4 juillet 1610 : Paul Scarron

coquillage




portrait anonyme de Scarron

Portrait de Scarron, peinture anonyme après que la maladie l'a déformé, musée de Tessé, Le Mans.

Une jeunesse mi-figue, mi-raisin

     D'abord, tout paraît bien commencer. Le garçon qui naît le 4 juillet 1610 à Paris est le fils d'un couple bien assis dans la société. Le père est conseiller au Parlement de Paris. Il appartient à une bonne famille qui fournit depuis deux siècles (les Scarron sont venus d'Italie en France au début du XVe siècle) des officiers à l'Etat, à entendre détenteurs d'un office et non soldats, et des hommes d'Eglise. Le couple a eu huit enfants dont seuls trois survivront, Paul et deux soeurs aînées, Anne et Françoise.
Un monde paisible qui ne va pas durer. En 1613, madame Scarron meurt, et 4 ans après, en 1617,  le conseiller se remarie. Fini le temps des enfances tranquilles. La nouvelle épouse va donner encore trois enfants, un fils et deux filles, à Paul Scarron père, et surtout va se conduire, selon les témoignages, en marâtre de contes de fées. Elle n'a de cesse de parvenir à écarter les enfants du premier lit, et c'est chose faite avec Paul en 1623. Il est expédié chez un parent à Charleville où il passe deux années. Après cela, il est décidé qu'il entrera dans les ordres.
De ses études, on ne sait rien, mais elles ont dû être celles habituelles d'un fils de famille puisqu'il n'y a pas encore d'études particulières pour les religieux. Les séminaires n'apparaissent qu'à la fin du siècle.
En 1629, il prend le "petit collet", autrement dit il s'engage dans la voie ecclésiastique. Il a dix neuf ans, il est probable qu'il fréquente la faculté de théologie. Mais il fréquente surtout les salons. Il se lie d'amitié autant avec des poètes parmi lesquels, Saint-Amant, Tristan L'Hermite, Sarasin, qu'avec les grands de son temps, ainsi de Paul de Gondi (il sera plus tard cardinal de Retz) connu chez Marion de Lorme. Un grand nombre de ces personnages sont des libertins, des esprits libres, aimant la vie, volontiers épicuriens. Scarron a de l'esprit, de la finesse, sa petite taille n'est pas un handicap (même si Tallemant de Réaux, qui se distinguait par sa mauvaise langue, le nomme toujours, "le petit Scarron"), il a du charme. Le même Tallemant en témoigne : "Le petit Scarron a toujours eu de l'inclination à la poésie, dansait des ballets et était de la plus belle humeur du monde" écrit-il dans ses Historiettes.
Pour l'heure la vie se présente sous d'heureux auspices. Il rime aussi et ses premiers vers sont pour son ami Scudéry.
En 1633, changement de lieu sinon de vie. Son père, à force de s'entremettre pour lui trouver une position, le fait entrer dans la maison de de l'évêque du Mans, Charles de Beaumanoir.  L'évêque est un homme du monde, agréable, et la vie de Scarron au Mans continue celle de Paris, de salons élégants en tavernes qui le sont moins, il fréquente la bonne société mançoise aussi bien que ses "marginaux" quoique le terme soit quelque peu anachronique.



En 1635, il accompagne son maître qui part en mission à Rome. Il y fait la connaissance du poète François Maynard, qui était alors secrétaire d'ambassade auprès du comte de Noailles, et du peintre Nicolas Poussin. Selon les versions, Poussin  lui offre, quelques années plus tard, un Ravissement de Saint Paul (il en avait déjà peint un en 1643) ou répond, avec ce tableau, à une commande de Scarron. Dans tous les cas, c'est une curieuse association que celle de ce tableau profondément religieux et d'un personnage qui l'était si peu qu'on raconte qu'à sa mort la présence du prêtre, sans doute voulue par son épouse, n'avait pour but que de "sauver les apparences".
Peut-être ce séjour italien n'est-il pas étranger au goût que va montrer ensuite l'écrivain pour le burlesque. Sans négliger ce qu'il doit aussi à la littérature espagnole qui joue dans son oeuvre un rôle décisif. Mais pour l'heure, si Scarron versifie, ce n'est que pour ses amis et protecteurs, par exemple dans les annés 1640, des élégies pour Marie de Hautefort.
De retour en France, en 1636, il obtient un canonicat (bénéfice de chanoine) au Mans, qui lui est contesté aussitôt, d'où un long procès qui ne se termine qu'en 1640, à son avantage d'ailleurs.
Il continue à vivre au Mans où il va bénéficier de la protection de Marie de Hautefort, exilée là par Richelieu, mais dont les relations à la cour restaient nombreuses. Il fait aussi la connaissance du comte de Belin, admirateur et protecteur de Mondory, mais aussi de Mairet que le succès de Corneille offensait, quelque peu passionné donc par le théâtre, et sans doute est-ce à son instigation qu'il prend part à la querelle du Cid, avec la virulence dont il est capable. Quelques années après, son sentiment sur Corneille sera tout autre et peut-être l'était-il déjà. Mais ce jeune Scarron est encore bien un peu courtisan.

