1er septembre 1887 : Blaise Cendrars

coquillage



A propos de Cendrars, ce site contient
: 1. une présentation de La Prose du transsibérien...2. le texte annoté de La Prose...3. Lire L'Homme foudroyé - 4. Lire La Main coupée






L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres
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L'homme foudroyé, dédicace à Edouard Peisson, 1943








Cendrars,1930

Blaise Cendrars, vers 1930, au moment de la publication de Rhum.

Quelques éléments biographiques à peu près sûrs

Celui qui va choisir pour nom Blaise Cendrars, probablement entre 1912 et 1913, est né Frédéric-Louis Sauser, à La Chaux-de-Fond, en Suisse, concitoyen d'Edouard-Charles Jeanneret plus connu sous le nom de Le Corbusier, dont il ne fera la connaissance, par ailleurs, que bien des années plus tard.
Savoir quelle a été exactement la vie de celui qui la réinvente sans cesse est un jeu de piste assez difficile à mener. Cendrars a fait de sa vie un roman (voire des romans), et c'est à ce roman que tout un chacun fait foi, sans plus ni moins, parfois jusqu'à l'absurde.
Que sait-on exactement qui ne soit pas tiré de ses oeuvres ? Sans oublier que toutes ses interviews, sur papier ou à la radio, doivent être vues comme partie intégrante de ces oeuvres.
Il a une soeur et un frère aînés, une mère quelque peu neurasthénique. On le serait à moins avec un mari toujours prêt à se lancer dans des aventures financières qui ont pour résultat indéniable de ruiner progressivement la famille. Par exemple, en 1894, il se met en tête d'exporter de la bière allemande à Naples. Transportée dans des conditions plus que précaires, la bière, devenue imbuvable, ne sera pas vendue et la famille rapatriée par les soins du consulat de Suisse après deux ans de séjour difficile dans la ville italienne.
Mis en pension dans des écoles de langue allemande afin d'y apprendre cette dernière, le futur écrivain s'y ennuie à mourir et ne rêve que de départs qu'il tente de mettre en oeuvre en fuguant. Mais il ne va guère loin et se console grâce à la lecture — le jeune Frédéric, comme plus tard l'adulte, est un dévoreur de livres—  mais aussi grâce à la musique, dont semble-t-il, sa mère lui a transmis le goût ;  A 15 ans, le père prend acte de l'inappétence de son fils pour les études et l'inscrit dans une école de commerce afin de lui trouver au plus vite un travail.
En 1904, après des résultats scolaires désastreux, son père décide de l'envoyer faire un stage chez un joaillier suisse, monsieur Leuba, à Saint Pétersbourg. Peut-être cette destination lointaine était-elle un tribut accordé aux désirs de départ de l'adolescent. Il va y passer trois ans, ne revenant en Suisse qu'à l'annonce de la maladie de sa mère, en 1907. Il a vingt ans, et lorsque sa mère meurt, l'année suivante, celui qui est encore Freddy (pour ses intimes) part pour Berne et entame des études de médecine ; il s'en lasse vite et passe à la philosophie, tout en continuant d'étudier la musique, qu'il pratique avec toujours autant de passion que la lecture.



