3 juillet 1883 : Franz Kafka

coquillage


Kafka est-il un maître ? Oui. Le maître se reconnaît à ce qu'il apporte aux hommes une nouvelle façon de regarder. Si nouvelle que souvent le public crie au scandale. Puis, s'habituant, apprenant à voir à côté de lui, retrouve dans la réalité l'incroyable réalité qu'il n'y voyait pas tout d'abord, à laquelle il refusait de croire. Sa surprise est considérable, son plaisir est en proportion.
Le maître est un homme qui donne aux autres hommes un monde nouveau et leur invente une nouvelle jouissance.

Alexandre Vialatte, "Le Procès de Kafka", dans Mon Kafka (10x18, 2001)





Andy Warhol

Andy Warhol (1828-1987), Kafka, l'un des Dix portraits de Juifs du XXe siècle (Ten Portraits of Jews of the 20th Century) 1980.



Autoportrait


Il y a un instant, je me suis regardé attentivement dans la glace et, même en m'examinant de près, je me suis trouvé mieux de visage — il est vrai que c'était à la lumière du soir et que j'avais la source de lumière derrière moi, de sorte que seul le duvet qui couvre l'ourlet de mes oreilles était vraiment éclairé — que je ne le suis à ma propre connaissance. C'est un visage pur, harmonieusement modelé, presque beau de contours. Le noir des cheveux, des sourcils et des orbites jaillit comme une chose vivante de la masse du visage, qui est dans l'expectative. Le regard n'est nullement dévasté, il n'y a pas trace de cela, mais il n'est pas non plus enfantin, il serait plutôt incroyablement énergique, à moins qu'il n'ait été tout simplement observateur, puisque j'étais justement en train de m'observer et que je voulais faire mon portrait.
Journal, 11 décembre 1913

Vialatte se souvenant de la photographie qui accompagnait la première édition du Château : "Il avait des yeux magnifiques. Des soleils noirs.", il dit aussi des "yeux dévorants". (Rencontre avec Kafka, 1957)

Gustav Janouch dans son livre Conversations avec Kafka (1951, en allemand) :
"Kafka a de grands yeux gris sous d’épais sourcils noirs. Son teint est brun et ses traits extrêmement mobiles. Kafka parle avec son visage.
Quand il peut remplacer un mot par un mouvement des muscles de son visage, il le fait. Un sourire, un froncement de sourcils, un plissement de son front bas, une moue, un pincement des lèvres : autant de mouvements qui remplacent des phrases parlées." (traduction B. Lortholary)
Si le livre de Janouch est fort sujet à caution en terme de témoignage, Max Brod, néanmoins, jugea que ce portrait lui restituait son ami.




Le problème avec .... Kafka

(pour plagier un titre que la littérature enfantine avait emprunté à Hitchcock, The Trouble with Harry (1955) et décliné, un temps, sur bien des tons), c'est la démultiplication des problèmes.