La maladie et l'écrivain

1638 : date mémorable et sinistre, elle voit se manifester la maladie qui va progressivement le réduire à l'immobilité dans son fauteuil, déformer tout son corps, le conduire à devenir l'homme qu'il décrit avec la verve qui caractérise toutes ses oeuvres dans l'épître au lecteur précédant La Relation veritable de tout ce qui s'est passé en l'autre monde, au combat des Parques & des poëtes, sur la mort de Voiture. Et autres pièces burlesques, publié chez Toussaint Quinet en 1648. La lettre accompagne le frontispice (gravure sur cuivre) de Stefano Della Bella:



Poussin, Le ravissement de saint Paul

Nicolas Poussin, Le Ravissement de saint Paul, 1649, Paris, musée du Louvre.
Pour plus de détails, voir ICI.



Lecteur, qui ne m'as jamais vu et ne t'en soucies guère, à cause qu'il n'y a pas beaucoup à profiter à la vue d'une personne faite comme moi, sache que je ne me soucierais pas que tu me visses, si je n'avais appris que certains beaux esprits facétieux se réjouissent aux dépens du misérable, et me dépeignent d'une autre façon que je ne suis fait. Les uns disent que je suis cul-de-jatte ; les autres, que je n'ai point de cuisses, et que l'on me met sur une table dans un étui, où je cause comme une pie borgne ; et les autres, que mon chapeau tient à une corde qui passe dans une poulie, et que je le hausse et le baisse pour saluer ceux qui me visitent. Je pense être obligé, en conscience, de les empêcher de mentir plus longtemps, et c'est pour cela que j'ai fait faire la planche que tu vois au commencement de mon livre. Tu murmureras sans doute, car tout lecteur murmure, et je  murmure comme les autres quand je suis lecteur ; tu murmureras, dis-je, et tu trouveras à redire de ce que je ne me montre que par le dos. Certes, ce n'est pas pour tourner le derrière à la compagnie, mais seulement à cause que le convexe de mon dos est plus propre à recevoir une inscription que le concave de mon estomac, qui est tout couvert de ma tête penchante, et que par ce côté-là aussi bien que par l'autre, on peut voir la situation ou plutôt le plan irrégulier de ma personne. Sans prétendre faire un présent au public (car, par mesdames les neuf Muses, je n'ai jamais espéré que ma tête devînt l'original d'une médaille), je me serais bien fait peindre si quelque peintre avait osé l'entreprendre. Au défaut de la peinture, je m'en vais te dire à peu près comme je suis fait.
J'ai trente ans passés, comme tu vois au dos de ma chaise ; si je vais jusqu'à quarante, j'ajouterai bien des maux à ceux que j'ai déjà soufferts depuis huit ou neuf ans. J'ai eu la taille bien faite quoique petite ; la maladie l'a raccourcie d'un bon pied. Ma tête est un peu grosse pour ma taille. J'ai le visage assez plein pour avoir le corps décharné, des cheveux assez pour ne porter point perruque ; j'ai beaucoup de blancs, en dépit du proverbe. J'ai la vue assez bonne, quoique les yeux gros ; je les ai bleus : j'en ai un plus enfoncé que l'autre, du côté où je penche la tête. J'ai le nez d'assez bonne prise. Mes dents, autrefois perles carrées, sont de couleur de bois, et seront bientôt de couleur d'ardoise ; j'en ai perdu une et demie du côté gauche, et deux et demie du côté droit, et deux un peu égrignées. Mes jambes et mes cuisses ont fait d'abord un angle obtus, et puis un angle égal, et enfin un aigu ; mes cuisses et mon corps en font un autre, et, ma tête se penchant sur mon estomac, je ressemble pas mal à un Z. J'ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes ; enfin, je suis un raccourci de la misère humaine. Voilà à peu près comme je suis fait.
Puisque je suis en si beau chemin, je vais t'apprendre quelque chose de mon humeur. Aussi bien cet avant-propos n'est-il fait que pour grossir le livre à la prière du libraire, qui a eu peur de ne retirer pas les frais d'impression, sans cela il serait très inutile, aussi bien que beaucoup d'autres; mais ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on fait des sottises par complaisance, outre celles que l'on fait de son chef.
J'ai toujours été un peu colère, un peu gourmand, un peu paresseux. J'appelle souvent mon valet sot, et un instant après monsieur. Je ne hais personne, Dieu veuille qu'on me traite de même. Je suis bien aise quand j'ai de l'argent, et je serais encore plus aise si j'avais de la santé. Je me réjouis assez en compagnie. Je suis assez content quand je suis seul. Je supporte mes maux assez patiemment. Mais il me semble que mon avant-propos est assez long, et qu'il est temps que je le finisse.
Cité par Gautier dans son article sur Scarron dans Les Grotesques (1844)