Il rencontre une étudiante russe, Féla Poznanska, dont il s'éprend. Le couple va vivre à Bruxelles, puis à Paris. La vie est si difficile que Féla part rejoindre sa soeur à New-York, dans l'espoir de mieux s'en sortir. Celui qui semble avoir déjà décidé d'être poète l'y rejoint en 1911 après, semble-t-il, qu'elle lui ait envoyé un billet pour ce faire. La vie n'y sera pas davantage facile, le salaire d'institutrice de Féla leur permettant à peine de survivre, mais c'est là que le futur Cendrars rédige le long poème qui le fera connaître, Pâques à New York qui dans sa première édition s'intitule "Les Pâques". C'est sur la couverture de cette publication que le nom de Blaise Cendrars apparaît pour la première fois, nom que l'écrivain adoptera officiellement en demandant et obtenant la nationalité française en 1916.
De retour à Paris en 1912, Cendrars crée, avec deux amis, une petite revue à la vie éphémère (comme très souvent à l'époque), Les Hommes nouveaux, et c'est comme numéro spécial de cette revue que Les Pâques sont publiées. Il fait la connaissance d'Apollinaire, se lie aussi avec les jeunes peintres qui cherchent une nouvelle forme d'art, Picasso, Léger (dont il devient l'ami), les Delaunay, Chagall et bien d'autres. Paris, dans ces années 1910, est en effervescence et ce qu'Apollinaire appellera "l'Esprit nouveau" se cherche dans tous les arts. Cendrars participe à cette effervescence avec toute la vitalité qui est la sienne. Avec Sonia Delaunay, ils font le projet d'un objet d'art inédit, une peinture poétique ou un poème pictural, et cela aboutit, en 1913, à La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, où peinture et texte sont si étroitement mêlés qu'ils forment une seule oeuvre qui se présente d'ailleurs non comme un livre mais comme un dépliant.
Ce sont aussi les années où s'écrivent les Poèmes élastiques et Le Panama ou les aventures de mes 7 oncles (qui sera publié en 1918).
Féla a rejoint Cendrars et, en 1914, le couple a un premier enfant, Odilon ; deux autres viendront,  Rémy en 1916 et Miriam en 1919. Ils se marient et à la déclaration de la guerre, Cendrars, qui a signé avec le poète italien, Riciotto Canudo, un "Appel Aux étrangers vivant en France" dans Le Gaulois, repris ensuite dans divers journaux, s'engage, puis est versé dans la Légion étrangère, puisque c'est le corps d'armée créé pour admettre des étrangers dans l'armée française. Il semble que leur appel ait été particulièrement efficace, puisque plus de 40.000 volontaires se seraient alors engagés.
En 1915, lors d'une attaque, il a le bras droit déchiqueté (obus ou rafale de mitrailleuse ? les sources divergent) et doit être amputé. Cendrars y voit un évènement capital puisque il lui faut apprendre à écrire avec la main gauche. Et les écrits de la main gauche ne peuvent être ceux de la main droite. Le premier de ces écrits est commandé par le couturier et mécène Jacques Doucet, L'Eubage, qu'il fournit à raison d'un chapitre par mois à partir de juillet 1917.  Mais Cendrars souligne surtout le choc que fut pour lui la rédaction de La Fin du monde filmée par l'ange Notre Dame, écrit, dit-il, en une nuit, celle du 1er septembre 1917, dans une grange à La Pierre, un village voisin de Méréville, à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Il a 30 ans et c'est son anniversaire.
Le front est terminé pour lui. Cendrars vit à Paris, où il fréquente beaucoup Modigliani (ce dernier fera de lui divers portraits dont le plus connu est une toile à l'huile de 1918) et où, en 1917, il fait la connaissance de Raymone Duchâteau (1896-1986), dite Raymone, une jeune actrice, à laquelle il voue immédiatement un amour total. Elle sera sa muse et sa "compagne" pour le reste de sa vie. Ils se marieront en 1949, et si l'on en croit t'Serstevens, cet amour, mariage inclus, n'a  jamais été que celui deux âmes.
Ses poèmes rassemblés (Les Pâques, Le Transsibérien, Le Panama) sont publiés, en 1919, sous le titre Du monde entier par la NRF.





illustration pour "Paques à New-York", 1926

une des huit illustrations de Pâques à New York, bois dessinés et gravés par Frans Masereel (1889-1972) pour une édition de René Kieffer, Paris,  1926.






"La négresse", Tarsila do Amaral, 1923

Tarsila do Amaral (1886-1973), La Négresse, huile sur toile, 1923.
Tarsila tirera un croquis de cette peinture qui servira de première de couverture à l'édition de Feuilles de route, en 1924, au Sans Pareil.