1. Comment déterminer sa nationalité ? Autrichien ? Tchèque ? Allemand ? Autrichien, en effet, jusqu'en 1919, puis Tchèque jusqu'à sa mort, mais germanophone et écrivain de langue allemande, publié en Allemagne, et se déclarant allemand au recensement de 1910 à la différence de la famille que le père déclare tchèque à tous les recensements (1890, 1900, 1910).
2. Il naît et grandit dans une famille juive, il fait sa bar-mitsvah à 13 ans. Il se passionne un temps pour le théâtre Yiddish (autour de 1911), langue qu'il ne parle pas mais il apprend l'hébreu. Il envisage, après sa rencontre avec Dora Dymand, en 1923, à la veille de sa mort, d'émigrer en Palestine. Bref, cette imprégnation de culture judaïque existe, mais si vous ne le savez pas, ce n'est pas en lisant ses oeuvres que vous l'apprendrez.
3. Sa biographie "objective", parcours de vie avec dates et événements, ne coïncide guère avec ses écrits intimes (lettres, Journal). La première donne l'image d'un homme actif, dynamique, bien intégré dans sa société, très entouré, parlant plusieurs langues, voyageant pour son travail ou son plaisir ; les seconds, celle d'un homme perpétuellement en proie à un mal-être, indécis, doutant de lui, et souvent désespéré, en proie à toutes sortes de maux, réellement physiques ou psychosomatiques, et cela bien avant la découverte de la maladie qui allait le tuer.
4. Un écrivain ? Ou une marque ? Si le nom est connu, en effet, il n'est pas si sûr qu'il soit vraiment lu. Il est assimilé à l'adjectif  "kafkaïen", apparu, en français, en 1947 sous la plume de Daniel-Rops dans son strict usage littéraire : ce qui est propre à l'oeuvre de Kafka, mais qui a glissé très vite dans le langage courant pour caractériser une situation, toujours de manière péjorative et inquiétante, parce que "sans issue dans une atmosphère oppressante et dans un espace labyrinthique" (Dictionnaire historique de la langue française). Mauriac par exemple, dans un de ses Bloc-notes, parle des "escaliers kafkaïens de Chaillot", ce que reprend un demi-siècle plus tard une journaliste du Monde célébrant Jean Vilar et définissant le palais de Chaillot comme un "un lieu très bizarre, Kafkaïen."
Alexandre Vialatte, son premier traducteur en français, s'en plaignait avec son humour habituel dans un article du Figaro littéraire, le 18 mars 1965, "Il n'est plus de situation qui ne soit devenue « kafkaïenne ». Si une mayonnaise rate, c'est la faute de Kafka."
5. Sans parler du problème des traductions. Jusque aux années 1950, la question ne se posait pas. Les quelques oeuvres connues en France n'étaient accessibles que dans la traduction d'Alexandre Vialatte, même s'il existait d'autres textes, peu connus, procurés par d'autres traducteurs, et personne ne songeait à s'en plaindre. Puis sont venues les querelles parce que la littérature, c'est aussi l'édition et l'édition une question d'argent. La mauvaise foi s'est mise de la partie. Pour justifier de nouvelles traductions, il a fallu déconsidérer "l'adversaire" et Vialatte a quasiment été accusé de ne pas savoir l'allemand, quand ce n'est pas de n'avoir rien compris à Kafka. L'ancienne maxime "traducteur / traditeur" que Du Bellay (qui l'a sans doute inventée) glosait dans Défense et Illustration de la langue française (1549) a repris du service. Le lecteur a maintenant le choix, mais il en sera des traductions de Vialatte, comme de celles de Baudelaire pour Edgar Poe, elles transmettent l'essentiel de leur "alter ego" et elles le font aimer, ce qui est quand même le véritable objectif ; partant, elles resteront, à moins que les questions de "gros sous" et le défaut de mémoire ne les fassent disparaître. Ce qui serait bien triste...



Contexte

Prague. Jusqu'à la fin de la Grande guerre, Prague est la 2e ville de l'Empire austro-hongrois, après sa capitale, Vienne. Comme nombre de territoires de l'Empire, elle voit cohabiter des populations d'origines différentes, dont les langues, les cultures, les religions peuvent éventuellement entrer en conflit. La langue officielle de l'Empire est l'allemand, mais à Prague on parle tchèque (les germanophones y sont une minorité), on parle aussi yiddish. L'Empire est officiellement catholique, mais à Prague on est aussi protestant ou juif.
Cette cohabitation ne va pas sans tensions, comme par exemple en 1897, quand Tchèques et Allemands s'affrontent, lequel affrontement finit par se tourner contre les entreprises juives. L'antisémitisme est une réalité brutale, malgré les lois, et il est probable que tout Juif se sent, toujours, plus ou moins menacé.
En 1919, la Tchécoslovaquie affirme son indépendance, et les Autrichiens d'hier deviennent des Tchécoslovaques avec tous les problèmes d'identifications que pose cette nouvelle réalité socio-politique, les frontières, les langues (la langue officielle devient le Tchèque). Sans négliger, ce qui était vrai de tout l'Empire austro-hongrois, que pour un écrivain, le choix entre les langues était déjà un casse-tête, choisir le nationalisme, en l'occurence la langue tchèque, et une audience restreinte (ce que fait Jaroslav Hasěk), choisir l'allemand (ce que fait Kafka) et par contrecoup atteindre le vaste public des germanophones, et dans ce cas-là, chercher des maisons d'édition en Allemagne même, comme le font Joseph Roth ou Stefan Zweig, à partir de Vienne, ou encore Alfred Kubin, quand il publie son unique roman. Et cela donne des situations amusantes malgré tout, Kafka le Praguois germanophone (et pourtant bilingue) est traduit en Tchèque par Milena Jesenská, autre Praguoise.
Prague, c'est aussi une ville qui a conservé dans ses pierres toutes les étapes de son développement, qui a joué un rôle essentiel au Moyen-Age, dont l'université a été l'une des premières d'Europe, qui reste éminement propice au mystère. Il suffit de penser au Golem (1915) ou à La Nuit de Walpurgis (1917) de Meyrinck, ou à l'unique roman d'Alfred Kubin, L'Autre côté (1909) ou à toute son oeuvre graphique, mystère (et magie) dont on trouve les échos jusque dans des créations contemporaines, ainsi du Cimetière de Prague (2010) d'Umberto Eco.
Mais on y a aussi un sens de l'humour et de la dérision dont témoignent les récits de Jaroslav Hasěk, Le Brave soldat Chvéïk, lequel est l'exact contemporain de Kafka puisque né aussi en 1883 et mort un an avant lui, en 1923.
Ainsi le monde dans lequel naît, grandit et vit Kafka est-il d'une richesse culturelle extraordinaire, puisqu'au croisement d'au moins trois traditions différentes, sans compter bien sûr celles des Tziganes et les échos de ce qui se construit à Vienne autour des travaux de Sigmund Freud. Un monde gros de promesses autant que de menaces.





