22 octobre 1818 : Leconte de Lisle

coquillage


Savoir, comprendre et faire de beaux vers. Le reste = 0
lettre à Alfred Ladivière, 23/1/57







Leconte de Lisle

Portrait du poète par Nadar, date inconnue, sans doute entre 1850 et 1860.

En 1861, Baudelaire fait ainsi son portrait :


"Un front puissant, une tête ample et large, des yeux clairs et froids, fournissent tout d'abord l'image de la force. Au-dessous de ces traits dominants, les premiers qui se laissent apercevoir, badine une bouche souriante animée d'une incessante ironie. Enfin [...] sa conversation, solide et sérieuse, est toujours, à chaque instant, assaisonnée par cette raillerie qui confirme la force."
Revue fantaisiste, 15 août 1861, repris dans Les Poètes français, en 1862 et dans L'Art romantique, 1869


Léon Barracand (La Revue bleue, 28 juillet 1894) nous apprend qu'il avait les cheveux blonds et "l'œil d'une profondeur limpide et d'un bleu de mer polaire".
Admiré en son temps, mais aussi critiqué, les jeunes poètes, rassemblés autour d'une nouvelle conception de la poésie et réunis à la fin des années 1860 chez l'éditeur Lemerre pour publier Le Parnasse contemporain, en ont fait leur maître. Comme la majorité d'entre eux, en particulier José Maria de Heredia dont l'amitié lui était chère, Leconte de Lisle n'est plus guère lu. Il y a à cela de nombreuses raisons. La plus générale étant que la poésie s'est peu à peu marginalisée dans le monde littéraire, le devant de la scène est occupé par les romanciers. Ensuite, l'idée fort répandue que la poésie est épanchement sentimental, expression spontanée d'une intimité, fait des Romantiques ("Ah! frappe toi le coeur, c'est là qu'est le génie!" disait Musset) et de leurs épigones  la référence poétique. Or Leconte de Lisle, et ceux qu'il est convenu de nommer "Parnassiens", refusaient cette conception de la poésie. Dans "Les Montreurs" (Poèmes barbares), Leconte de Lisle le clame fermement : "Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal / Je ne livrerai pas ma vie à tes huées" De plus, ils récusaient l'inspiration, ne croyant qu'au travail. La poésie était pour eux un art qui, comme tout autre, exigeait la maîtrise de techniques particulières (celles de la versification) et celle du matériau même à travailler, le langage. D'où les accusations de "froideur", voire d'ennui, ou, pour tenter parfois de sauver un ou deux poèmes, une exégèse qui s'efforce d'injecter de la confidence personnelle dans des poèmes qui relèvent davantage de la réflexion.
Pourtant, quand, le hasard aidant, un de ces poèmes abandonnés, oubliés, vous tombe sous les yeux, force est de s'incliner à la fois devant la beauté et la puissance de ces vers dont ne sont absents ni la violence, ni la tendresse, ni le jeu, ni la méditation. Ce n'est pas rien.

Alors, ce poète, qui est il ?







