Histoires ou contes du temps passé   Avec des moralités, Charles Perrault, 1697

coquillage


Sur les Contes de Perrault
: 1. Les contes: un témoignage sur le XVIIe siècle ? 2. Présentation des Contes 3. Le plus célèbre des illustrateurs de Perrault, Gustave Doré 4. La version en prose de Peau d'âne (XVIIIe siècle) — 5. Les contes en vers (Grisélidis, Les Souhaits ridicules, Peau d'âne) —  6. Définir le conte — 7. la biographie de Charles Perrault




Le contenu du livre

Le livre, tel que publié en 1697, ne contient que des contes en prose, rédigés après les contes en vers, et provenant pour l'essentiel de la tradition orale, donc populaire. Il est constitué de deux groupes de récits, ceux qui avaient été rassemblés sous le nom de Pierre Darmancour pour Mademoiselle et trois autres contes, sans doute dans le but d'étoffer ce petit recueil. A noter que, si tous les contes sont en prose, toutes les moralités qui les cloturent sont en vers. Le lecteur est ainsi engagé à lire le petit récit proposé à des niveaux multiples.
Dans le livre destiné à Elisabeth Charlotte d'Orléans (1676-1744), Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et de la princesse Palatine, future duchesse de Lorraine, dont le frontispice portait "Contes de ma mère Loye", il n'y avait que cinq contes, dans l'ordre suivant : La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe bleue, Le Maître Chat ou Le Chat botté, Les Fées.
La Belle au bois dormant :
le conte ne semble guère ressortir de la tradition orale, mais on en trouve trace dans divers écrits, en particulier au XIVe siècle dans un des romans du cycle de la Table ronde (Perceforest), et dans d'autres écrits en Italie, comme en Espagne. Les motifs autour desquels le conte se construit — l'enfant attendu et désiré, les dons et la malédiction, le sommeil magique, l'ogresse qui veut dévorer sa belle-fille et ses petits enfants —, sont bien, toutefois, des motifs de contes populaires, .
Le Petit Chaperon rouge : on connaît 35 versions de ce conte. C'est sans doute le plus célèbre des contes de Perrault, l'histoire de la petite fille croquée par le loup. Dans la version bavaroise qu'en ont recueilli les frères Grimm, un chasseur providentiel tire la grand-mère et l'enfant indemmes du ventre du loup qu'il colmate avec des pierres, ce qui est peut-être un souvenir de ce que fit Gaïa dans la mythologie grecque pour tromper Cronos et sauver Zeus. Mais il semble aussi que la version allemande ait, en fait, été importée par les Protestants français exilés de la fin du XVIIe siècle ; ce serait donc la version de Perrault qui aurait alimenté une nouvelle tradition orale (cf. Robert Darnton, "Contes paysans, : les significations de Ma Mère l'Oye"). Le "chaperon rouge", c'est-à-dire la coiffe qui a fait la célébrité du personnage est une invention de Perrault qui lui a donné, en outre, dans sa morale, le caractère d'un avertissement sexuel : "je dis loup, car tous les loups / Ne sont pas de la même sorte."
La Barbe bleue : conte qui mêle à la condamnation de la curiosité féminine celle de la cruauté masculine fondée sur la toute puissance. La formule de la jeune épouse, "Anne ma soeur Anne ne vois-tu rien venir ?", est presque devenue proverbiale.
Le Maître chat ou le chat botté : Soriano fait remarquer que le conte mêle deux formes différentes, celle du conte animalier et celle du conte merveilleux. Par sa ruse, le chat assure à son maître un avenir fortuné en s'appropriant les terres de l'ogre et en le mariant à la fille du roi.




incipit du Petit chapreon rouge

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Première page du Petit chaperon rouge, dans le manuscrit de Mademoiselle, nièce de Louis XIV. La vignette est de Perrault lui-même.