Le Brésil

Cendrars est devenu une personnalité du monde des arts, et il fascine dans ces années vingt où les surréalistes commencent à peine à montrer le bout du nez, sans doute d'autant plus qu'Apollinaire est mort en 1918 et qu'il est le seul représentant, ou du moins le plus visible, celui qui a su, à l'instar de ce que préconisait Rimbaud, se "faire voyant", de cette poésie nouvelle qui s'est élaborée dans les années précédant la guerre. Les jeunes artistes brésiliens, peintres, écrivains, poètes, qui viennent à Paris dans les années vingt se frotter aux nouveautés en sont enthousiasmés. ils n'ont de cesse que leur mécène et ami, Paulo Prado, un très riche homme d'affaires de São Paulo, mais aussi un écrivain et un historien, invite leur nouvel ami en passe d'être élevé au rang de "gourou". En 1924, Cendrars s'embarque pour le Brésil, c'est le début d'une histoire réelle qui dure peu de temps en vérité, mais aussi, et surtout, d'une histoire fantasmatique qui, elle, va durer toute sa vie et alimenter le meilleur de ses écrits.
Ce premier séjour, qui se prolonge jusqu'au mois de septembre, permet à Cendrars de découvrir la ville de São Paulo mais aussi l'intérieur de l'Etat, en particulier la propriété du Morro Azul, d'aller au carnaval de Rio, et surtout de faire dans le Minas Gerais un voyage avec ses amis modernistes dont Tarsila do Amaral (peintre), Mario de Andrade (poète et essayiste), Oswald de Andrade (écrivain), et quelques autres, et même d'être le témoin d'une tentative de révolution, en juillet, à São Paulo. Le poète n'a pas non plus perdu de temps. Outre les textes qui sont rassemblés dans Feuilles de route (1924), il a construit les poèmes de Kodak dont il devra changer le titre pour Documentaire (1924), la firme portant ce nom n'ayant pas accepté cet "emprunt". Construit est le mot adéquat puisqu'il 'agit de "collages" à partir de phrases puisées dans les romans de Gustave Le Rouge, comme l'a montré Francis Lacassin après avoir pris au sérieux la déclaration qu'en fait le poète lui-même dans L'Homme foudroyé.
En rentrant, il rédige enfin L'Or, publié en 1925, récit auquel il pensait depuis longtemps. Et il crédite les longues conversations avec Paulo Prado de cette réorientation vers le romanesque, comme en témoigne la dédicace du livre à celui qui sera son ami jusqu'à sa mort en 1943 : "A Paulo Prado ce livre que je n'aurais jamais écrit sans lui".
Il est revenu aussi avec toutes sortes de projets mirobolants, faire des affaires, faire du cinéma, projets qui vont alimenter la création littéraire à défaut de se concrétiser dans le monde réel.
En janvier 1926, il repart au Brésil où il séjourne jusqu'au mois de juin. Il vient de terminer Moravagine, commencé au début des années dix et publié en 1926. Il absorbe aussi des images, des couleurs, des anecdotes, beaucoup d'anecdotes dont il va tirer un admirable parti dans nombre de ses nouvelles comme dans ses récits. Cendrars a trouvé sa voie au Brésil (sans compter sa voix). Comme La Prose du transsibérien... le laissait soupçonner, ce poète a besoin de l'ampleur de la prose pour "aller jusqu'au bout."
Son dernier séjour date de 1927. Il s'embarque en août et reprend le bateau pour la France fin janvier 1928. C'est fini. 