baie de Saint Paul

Plage près de Saint-Paul

Retour en arrière.
Charles-Marie-René
Leconte de Lisle naît le 22 octobre 1818, à Saint-Paul, ville sur la côte ouest de l'île de Bourbon, qui avait été rebaptisée île de la Réunion par la Révolution de 1789 pour redevenir Bourbon à la Restauration, puis de nouveau, et définitivement, La Réunion, en 1848, ce qui n'empêche par Leconte de Lisle de continuer à utiliser le nom de Bourbon. Le père du poète, médecin militaire, s'y était expatrié vers 1816 et avait épousé, en 1817, Suzanne Marie Elysée de Riscourt de Lanux, lui apportant en dot terres et esclaves. Leconte de Lisle père plantait de la canne à sucre. Il tient son nom d'un ancêtre ayant accolé au nom de Leconte, celui d'une terre possédée près de Saint-Malo. Ce qui n'est pas sans rappeler Molière et le début de l'Ecole des femmes (I, 1) où Chrisalde se moque de la manie d'Arnolphe de vouloir se faire nommer "Monsieur de la Souche" en lui racontant l'anecdote suivante : "Je sais un paysan qu'on appelait Gros-Pierre, / Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre, / Y fait tout à l'entour faire un fossé bourbeux, / Et de monsieur de L'Isle en prit le nom pompeux." En réalité, il ne s'agissait souvent que de renforcer l'identification d'une personne en la démarquant de sa fratrie, ce qui semble avoir été le cas de l'ancêtre, par ailleurs apothicaire et non paysan.
Le jeune Charles passe sa première enfance, jusqu'à 4 ans, dans l'île dont il dira lui-même : "un pays merveilleusement beau et à moitié sauvage, riche de végétations étranges, sous un ciel éblouissant" (cité par Jean Dornis dans Leconte de Lisle intime, 1895) Couleurs, saveurs, odeurs, lumière, de quoi imprégner un univers. Trop petit encore, sans doute, pour percevoir un monde construit sur l'injustice et l'oppression. Les deux tiers des habitants de l'île sont des esclaves. L'île a refusé, sous la Révolution, d'abolir l'esclavage, que de toutes les façons, Bonaparte a rétabli en 1802.
Lorsque l'enfant a 4 ans, il est emmené en France. La famille s'installe à Dinan, puis ensuite à Nantes. Elle est alors composée du jeune garçon et d'une petite soeur, Elysée, née en 1821. Deux autres enfants naîtront à Dinan : Alfred et Anaïs.



Allers-retours

Il fait ses classes à Nantes, à l'institution Brieugne, où il rencontre Auguste Lacaussade, venu lui aussi de Bourbon, mais de la ville de Saint-Denis. Il y étudiera jusqu'en 1832, année où il est de retour dans l'île. C'est là qu'il passe son adolescence, continuant ses études sous la direction de son père. Les biographes créditent ce dernier des orientations idéologiques de son fils : le républicanisme, l'anticléricalisme. Le père, enfant de la Révolution, aurait eu pour guides spirituels, Rousseau et Voltaire. Nonobstant, il avait épousé une jeune femme fort religieuse, et ni l'un ni l'autre ne semblaient génés de vivre du travail de leurs esclaves, ni ne semblaient éprouver, comme le dira plus tard le poète, une quelconque émotion devant la cruauté des traitements dont ils étaient victimes. Gageons que l'adolescent ombrageux et réfléchi n'a guère apprécié ces contradictions entre le "dire" et le "faire".  Il en dira les sentiments ambivalents ainsi suscités dans un petit conte, Mon premier amour. En prose, publié dans la revue qu'il avait créée, à Rennes, avec un certain nombre d'amis, La Variété, en décembre 1840. Son héros, un adolescent, tombe amoureux d'une ravissante jeune fille qui occupe jour et nuit son esprit jusqu'au jour où cette gracieuse image se révèle une insupportable pimbêche dont l'aigre voix promet de faire fouetter l'esclave chef de ses porteurs. Outré, le jeune homme s'adresse à elle pour la première et dernière fois : "Madame, je ne vous aime plus." lui dit-il, avant de lui tourner le dos. D'une certaine manière, on pourrait dire que tout commence là: la conscience de la beauté, non seulement celle des paysages, des êtres vivants, mais la beauté des choses, des créations humaines, et dans le même mouvement celle du mal toujours à l'oeuvre. La même tension qui organise l'oeuvre de Baudelaire (l'admiration de l'un à l'autre semble réciproque) où le poète se voit écartelé entre  "Spleen" (l'ennui de vivre qui inclut toutes les souffrances matérielles et morales)  et "Idéal" (ce vers quoi l'homme aspire, Beauté, Dieu, Amour, etc.)
Le séjour s'achève en 1838, lorsque le futur poète est envoyé à Dinan pour y passer son baccalauréat en vue de faire des études de droit. Confié à un oncle éloigné qui y habite et va lui servir de correspondant, il va obtenir le baccalauréat avec des résultats peu brillants mais lui permettant de s'inscrire à la faculté de droit de Rennes. Son père lui a choisi un avenir de juriste. Charles n'en est guère enthousiasmé puisqu'il a déjà choisi, lui, la poésie. Ne disait-il pas que sa vocation était née de la lecture des Orientales de Victor Hugo, à 15 ans ? Il fréquente plus volontiers les conférences littéraires que les salles de cours de la faculté de droit.  Il écrit déjà et publie, avec difficulté mais publie quand même. Il essaie de l'aventure journalistique, sans succès. Finalement, il rentre dans sa famille en 1843 nanti, malgré tout, d'un diplôme mais insuffisant pour lui permettre d'exercer. Son séjour dans l'île ne durera guère, puisqu'en 1845 il est de nouveau en France, installé à Paris, et bien décidé à ne plus s'écarter de la voie qu'il a choisie.




