette vie bien remplie.
Et bien que ses pièces de théâtre, hormis la première, Asmodée (première : 22 novembre 1937), ont si peu rencontré leur public qu'il y renonce assez vite, il ne faut pas oublier aussi cet autre aspect de l'écrivain: le dramaturge. Les Mal aimés (1945), Passage du malin (1947), Le Feu sur la terre (1949). Au total quatre pièces, la dernière rédigée à Malagar, alors que l'incendie le plus terrible qui ait atteint les Landes se déchaîne, visible, disent les journaux de l'époque, à 100 Km à la ronde.



Un écrivain admiré

     Mauriac a toujours jugé qu'il avait été un "enfant gâté", entendant par là qu'il n'avait guère eu à lutter pour être reconnu. Il lui a quand même fallu pour cela une bonne dizaine d'années, entre le premier recueil de poèmes (1909) et le premier roman à rencontrer le succès (1922). Pourtant, il n'a pas tout à fait tort. Dès 1928, il a été couronné du prix du roman de l'Académie française ; en 1932, il a été élu président de la Société des gens de lettres ; en 1933, l'Académie française l'accueille, certes avec plus ou moins de bonne grâce, comme le montre le discours répondant au sien propre, dans lequel André Chaumeix (un journaliste alors important) n'est pas tendre avec lui ni son oeuvre. Retenons toutefois cette formule qui nous semble fort juste et fort belle: "Vous, Monsieur, vous êtes le prince orageux des inquiétudes infinies."
En 1946, il est fait grand officier de la Légion de honneur. Et en 1952, c'est le prix Nobel qui couronne son oeuvre, "For the deep spiritual insight and the artistic intensity with which he has in his novels penetrated the drama of human life." (Pour la profonde acuité spirituelle et l'intensité artistique avec lesquelles il a dans ses romans creusé le drame de la vie humaine). A l'occasion, Claudel le taxera d' "écrivain régionaliste". Mais Claudel n'a jamais été à une sottise près.
Il y a maintenant presque cinquante ans que l'ombre de Mauriac marche dans les pins, du côté de Saint-Symphorien, ou se penche sur la terrasse de Malagar devenu le Centre François Mauriac en 1986 à la fois Maison d'écrivain et centre de recherches sur l'oeuvre. Que nous reste-t-il ? Il reste un écrivain aussi fascinant qu'irritant. Fascinant parce que, de fait, comme le disait l'Académie Nobel, tous ses romans continuent de nous interroger, parce que chrétien ou pas, il nous entraîne dans ce désert de l'amour, dans cette irréfragable solitude de l'être humain, cette "solitude sans remède au sein de laquelle chacun de nous a dû affronter son destin jusqu'à la mort, cette solitude dernière, puisqu'enfin nous mourrons seul." (discours de réception du prix Nobel) ; dans cette aspiration démesurée à un "sens", sens de la vie, sens de la mort ; dans cette inquiétude continue devant le mal; et point n'est besoin d'être chrétien pour s'interroger sur son existence et ce qui le permet ; dans cette soif jamais assouvie d'amour de presque tous ses personnages, dont la haine est le revers si facile à apparaître ; parce que sans doute aussi nous fascine cette peinture acide d'une bourgeoisie désuète par bien des aspects, et si proche de nous par tant d'autres, l'égoïsme par exemple ou le souci forcené de l'argent et de la propriété ; mais aussi, sur un autre plan, l'importance accordée à la laideur et à la souffrance qu'elle engendre ; le poids terrible des apparences sur une destinée.




la forêt

"Les pins innombrables"


Mais combien irritant aussi, dans cette "mythification" de l'enfance, cette vision d'une "pureté" dont il aisé de saisir le caractère idéologique, pour aller vite, le discours d'une religion mortifère pour laquelle le corps n'est jamais autre qu'un "vase d'impureté", spécialement, bien sûr, le corps féminin ; comme si l'enfant était autre qu'un être humain en devenir ; et bien sûr aussi, il n'y a d'enfance que masculine, la petite fille, elle, est déjà et toujours femme. Ah! Eve !
Par ce qui, si souvent, paraît simplification. Toute aspiration humaine, nécessairement, que l'homme (l'être humain) le sache ou non, est aspiration vers Dieu. Le lecteur a souvent envie de le renvoyer à Voltaire, et de lui crier que le "misanthrope sublime" est parfois bien fatigant.
Mais chaque fois que la colère nous monte au nez (comme certaine moutarde), tout soudain, une page magnifique sur la beauté du monde, ses odeurs, ses saveurs, la texture du chemin, le glissement du vent sur la peau, les rumeurs des branches, des feuilles, de l'eau qui court cachée dans les herbes, nous bouleverse et nous réconcilie avec ce chrétien si païen ; sur la souffrance dans ces personnages souvent si pathétiques dans leur cruauté tout imprégnée de désespoir, dans leurs désirs se heurtant sans cesse à des murs visibles ou invisibles. Et nous lisons Mauriac à perdre haleine, jusqu'à la prochaine colère et au prochain émerveillement.




A voir
: un diaporama de photos de François Mauriac.
A écouter : une émission de radio (23/08/1965) rediffusée dans les Nuits de France culture (50'03).
Deux mille ans d'Histoire, Patrice Gélinet (france Inter)
A consulter : la bibliographie complète de Mauriac sur sa page à l'Académie française (Oeuvres).



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