Prague

Václav Jansa (1859-1913) Prague, l'hôtel de ville juif, aquarelle, 1898.









dessin de Kafka

dessin de Kafka. Ces dessins sont croqués dans les marges des manuscrits, du Journal, et Kafka n'aimait pas les montrer.

L'auteur

Franz Kafka est le premier né d'une famille juive de commerçants dont l'aisance croît en même temps que ses enfants (5 après Franz, dont deux garçons morts en très bas âge, et trois filles), il va à l'école, puis au lycée. Son père a choisi pour lui une instruction germanophone, autrement dit la voie de l'ascension sociale, le pouvoir est germanophone. Le jeune homme fait enfin des études supérieures. Tenté par la chimie (peut-être sous l'influence de son ami Oskar Pollak), il ne lui faut pas plus d'une quinzaine de jours pour découvrir qu'il se fourvoie.
Il s'oriente vers le droit, en faisant quelques écarts du côté de la littérature et des arts, mais obtient son diplôme en 1906 et, après l'année de stage obligatoire auprès des tribunaux, trouve du travail, d'abord pour un groupe d'assurance (dont le siège social est à Trieste, ville encore autrichienne), puis peu satisfait, le quitte pour entrer à L’Office d’assurances contre les accidents du travail ("Arbeiter-Unfall-Versicherungs-Anstalt für das Königreich Böhmen"). Il y reste quinze ans, jusqu'en 1922, où déjà fort malade (tuberculose) il prend une retraite anticipée.
Il occupe son emploi avec conscience, comme le prouvent la qualité de ses rapports, le fait que l'entreprise s'entremet pour qu'il ne soit pas mobilisé en 1914, et enfin sa progression dans la hiérarchie. C'est un jeune homme, puis un homme jeune qui fréquente volontiers les "tavernes", les théâtres, fait du sport (natation, équitation), a de nombreux amis, de nombreuses amies, voyage en Europe, participe à la vie culturelle de sa ville. Et si ce n'est la maladie, bien réelle, découverte en 1917 et dont il va mourir, il n'y a rien de notable dans cette trajectoire d'un bourgeois praguois. Et certes, ce jeune homme est juif, mais il n'en semble guère préoccupé au départ. Il ne parle pas le yiddish, encore moins l'hébreu, et son intérêt ancien pour la littérature le pousse vers la littérature allemande d'abord, Goethe étant le maître, pour lui, comme pour les autres, et la littérature française, anglaise, bref, ce que les jeunes littérateurs de son temps lisent. Et comme eux, il lit beaucoup. Son intérêt pour la culture judaïque ne s'éveille qu'en 1911, au contact du théâtre et des acteurs.
Il vit chez ses parents jusqu'à la guerre. Il ne quitte ce domicile que lorsque sa soeur et ses enfants viennent s'y installer au moment de la mobilisation de son beau-frère. Son Journal témoigne, lui, d'une tension constante entre ses "ambitions" littéraires et sa vie quotidienne. "Ambition" doit être entendu non dans le sens d'une réussite éditoriale (encore que... il est attentif à l'édition de ses oeuvres, de ses critiques comme en témoigne sa correspondance), mais bien dans celui d'une aspiration à la perfection qu'il exprime parfois par le terme d' "illumination" (au docteur Rudolph Steiner en 1911), d'une adéquation entre soi et soi "j'étais entièrement et absolument dans chaque chose qui me venait à l'esprit..." (traduction Marthe Robert), parfois dans des métaphores musciales.