esclaves

Trafic d'esclaves. Auteur et date inconnus.



Les années charnière 1845-1848

Le jeune homme qui arrive à Paris est plein d'idées généreuses, "Ainsi il fréquenta les fouriéristes de l'Ecole sociétaire, fut séduit par les idées saintsimoniennes et celles de Lamennais, s'intéressa aux réflexions d'Auguste Comte ou aux recherches de Jacobi sur l’origine et l’évolution des mythes, comme, plus tard aux travaux de Darwin et d'Huxley" comme le résume Romain Vignest sur le site des célébrations nationales. Il collabore à deux publications de tendance fouriériste, La Démocratie pacifique (quotidien, fondé par Victor Connsidérant et qui parut d'août 1843 à novembre 1851) et La Phalange (mensuel). "Entre juillet 1845 et novembre 1847, il n'y publie pas moins de 10 nouvelles et articles signés et 21 poèmes" rapporte Caroline de Mulder dans Leconte de Lisle, entre utopie et république (2005).
1845 est aussi l'année de deux rencontres essentielles, celle de Thalès Bernard (traducteur de Jacobi) et celle de Louis Ménard, chimiste et surtout helléniste. Ces deux amis vont jouer un rôle essentiel dans le développement de ses réflexions et ses orientations poétiques.
Arrive la Révolution de 1848. Le jeune homme y adhère d'abord avec passion et enthousiasme, un enthousiasme qui ne dépassera pas les journées de juin.  Brutalement, Leconte de Lisle rompt avec le politique. Certains biographes veulent voir dans le retrait soudain et définitif du poète de l'arène politique, sa triste expérience de 1848, en Bretagne, où il avait été envoyé pour propager les idées républicaines. Il y avait été si mal reçu qu'il en écrivait aussitôt à son ami Louis Ménard,  le 30 avril 1848 : "Que l’humanité est une sale et dégoûtante engeance ! Que le peuple est stupide ! C’est une éternelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât et sans joug." D'ailleurs, cette Révolution de 1848 n'a réalisé qu'un seul de ses voeux, l'abolition de l'esclavage en faveur de laquelle il militait depuis longtemps. Les conséquences pour lui et sa famille en seront désastreuses. Il lui faut se débrouiller pour vivre, puisque la pension paternelle ne peut plus lui être assurée. Leconte de Lisle entre alors dans la vie difficile qui va être la sienne : survivre. Il va beaucoup traduire (les auteurs grecs qu'il admire), beaucoup écrire (pas seulement de la poésie, seule oeuvre véritable, mais des articles de tous ordres payés — mal— par les journaux), donner des cours particuliers, bref, se débrouiller pour ne pas mourir de faim et se dédier à ses recherches.
L'élection de Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1848, le coup d'Etat de 1851, le plébicite qui suit, renforcent chez le poète son éloignement de la vie publique. Il n'en reviendra jamais, et ses réactions face à la Commune de Paris seront tout aussi violentes (ce dont Verlaine lui en voudra longtemps). L'homme, Charles Leconte de Lisle, est par bien des aspects un excessif, aux colères bouillonnantes, à l'orgueil que l'on pourrait parfois juger démesuré, bien différent du créateur poétique tout d'ordre et de mesure.
En tous cas, les dés sont jetés, dorénavant la vie de Leconte de Lisle (qui a abandonné ses prénoms en entrant dans le champ littéraire) se confond avec la création de son oeuvre.