frontispice de La Relation...

frontispice de La Relation...







Le maître du burlesque

En 1640, Scarron revient à Paris, au moment où son père est destitué de sa charge et prié de s'éloigner de la capitale. Le malade s'installe dans le Marais (c'est le beau quartier du temps), mais il n'y reste guère. Ses souffrances s'aggravent et il va habiter près d'un hôpital. En 1643, son père meurt et c'est le début d'un procès avec sa belle-mère ; l'affaire ne sera réglée qu'en 1652, leur permettant, à lui et ses soeurs, de récupérer une partie de l'héritage paternel. Marie de Hautefort lui obtient une gratification de la reine qui sera ensuite transformée en pension.
Plus important, il publie sa première oeuvre chez Toussaint Quinet, Recueil de quelques vers burlesques. C'est un succès, les réimpressions se succèdent et le burlesque devient une mode. Tout le monde, Perrault par exemple, va vouloir s'y livrer et mettre à mal les écrits des Anciens. Quelque part se prépare la fameuse Querelle. En 1644, il réitère avec Typhon ou la gigantomachie dédié à Mazarin, mais celui-ci ne répond pas, Scarron ne le lui pardonnera pas. Il retourne dans le Marais où il habite chez sa soeur Françoise. L'année suivante voit sa première comédie, Jodelet ou le maître valet (sur un sujet emprunté à un écrivain espagnol, Fernando de Rojas). La pièce est vivement appréciée, il en écrit une seconde Les Trois Dorotées ou le Jodelet souffleté, remaniée, elle est publiée en 1652 sous le titre Jodelet duelliste. (les deux pièces bénéficient aussi de la réputation de l'acteur portant ce nom, Julien Bedeau, qui joue le rôle). En 1647, on joue Dom Japhet d'Arménie qui ne sera imprimé qu'en 1653, et dont en 1657, dans Le Roman comique, son auteur le déclare "ouvrage de théâtre aussi enjoué que celui qui l'a fait a sujet de l'être peu." (II, 17).
Entre temps, il est allé surveiller ses intérêts au Mans et mal lui en prit car il eut en route un accident, le brancard qui le transportait versa, qui aggrava ses souffrances et sa difformité. Il écrit à Marie de Hautefort : "Depuis cette male entorse / Ma tête, quoique je m'efforce / Ne veut plus regarder en haut."
Quand la Fronde se manifeste, si Scarron s'abstient de participer à la Fronde parlementaire, c'est autre chose avec la Fronde des princes. Toutes ses amitiés sont du côté des Frondeurs et il met à leur service sa plume acerbe, c'est le premier pamphlet contre Mazarin, intitulée La Mazarinade (publié à Burxelles en 1651), qui donne son nom générique à tous les pamphlets qui suivront. Il lui vaudra une réponse venimeuse de Cyrano de Bergerac, fidèle à la royauté. Mais tout cela n'empêche pas d'écrire. En 1648, à son retour du Mans, il a déposé  un privilège pour les 12 chants du Virgile travesti dont le 1er paraît en mars. Toussaint Quinet lui paie 1000 livres par chant. Mais l'entreprise ne dépassera pas le 8e chant qui restera inachevé, en 1653 ; sans doute Scarron s'est-il un peu lassé de jouer toujours sur les mêmes registres.