Mais Le Brésil, par les liens amicaux qu'il y a tissé, par les histoires qu'il lui a donné, par les idées qui y ont germé, si nombreuses que la plupart d'entre elles resteront à l'état d'ébauche, ne le quittera plus jamais. "Ma deuxième patrie spirituelle" disait-il. Les autres voyages, dont on ne sait trop si c'est lui qui les raconte ou ses biographes qui les imaginent, ont sans doute été rêvés à la mesure de la "saudade" (nostalgie, pour faire simple) qui pouvait habiter l'écrivain. Il lui reste à écrire et il va s'y employer, surtout sous forme de nouvelles, à mi-chemin du reportage et de la fiction, qu'il publie dans de nombreux journaux.
Par ailleurs, cette décennie des années trente est celle de sa plus intense activité de journaliste. Il "pige" dans de nombreuses publications, dont le France-Soir de Pierre Lazareff. Mais ses chefs-d'oeuvre sont encore à venir. La guerre éclate, puis l'armistice. Cendrars s'installe à Aix-en-Provence, mais ce n'est qu'en 1943, qu'il se remet à écrire après trois ans de silence. Il commence la rédaction de ce qui va devenir une tétralogie (selon le mot de t'Serstevens), publiée au sortir de la guerre, L'Homme foudroyé, 1945 ; La Main coupée, 1946 ; Bourlinguer, 1948 ; Le Lotissement du ciel, 1949. Quatre splendides textes totalement inclassables, mais n'est-ce pas le propre des chefs-d'oeuvre ? ni autobiographie (ou alors fantasmée), ni romans (cela n'obéit à aucune structuration qui à travers une succession d'évenements fait passer un personnage d'un point A à un point Z), ni poèmes, mais tout cela à la fois. Un vrai feu d'artifice !
Après son mariage avec Raymone, en 1949, le couple s'installe à Paris. Cendrars est fêté, entouré. Il enregistre une série d'émissions radiophoniques (13) avec Michel Manoll. Comme toujours, il y a une certaine confusion que, sans doute, entretient l'écrivain entre vie et oeuvre. Il entreprend ce qui sera son dernier roman, Emmène-moi au bout du monde, publié en 1956. C'est à la fin de cette année-là qu'il subit une première attaque qui paralyse son côté gauche dont il se remet difficilement et progressivement jusqu'à ce qu'une nouvelle attaque le frappe en 1958. Son dernier livre paraît alors, Trop, c'est trop. A la page des "oeuvres du même auteur", il est recensé 37 titres dont La Légende de Novgorod (qui fut objet d'une mystification littéraire en 1996 et qui ne fut, peut-être, comme bien d'autres, qu'un texte rêvé), 3 titres annoncés "sous presse", 3 titres "en préparation" et "sur le chantier : 33 volumes."
Une chose est certaine, Cendrars était doué d'un appétit de vie peu commun, même s'il lui a bien fallu mourir le 21 janvier 1961.
En lisant Cendrars, il faudrait garder en mémoire ces paroles de son ami (et admirateur) Henry Miller :



Il est l'homme de notre temps qui a proclamé et annoncé à grand renfort de fanfares qu'aujourd'hui est profond et beau. Et c'est précisément parce qu'il s'est ancré en plein milieu de la vie contemporaine et que de là, comme d'une passerelle de navire, il surveille la vie, toute la vie, passée, présente et future, la vie des étoiles aussi bien que la vie des grands fonds marins, la vie en miniature, comme la vie à une échelle grandiose, c'est pour cela que je l'ai montré comme un éblouissant exemple des bons principes, de la bonne attitude à avoir devant la vie. Nul mieux que Cendrars ne sait se plonger dans les splendeurs du passé ; nul ne peut saluer le futur avec plus d'ardeur ; mais c'est le présent, l'éternel présent qu'il glorifie et dont il s'est fait l'allié.
(traduit par Jean Rosenthal. Magazine littéraire, janvier 1984)









Cendrars, 1951

Cendrars, en 1951, avec son chien Wagon-lit.




A consulter
: la bibliographie complète des oeuvres de Cendrars sur le site Constellation Cendrars qui regroupe deux associations : le Centre d'Etudes Blaise Cendrars et l'Association Internationale Blaise Cendrars.
A regarder : un petit film de 1953, Blaise Cendrars en quête de Modigliani sur le site de l'INA



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