Malgré ces tensions, Kafka commence à publier en 1908, dans des revues, puis à partir de 1912, en volume, chez l'éditeur Ernst Rohwolt, auquel succèdera Kurt Wolff, à Leipzig. Kafka reste fidèle toute sa vie à cet éditeur. ll continue à travailler dans les assurances, voyage, a des aventures féminines que les tensions, là encore, entre l'aspiration à une vie ordinaire (se marier, avoir une famille, des enfants) et la conscience des exigences de son art, finissent toujours par faire avorter, comme avec Felice Bauer dont la liaison (fiançailles, rupture, re-fiançailles, re-rupture) se poursuit tant bien que mal entre 1912 et 1917. La liaison avec Julie Wohryseck sera beaucoup plus brève, moins d'une année. Celle avec Milena Jasenská, journaliste et sa traductrice en tchèque, sera intense mais aussi assez courte (1920-1922), il est vrai que Kafka est déjà malade.
Sa dernière amoureuse, Dora Dymant, rencontrée en 1923, avec laquelle il vivra ses derniers mois, à Berlin, jusqu'à son entrée dans un sanatorium,  l'accompagnera, elle, jusqu'à sa mort. Une vie amoureuse réelle à laquelle il faut ajouter toutes les amours de tête qui l'agitent, comme en 1911, sa passion pour l'actrice Mme Tschissik, ou en juillet 1912, la romance vraisemblablement imaginaire avec la fille du gardien de la maison de Goethe à Weimar. Mais il écrivait déjà à Oskar Pollack, en 1903 : "Un jour, j'ai eu le front de noter quelque part que je vis rapidement, avec ceci comme preuve : «Je regarde une jeune fille dans les yeux et ce fut une très longue histoire d'amour avec tonnerre, baisers et foudre », après quoi j'ai été assez vaniteux pour conclure «Je vis rapidement.»" (traduction Marthe Robert)
Il nous a laissé une oeuvre impressionnante, dans sa plus large partie inédite, au moment de sa mort, et dont il avait demandé la destruction.






Max Brod

Portrait de Max Brod, 1909, par Lucian Bernhard. (1883-1972)