Pierre Mignard, Françoise d'Aubigné

Portrait de Françoise d'Aubigné, Pierre Mignard (1612-1695), musée Bernard Agesi, de Niort.
Françoise d'Aubigné, née en 1635, est la petite fille du poète Agrippa d'Aubigné.


En 1651, paraît la première partie du Roman comique, dédié à Paul de Gondi. Cette année-là, il fait la connaissance d'une jeune fille de seize ans, orpheline et pauvre, Françoise d'Aubigné. L'année suivante, il cède son canonicat pour 3000 livres, épouse la jeune fille, et rêve de partir pour les Amériques (Françoise a vécu aux Antilles) dans l'espoir que le soleil et la chaleur améliorent son état de santé, mais ils n'iront pas plus loin que la Touraine.
De retour à Paris, en 1653, il est toujours en quête de protecteur. La vie d'un écrivain, alors, en dépend. Heureusement, Fouquet est là qui lui octroie une pension de 1600 livres. Le couple s'installe rue Neuve Saint Louis, en 1654, et le salon de Scarron devient le mieux fréquenté de Paris. Il y a la beauté de la jeune femme, mais aussi leur intelligence et leur esprit à tous deux. S'y côtoient poètes, dramaturges, gens du monde et du demi-monde. Ninon de Lenclos y est aussi assidue que madame de La Sablière ou madame de Sévigné. Le dramaturge et l'écrivain continuent d'alimenter, l'un les théâtres (L'Ecolier de Salamanque, pour la troupe du Marais, Le Gardien de soi-même dédié à Fouquet, 1655), l'autre les libraires avec, en 1655, des Nouvelles tragi-comiques (adaptées de l'espagnol); en 1656, avec une ode brulesque Léandre et Héro ; en 1657, La deuxième partie du Roman comique (dédié à l'épouse de Fouquet, "Madame la Surintendante").
La fin de sa vie est difficile, les problèmes financiers, malgré les pensions, sont toujours là. Peut-être, la jeune Françoise a-t-elle une aventure avec un des grands seigneurs qui fréquente la maison, c'est en tous cas ce que clament certains pamphlets, et Scarron a une dispute féroce avec le frère de Boileau, qu'il accuse de les répandre. Ses souffrances physiques augmentent au point qu'il rédige son épitaphe en 1660. Il a raison, il meurt le 6 octobre de la même année.
Il laisse une oeuvre qui va vite être oubliée, d'autant plus sans doute que sa veuve, quelques années après, entre au service du roi (elle devient gouvernante des enfants du roi et de madame de Montespan), devient madame de Maintenon et finalement l'épouse morganatique de Louis XIV. Il faut attendre longtemps pour que ses oeuvres complètes soient enfin éditées, ce sera en 1737, à Amsterdam par les soins de Bruzen de La Martinière.
Si nous ne lisons plus guère sa poésie et encore moins ses poèmes burlesques, Le Roman comique reste ce qu'il était, malgré l'absence de la troisième partie que la mort l'a empêché d'achever, une merveille de roman.



épitaphe de Paul Scarron


Celui qui cy maintenant dort
Fit plus de pitié que d’envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.

Passant, ne fais ici de bruit
Garde bien que tu ne l’éveilles :
Car voici la première nuit
Que le pauvre Scarron sommeille.



Paris

Vue de Paris au XVIIe siècle sur la rive gauche entre le pont Notre Dame et le pont au change (gravure de Charles Méryon, 1821-1868)

Paris (publié en 1649)

Un amas confus de maisons,
Des crottes dans toutes les rues,
Ponts, églises, palais, prisons,
Boutiques bien ou mal pourvues ;

Force gens noirs, blancs, roux, grisons,
Des prudes, des filles perdues,
Des meurtres et des trahisons,
Des gens de plume aux mains crochues ;

Maint poudré qui n'a pas d'argent,
Maint homme qui craint le sergent,
Maint fanfaron qui toujours tremble,

Pages, laquais, voleurs de nuit,
Carrosses, chevaux et grand  bruit,
C'est là Paris. Que vous en semble ?




A consulter
: une présentation de l'auteur et de ses oeuvres dans le Dictionnaire des journalistes.



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