Vernet
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Horace Vernet (1789-1863), Barricade de la rue Soufflot, 25 juin 1848





statue Luxembourg

Denys Puech (1854-1942), satue de Leconte de Lisle au jardin du Luxembourg, inaugurée le 10 juillet 1898 (voir dans Le Temps du 11 juillet 1898, le compte rendu de la cérémonie)

Construire une oeuvre

Le poète l'organisera en trois séries : antique, barbare et tragique. Ces adjectifs dessinant une trajectoire qu'on pourrait dire historique, en ce qui regarde l'évolution de l'esprit humain, mais aussi biographique, en quelque sorte (le collectif et l'individuel suivant la même progression, de la puissance à la décadence), puisque les poèmes antiques chantent essentiellement des commencements, la jeunesse, une époque disparue ; les poèmes barbares, les transformations du monde et des êtres, et enfin, les poèmes tragiques, les temps modernes qui voient la mort de la divinité qui a remplacé les dieux antiques, la perte du sens aussi.
En 1852, il publie Poèmes antiques (31 pièces dsitribuées entre poèmes et poésies. Les poèmes étant de longs textes, le plus souvent polyphoniques, et les poésies des pièces plus brèves. L'ensemble est précédé d'une préface définissant un idéal poétique que l'art (au double sens du terme : une technique et une conception du beau) alimente. Sainte-Beuve, alors critique fort reconnu, en fera en partie la renommée en publiant in extenso, dans un article du Constitutionnel (9 février 1852) le texte intitulé "Midi".
L'année 1852 est une année faste en poésie puisque c'est aussi l'année d'Emaux et Camées, dans lequel Gautier présente à peu près les mêmes dispositions d'esprit. C'est aussi l'année où paraissent Poèmes et paysages d'Auguste Lacaussade, autre Réunionnais, et l'ami, alors, de Leconte de Lisle. Si nous signalons cette parution, c'est qu'elle marque la date où cette amitié commence à se déliter, et si l'on suit Christophe Carrère (Leconte Lisle ou la passion du beau, Fayard 2009), Lacaussade a eu quelques raisons de s'insurger contre les comportements de son vieil ami.
Le recueil de Leconte de Lisle rencontre ce qu'on appelle un succès d'estime du moins parmi les poètes et, en particulier, ceux de la génération montante.
Entre 1852 et 1862, date du second recueil, Poésies barbares qui deviendra ensuite Poèmes barbares (sur Wikisource, l'édition Alphonse Lemerre de 1889), outre ses écrits poétiques, publiés en revue, avant d'être rassemblés, Leconte de Lisle traduit. Cette intense activité de traduction a une double visée, celle d'assurer la vie quotidienne, et celle de se mesurer aux oeuvres phares de l'antiquité grecque. Par certains aspects, ce travail est profondément en avance sur son temps. Il refuse de lisser le texte original, refuse de franciser —via le latin — les noms propres grecs, choix qu'il met en application dans sa propre poésie.
Il fait aussi la connaissance de la jeune femme qu'il épouse en 1857 (elle a 24 ans et Carrère précise qu'elle était lingère), Anna Adélaïde Perray (1833-1916). Il tient salon aussi, et autour de lui se rassemblent les étoiles montantes de la poésie, et d'autres, connus en leur temps et depuis oubliés. En 1858, nouvelle édition des Poèmes antiques qui ajoute aux 31 textes de la première édition, 27 nouvelles pièces, publiées en 1855, puis de nouveau en 1857. Chaque réédition verra ainsi s'augmenter cette veine d'écriture.
En 1861, il publie une nouvelle traduction de Théocrite.