Les Fées : conte universellement répandu qui met en scène la récompense de la bonté et la punition de la mauvaise grâce. Le conte est très court et son caractère d'apologue en est d'autant plus visible. S'il n'y a qu'une fée dans ce conte, elle est pourtant double puisque, pour la cadette des soeurs, elle est "une pauvre femme", alors que pour l'aînée elle se présente comme "une Dame magnifiquement vêtue".
Pour l'édition en librairie, en 1697, Perrault ajoute à ces cinq contes, trois autres histoires :  Cendrillon ou la petite pantoufle de verre, Riquet à la houppe, Le Petit Poucet.
Cendrillon ou la petite pantoufle de verre (que Balzac avait rationnalisé en pantoufle de vair, la fourrure lui paraissant plus adéquate que le verre à chausser une jeune fille, mais il est hors de doute qu'il s'agit de "verre", matériau précieux dont la fragilité témoigne à la fois du caractère luxueux de l'objet et de son caractère féerique.) On connaît 105 versions de ce conte. Une enfant maltraitée, grâce à une marraine fée, épouse le Prince.
Riquet à la houppe : le conte trouve sans doute sa source dans les contes de pactes avec le diable (la laideur, la houppe qui évoque peut-être les cornes, l'oubli de l'engagement, la cuisine souterraine), et on peut le rapprocher des contes où un humain doit transformer un animal, comme le crapaud devenant Prince charmant, et comme La Belle et la bête en est devenu le récit le plus célèbre. Peut-être aussi faisait-il penser les mauvais esprits contemporains, avec une certaine irrévérence, à l'histoire même de Madame de Maintenon qui avait épousé, en première noces, Scarron dont l'esprit était des plus déliés, mais la laideur tout aussi célèbre. Perrault, très différemment de Madame Leprince de Beaumont, sur le même thème, en a tiré un autre, élégant récit sur les puissances de l'amour.
Le Petit poucet (dont on connaît, par ailleurs plus de 80 versions) est le conte dans lequel apparaissent le plus nettement les difficultés de la vie quotidienne des paysans, soulignant la famine chronique : par deux fois le bûcheron et la bûcheronne vont perdre leurs enfants pour éviter de les voir "mourir de faim" ; et si, la première fois, ils sont opportunément sauvés par le paiement d'une dette (le seigneur leur envoie les dix écus dus et qu'ils avaient renoncé à recevoir), la seconde fois rien de tel ne se passe.
Le conte fournit deux dénouements : celui de la ruse du Petit Poucet qui s'approprie le trésor de l'ogre en faisant croire à sa femme qu'il est prisonnier de brigands exigeant une rançon et celui de l'ascension sociale. Grâce aux bottes de sept lieues, le Petit Poucet devient courrier du Roi et des dames (guerre et amours) et gagne ainsi suffisamment d'argent pour acheter "des Offices de nouvelles création pour son père et pour ses frères; et par là il les établit tous et fit parfaitement bien sa Cour en même temps."
La morale versifiée, sept vers hétérométriques (alexandrins, octosyllabe, décasyllabes), souligne que tous les enfants peuvent apporter le bonheur à la famille et que les disgrâces apparentes peuvent cacher de grandes vertus. Certains y lisent une sorte d'auto-éloge de l'auteur lui-même, dernier enfant de sa fratrie dont l'ascension sociale a permis la réusssite familiale.

manuscrit de 1695

Incipit du Chat botté avec la vignette de Perrault dans le manuscrit de Mademoiselle, 1695