Max Brod (1884-1968). Ils se rencontrent pour la première fois le 23 octobre 1903 lors d'une conférence de Max Brod à l'Association d'étudiants dont ils font tous deux partie. Leur amitié se poursuit toute la vie de Kafka. Max Brod, écrivain lui-même, l'incite à publier, trouve les revues ; c'est aussi lui qui le met en contact avec celui qui sera son éditeur.
Après la mort de Kafka, Max Brod trouve dans ses papiers, deux lettres testamentaires qui lui sont adressées. La seconde, plus détaillée que la première, incluant une oeuvre publiée à l'automne 1922, doit donc dater de cette fin d'année ou de la suivante :
"Mon cher Max, peut-être ne me relèverai-je plus cette fois ; il est fort probable qu'après ce mois de fièvre pulmonaire une pneumonie se déclarera ; et même le fait que je l'annonce par écrit ne pourra pas l'empêcher ; encore que cela ait quelque pouvoir.
Voici donc dans cette éventualité ma dernière volonté au sujet de tout ce que j'ai écrit :
De tout ce que j'ai écrit, seuls les livres : Verdict, Soutier, Métamorphose, Colonie pénitentiaire, Médecin de campagne et le récit Un artiste de la faim sont valables (les quelques exemplaires de Regard peuvent rester, je ne veux donner à personne la peine de les mettre au pilon, mais rien ne doit être réimprimé). Quand je dis que ces cinq livres et ce récit sont valables, cela ne signifie pas que je souhaite qu'ils soient réimprimés et transmis aux temps futurs ; s'ils pouvaient au contraire être entièrement perdus, cela correspondrait entièrement à mon désir. Simplement, puisqu'ils existent, je n'empêche personne de les avoir, si quelqu'un en a envie.
En revanche, tout le reste de ce j'ai écrit (les textes imprimés dans des revues, les manuscrits, les lettres), dans la mesure où on peut mettre la main dessus ou les obtenir des destinataires (tu connais la plupart d'entre eux [...], tout cela, sans exception doit être détruit, de préférence sans le lire [...] — tout cela sans exception doit être brûlé, ce que je te prie de faire le plus tôt possible. Franz." (traduction de Claude David, Pléiade IV)
Max Brod ne respectera pas ce "testament", mais en même temps, il transmettra à la postérité une vision de Kafka et de son oeuvre dont d'aucuns lui tiendront rigueur, comme Kundera, par exemple, qui lui reproche — sans doute à juste titre — de l'avoir tiré vers la religiosité.



Rendons grâce, toutefois, à Max Brod d'avoir été un infidèle exécuteur testamentaire. Sans lui, nous n'aurions jamais lu les grands romans, ni Le Procès (Der Process, 1925), ni Le Château (Das Schloss, 1926), ni L'Amérique (titre de Max Brod, Amerika, 1927 ; aujourd'hui traduit en français sous le titre L'Oublié correspondant au terme utilisé par Kafka lui-même, Der Verschollene, terme du vocabulaire militaire, "celui qui manque à l'appel", "porté disparu") encore moins les oeuvres intimes, une imposante correspondance, la "Lettre au père", et son Journal, tenu à partir de 1910.
Longtemps Max Brod a été l'unique intercesseur entre l'oeuvre de son ami et le public. Louons-le de n'avoir eu de cesse de faire reconnaître une oeuvre qu'il admirait profondément, et pardonnons-lui d'avoir, comme tout lecteur, compris Kafka à sa mesure, de l'avoir quelque peu tiré dans le sens de la métaphysique qui était plus la sienne que celle de Kafka.
Il a longtemps eu une influence considérable sur les lectures de l'oeuvre, et tout particulièrement, sur celles de Vialatte, comme on peut le constater, par exemple, dans cette présentation du Procès en 1957 :



Les aventures de ses héros se passaient au-delà de notre logique, dans un espace qui ne figure pas sur nos atlas, dans une réalité familière et lointaine, une réalité d’initié, chimiquement différente de la nôtre, dont nous nous sentions séparés comme par une plaque en verre. Le bon sens irrité les suivait jusqu’au bout en jouissant de sa propre révolte. Il en résultait un malaise d’une qualité inconnue. Je n’analyserai pas le philtre qui le procure. Signalons pourtant qu’Israël fournit les herbes les plus belles et les plus singulières : celle qui assoiffe d’absolu et celle qui agite la langue, l’herbe de la mystique et celle du plaidoyer, du pilpoul pour tout dire d’un mot, de la discussion rabbinique ; l’infini de l’hypothèse, de l’argumentation, de la contestation, du cheveu qu’on coupe en quatre, en huit, en seize, l’herbe à scrupules. L’herbe aux images aussi ; Kafka est le roi de la parabole, il ne parle qu’en paraboles, et toutes paraboles sont belles et grandioses. Mais je discerne aussi l’herbe noire de Pascal dans ce bouillon métaphysique, cette façon de sentir la misère de l’homme et sa frivolité foncière, ce quasi-jansénisme enfin de le vouloir pécheur jusque dans l’innocence. Mais quelles qu’aient jamais pu être les influences qu’aurait subies Kafka, leur synthèse a fait d’elles un nouveau corps chimique ; Kafka les a transsubstanciées.


Mais au fond peu importe, puisque l'oeuvre est là et que chaque lecteur peut, à son tour, en faire l'expérience en tentant d'oublier les gloses et de se laisser porter par les textes.