Autour de lui se constitue progressivement le groupe des Parnassiens qui, en tant que groupe, durera peu, mais ensemence une grande part de la poésie qui fera le XXe siècle. En 1863, il fait la connaissance de José Maria de Heredia (le jeune Cubain a 21 ans) qui deviendra un ami très proche et très cher ; il sera son exécuteur testamentaire. Leur origine insulaire y est peut-être pour quelque chose. Non seulement, ils partageaient le même haute vision de la poésie, mais sans doute aussi partageaient-ils des mémoires très proches de paysages, de couleurs, d'expérience d'une nature bien éloignée des paysages français en sourdine, ce que dit le poète lui-même dans une lettre du 21 septembre 1863 : "Ne sommes-nous pas amis-confrères et quasi-compatriotes ? De Cuba à Bourbon il n'y a que la main. Le tout est de se la tendre cordialement." (Cité par Carrère, p. 304)
Sans compter la culture et l'érudition du jeune-homme qui devait en faire, pour un homme comme Leconte de Lisle, assoiffé de savoir, le compagnon idéal avec lequel partager ses propres savoirs, qui étaient vastes comme le rappelle Joseph Vianey dans Les Sources de Leconte de Lisle, 1907. En 1885, dans une lettre à sa jeune amie Emilie Leforestier, il le décrit encore ainsi : "toujours fulgurant et enchanté de son sort — escarboucles et topazes !" (15 octobre)
La vie suit son cours, selon la formule consacrée. Leconte de Lisle travaille : vastes lectures, écriture des poèmes, traductions, toute besogne tarifée lui permettant d'augmenter ses revenus puisqu'à partir de 1861 il lui faut aussi prendre en charge sa mère et deux de ses soeurs, Elysée et Emma. C'est une vie sinon de misère, en tous cas de pauvreté comme le montrent les appartements qu'il habite, tous situés dans les hauteurs et comme nous le raconte Pot-Bouille (Zola, 1882), plus un logement est haut, meilleur marché il est. En 1853, lui et Lacaussade, ont été favorisés d'une pension annuelle (1800 Fr chacun) octroyée par le gouverneur de La Réunion, considérant que leurs recueils poétiques donnaient de l'éclat à l'île.  En 1864, Napoléon III lui verse une pension, sur sa cassette personnelle, qui sera l'objet d'une intense critique lorsque l'Empire s'effondre, et que la pension en question, par le fait, s'éteint d'elle-même. Il traduit Homère ; l'Iliade est publiée en 1866 et l'Odyssée en 1868. Jules Simon, alors ministre de l'Instruction publique le fait nommer, en 1871, sur les conseils de François Coppée qui abandonnait ce poste, conservateur-adjoint de la bibliothèque du Sénat (d'autres disent "sous-bibliothécaire"). Le poste offre des émoluments qui sont les bienvenus et, surtout, un logement de fonction. La vie quotidienne s'améliore un peu.
En 1873, la tragédie en deux parties, Les Erynnies, est montée à l'Odéon dont le directeur confie l'orchestration à Massenet (première, le 6 janvier). Le poète en est assez satisfait, mais lors d'une reprise en 1889, pour laquelle le nombre de musiciens s'était singulièrment multiplié (de 36 on était passé à 80) il détestera ce qu'il a appelé "un affreux tapage". Il écrira pourtant une autre pièce, en 1888, L'Apollonide, un drame lyrique dont la musique sera composée par Franz Servais. La pièce ne sera mise en scène que bien après sa mort, en 1899, en raison, en particulier, du musicien dont le perfectionnisme en repoussait toujours l'achèvement.
Son troisième recueil, auquel il intègre Les Erynnies, Poèmes tragiques, paraît en 1884. (sur archive.org, une édition de 1886).
Pour chaque nouvelle édition de ces trois livres qui sont l'ŒUVRE, l'auteur remanie ses dispositifs, change l'ordre des poèmes, corrige et réécrit parfois, parfois fait glisser des poèmes d'un livre à l'autre, leur ayant reconnu plus d'affinité avec un autre titre. Dans certains cas, il élimine.