Des histoires de famille

Tous les contes choisis par Perrault ont en commun de se dérouler dans un cadre familial, celui du couple, celui des parents dans leurs relations avec les enfants, aussi bien que celui des fratries. Ces familles ne sont pas vraiment des milieux heureux, soit pour des raisons extérieures : la mort qui prive les enfants de la protection naturelle d'un parent (Cendrillon, la jeune fille des Fées, voire celle de Barbe Bleue dont le père se serait sans doute davantage méfié que la mère d'un futur gendre aussi inquiétant, mais aussi Le Chat botté, puisque la mort du père marque la séparation des frères et laisse le cadet sans rien), l'absence d'enfant qui trouble la vie de couple (dans Riquet à la houppe comme dans La Belle au bois dormant), la misère qui contraint le bûcheron et sa "bûcheronne" à abandonner leurs enfants ; soit aussi pour des raisons intérieures, la jalousie, l'indifférence, mais aussi la préférence qui est notée pour les mères comme les belles-mères, marâtres ou non. La bûcheronne préfère l'aîné de ses enfants "qu'elle aimait plus que tous les autres, parce qu'il était un peu rousseau et qu'elle était rousse." ou la mère des soeurs dans les Fées : "Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée".  Les conflits sont aussi nombreux entre les enfants, le Petit Poucet est peu estimé de sa famille ("ce pauvre enfant était le souffre-douleur de la maison"), les soeurs de Cendrillon la maltraitent de la même manière que leur mère et c'est la moins "malhonnête" qui la nomme Cendrillon, l'autre l'appelant tout bonnement "Cucendron"; l'aînée des soeurs des Fées veut battre sa cadette pour se venger de la malédiction de la fée. Pourtant, un certain retournement s'établit qui rappelle que la famille est une valeur sûre puisque, une fois l'ogresse de La Belle au bois dormant tuée par sa propre méchanceté, le prince se console de sa mort "avec sa belle femme et ses enfants", constituant ainsi une famille heureuse, comme la cadette des Fées fuyant sa mauvaise famille en construit une nouvelle avec le fils du roi qui l'épouse, tout comme le "marquis de Carabas" à qui le Roi affirme "Il ne tiendra qu'à vous, Monsieur le Marquis, que vous ne soyez mon gendre", l'incluant ainsi dans une nouvelle famille ; il en sera de même avec la veuve de Barbe Bleue qui marie sa soeur, achète des charges de capitaine à ses frères et épouse elle-même "un fort honnête homme". Cendrillon pardonne à ses mauvaises soeurs et les marie "dès le jour même à deux grands seigneurs de la cour", comme le Petit Poucet rend le bien pour le mal en assurant la fortune de toute sa famille.
La famille est un lieu difficile à vivre, qu'il faut parfois fuir, mais c'est dans l'espoir et la volonté d'en construire une meilleure. Les psychanalystes se sont beaucoup penché sur cet aspect de l'oeuvre de Perrault, mais il est indéniable aussi que cette remise en cause de la famille n'est sans doute que la réaffirmation de sa valeur essentielle pour les hommes et les femmes du XVIIe siècle.

Des histoires de femmes

Le frontispice que dessine Perrault pour le livre destiné à la princesse Elisabeth Charlotte d'Orléans, en 1695, comme celui gravé par Clouzier, moins coloré, qu'il utilise pour son édition de 1697, chez Barbin, mettent à l'origine des récits une vieille femme qui file devant une cheminée et parmi ses trois auditeurs, une jeune fille, coiffée à la Fontange (à la mode depuis 1680). Cette origine des contes attribuée à une paysanne, une servante, est réitérée dans la préface des contes en vers puisqu'elle se termine par des vers attribués à une jeune demoiselle assurant que le récit de Peau d'Ane l'a autant "divertie / Que quand aupès du feu ma Nourrice ou ma Mie, / Tenaient en le faisant mon esprit enchanté."
Par ailleurs, la dédicace même des cinq premiers contes en prose à Mademoiselle, comme les dédicaces des contes en vers, toutes destinées à des femmes, définissent les lecteurs potentiels de ces récits comme des femmes. Il peut se trouver diverses explications à cela, dont la préoccupation pédagogique est certainement une des composantes. Ce sont les femmes qui ont en charge l'éducation des enfants. Perrault comme d'autres de ses contemporains, à commencer par l'épouse morganatique du Roi, Madame de Maintenon, qui fonde l'Ecole de Saint-Cyr destinée à accueillir des jeunes filles nobles mais pauvres,  se soucient de cette question de l'éducation, et en particulier de celle des femmes que soulèvent, depuis le début du siècle, celles que l'on appelle précieuses. Ce projet pédagogique expliquerait, en partie, les aspects critiques des contes à l'égard des personnages féminins, il s'agit de mises en garde ; comme il expliquerait l'insistance sur les qualités reconnues essentielles : beauté, grâce et éloquence.
Mais sans doute, n'y-a-t-il pas que cet aspect-là. Ces histoires de femmes ne permettraient-elles pas aussi de critiquer l'univers masculin, celui des pères, des maris qui s'arrogent le droit de décider pour elles? En effet, à l'exception du Chat botté et du Petit Poucet, tous les héros sont des héroïnes. Pourtant même dans ces contes "masculins", les personnages féminins ont une certaine place. Dans Le Chat botté, le seul personnage féminin est la fille du roi, dont le rôle est fort effacé même s'il est essentiel pour entériner l'ascension sociale du fils de meunier devenu Marquis de Carabas, gendre du Roi et pour garantir qu'il n'en est pas indigne, le trouvant "fort à son grè" grâce à sa "bonne mine (car il était beau et bien fait de sa personne)". Quant au Petit Poucet, les deux personnages féminins actifs, la bûcheronne et la femme de l'Ogre sont toutes deux aimantes à l'égard de leur famille, mais soumises à leurs maris, jusqu'à y perdre leurs enfants, provisoirement pour la "bûcheronne" et définitivement pour la femme de l'ogre. Les femmes et les enfants sont ainsi victimes de la brutalité de maris, non encore civilisés. Comme le dit le petit poème de l'Apologie des femmes, le rôle des femmes est bel et bien d'adoucir les moeurs, et l'homme qui vit hors de leur environnement n'est jamais qu'un "loup-garou" ou un "pédant", ce qui n'est guère mieux dans le poème, car c'est auprès d'elles que "se prend la fine politesse / Le bon air, le bon goût et la délicatesse".
Les héroïnes des contes ont, elles, à peu près les mêmes caractéristiques : ce sont des jeunes-filles en âge de se marier (sauf pour le Petit Chaperon rouge qui dans le conte paraît être une petite fille, mais que la morale renvoie elle aussi aux jeunes filles), très belles, éloquentes, sauf pour celle de Riquet à la Houppe qui est dédoublée : deux soeurs dont l'une est belle mais sotte, la deuxième fine et intelligente mais laide.