Oeuvres publiées du vivant de Kafka

1908 : sous le titre Betrarchtung (Regard / Contemplation), huit brefs textes sans titres ("poèmes" dit Claude Thiébaut) paraissent dans le premier numéro de la revue Hyperion (Munich)
1909 : en février, la revue Hyperion publie deux extraits de Description d'un combat (Beschreibung eines Kampfes) en cours de rédaction : "Conversation avec l'homme en prière" et "Conversation avec l'homme ivre".
En septembre, dans Bohemia, "Les aéroplanes à Brescia" (Die Aeroplane in Brescia)
1910 : en mars, 5 textes dans la revue Bohemia (4 déjà publiés en 1908) plus un 5e inédit « Proposé à la réflexion des gentlemenriders » (Zum Nachedenken für Herrenreiter)
1912 : en mai, dans la revue Herderblätter, premier chapitre d'un livre projeté avec Max Brod sur leur voyage en Suisse, Italie et France (26 août-13 septembre 1911) sous le titre « Le premier grand voyage en chemin de fer » (Die erste lange Eisenbahn fahrt : Prag-Zürich). La suite ne verra pas le jour ; en octobre 1911, Kafka en trouvait déjà l'idée impraticable et, malgré la poursuite un temps de ce travail, le récit tourne court.
Kafka en voyage avec Brod fait la connaissance, à Leipzig (Allemagne) de l'éditeur Rowohlt qui lui demande un livre. En décembre est publié Betrarchtung (Contemplation) qui contient 18 récits.
1913 : en mai, Kurt Wolff (qui a succédé à Ernst Rowholt) publie Le Soutier, un fragment. C'est le premier chapitre du roman que Brod publiera sous le titre d'Amerika.
En juin, Le Verdict (Das Urteil) paraît dans la revue Arkadia (revue dirigée par Max Brod qui n'aura qu'un numéro, celui-ci)
1915 : en septembre,  « Devant la loi » paraît dans Selbswher (revue juive praguoise).
En octobre, La Métamorphose (Die Verwandlung) paraît dans la revue Die weissen Blätter, puis en volume, en novembre, par les soins de Kurt Wolff.
1916 : en septembre, Le Verdict (Leipzig, Kurt Wolff)
En décembre « Un rêve » dans un ouvrage collectif, Das jüdische Prag [le même texte est publié ensuite à Berlin, en 1917, puis dans Un médecin de campagne, en 1919.]
1917 : en juillet-août, trois textes, "Un vieux parchemin" (Ein altes Blatt), "Le nouvel avocat" (Der neue Advokat), "Un fratricide" (Ein Brudermord) dans la revue Maryas, à Berlin.
En octobre-novembre : "Chacals et Arabes" (Schakale und Araber) et "Communication à une académie" (Ein Bericht für ein Akademie) sous le titre Deux histoires d'animaux dans la revue Der Jude, dirigée par Martin Buber.
En décembre « Un médecin de campagne » (Ein Landartz) et « Un meurtre » dans l'almanach Die neue Dichtung publié par Kurt Wolff.
1919 : en mai, La Colonie pénitentiaire (In der Strafkolonie) par Kurt Wolff à Leipzig
en septembre, « Un message impérial »(Eine Kaiserliche Botschaft, fragment de La Muraille de Chine) et, en décembre, « Le souci du père de famille » (Die Sorge des Hausvaters) dans Selbstwehr.
Un médecin de campagne  (Ein Landartz. Kleine Erzäblungen), recueil de 14 nouvelles, Kurt Wolff, Leipzig.
1921 : en décembre, "A cheval sur le seau à charbon" (Der Kübelreiter), Prager Presse
1922 : à l'automne, « Première souffrance » (Erstes Leid) dans Genius, revue publiée par Kurt Wolff ; Un Champion de jeûne (Ein Hungerkünstler), 4 récits, dans Neue Rundschau.
1924 : avant de mourir Kafka a eu le temps de corriger les épreuves d'Un artiste de la faim que va publier l'éditeur Der Schmiede à Berlin.





A écouter
: pour en savoir plus sur Kafka, Une vie, une Oeuvre, émission de France Culture du 19 mars 1987.



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