Leconte de Lisle

Caricature de Leconte de Lisle par Coll-Toc, Les Hommes d'aujourd'hui. Le poète, porteur d'une plume et d'une lyre, emporte le fauteuil de Victor Hugo (il s'agit donc de son élection à l'Académie française). Rien n'est oublié, ni Les Erynnies sur la façade de l'Odéon, ni Virgile dans l'encrier : poète, traducteur, dramaturge, toutes les facettes du créateur.


En 1886, il est élu à l'Académie française pour occuper le fauteuil de Hugo. Il s'était déjà présenté, mais en 1877 n'avait obtenu que deux voix dont celle de Hugo qui s'était si manifestement déclaré pour lui que, "On considéra que Victor Hugo l'avait ainsi désigné pour lui succéder" dit la notice, plus que succinte, que l'Académie lui consacre.
Il meurt le 17 juillet 1894 alors qu'il séjourne à Louveciennes, chez des amis, Guillaume et Elena Beer. Elena Beer est un écrivain qui signe Jean Dornis et donnera des textes de témoignage sur le poète.
Après sa mort, Heredia et André de Guerne (autre exécuteur testamentaire) publient les Derniers poèmes en 1895. Et au début du XXe siècle, en 1902 exactement, il continue à être assez admiré pour inciter un éditeur (Fasquelle) à publier ses textes de jeunesse. Madame de Lisle lui fait un procès ainsi qu'à Bernard Guinaudeau, qui s'en été chargé sans demander l'accord de sa veuve. Elle gagne son procès en 1904 et Heredia écrit à sa fille, Marie de Régnier, le 25 mai 1904 : "La mère de Lisle a gagné son procès contre Fasquelle. Elle a palpé mille cinq cents francs pour la publication d’exécrables vers de jeunesse du grand poète qui avait vendu les Poèmes barbares deux cents francs. J’ai le reçu de Malassis".
Nombreux ont été les musiciens au tournant des XIXe et XXe siècles à mettre en musique ces poèmes (cf. la liste sur l'article "Leconte de lisle" sur Wikipédia)
     Il faut avoir la curiosité de lire Leconte de Lisle, pour y découvrir ce que le poète entendait par "faire de beaux vers" et que Fernand Calmettes, en 1902, commentait ainsi : "concevoir la pensée la plus digne d'être réduite au monde supérieur, la dégager de toutes superfluités, lui communiquer l'harmonie par le choix épuré des mots, la majesté par l'allure sereine du rythme, l'étendue par la puissance expansive de la rime, la force par l'enchaînement rigoureux des pensées accessoires avec cette pensée principale." (Leconte de Lisle et ses amis).
Pour y découvrir aussi une manière de poser des questions qui nous concernent toujours, celle de la beauté du monde et des êtres, celle du mal, de la violence, de la perte, celle du rapport sauvage/domestique, celle de nos aveuglements, de nos besoins d'histoires (tant de mythes pour fabriquer du sens, mais quel sens ?), celle de nos plaisirs, des sens, des mots....
Oui, il vaut la peine de découvrir cette oeuvre et de la dépoussiérer un peu en la faisant chanter à nouveau.




A lire
: la réflexion sur le poète d'Edmond Lepelletier dans Verlaine, sa vie, son oeuvre (1907) qui débute par la citation d'un article de Barbey d'Aurevilly
A découvrir
: une belle édition de six poèmes animaliers extraits des Poèmes barbares et illustrés de douze eaux fortes de Maurice de Becque (éditée par lui-même en 1925)
 "L'incantation du loup", extrait des Poèmes tragiques.