Des apologues

Ces récits sont des apologues, non seulement parce que leur auteur insiste sur ce caractère dans sa préface de l'édition des contes en vers de 1694, "Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni. Ils tendent tous à faire voir l'avantage qu'il y a d'être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas", mais encore parce que chaque conte se termine par une morale versifiée. Cette différence de genre entre le récit (prose) et son interprétation (vers) souligne ainsi le passage de la culture populaire à la culture mondaine, sinon savante, et semble une invite à un nouveau travail interprétatif du lecteur. Ces morales sont en effet souvent redoublées, par exemple celles de La Barbe bleue après avoir stigmatisé la curiosité,  constate que le temps des maris abusifs est dépassé. N'est-ce pas juste une manière d'aviser les lecteurs que tous ces récits sont allégoriques, qu'on peut et doit en tirer des maximes de comportements, et que chacun, à travers le plaisir que le conte lui a donné, doit trouver à son tour le sens (ou les sens) qu'il lui confère ?
Tous les contes, à l'exception du Petit chaperon rouge, se terminent au profit des plus faibles, de ceux qui ont souffert ou ont été lésés ; on peut donc considérer qu'il y a là victoire du bien sur le mal. Et que ces contes enseignent la patience (et le recueil débute par La Belle au bois dormant, emblématique sur ce terrain), l'endurance, mais aussi la volonté et l'action (Le Chat botté mais surtout le dernier des contes, Le Petit Poucet).
Par ailleurs, les glissements de l'animalité à l'humanité, pour le bien ou pour le mal (le loup séducteur dans Le Chaperon rouge ou l'habile chat du Maître chat), aussi bien que les comportements animalisés des humains (les ogres et ogresses prédateurs dont on peut noter qu'ils sont souvent mariés à des êtres humains normaux, ainsi est-il de l'épouse de l'ogre du Petit Poucet, charitable et aimante, et l'ogre est, en effet, "fort bon mari quoiqu'il mangeât les petits enfants" ou de la belle-mère de la Belle au bois dormant), permettent d'incarner des défauts humains (la luxure, la gourmandise, l'avidité, la volonté de puissance), rapprochant par là les contes des fables de La Fontaine qui leur sont contemporaines.





A lire
: trois versions différentes du Petit Chaperon rouge.
Une étude sur l'enfance dans les contes, Rosalie Bach
A regarder : les illustrations de Felix Lorioux (1872-1964).
A découvrir : Bela Bartok et son opéra Le Château de Barbe Bleue, 1911.



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