4 février 1688 : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, dit Marivaux. |
Ce jour-là, le 4 février 1698 naît,
à Paris, l'enfant qui
deviendra Marivaux.
Quand il a 11 ans (1699), sa famille part pour Riom où le
père est contrôleur de
l'Hôtel des monnaies dont il deviendra ensuite directeur, en 1704.
Bonne famille de la bourgeoisie financière. Comme nombre de ses
contemporains, il sera formé par les
Oratoriens et aura de solides connaissances en latin, ce qui ne
l'empêchera pas d'être un partisan convaincu des "Modernes".
Il revient à Paris, en 1710, pour y faire,
toujours
comme nombre de ses contemporains, des études de droit ; il s'inscrira
plusieurs années de suite à la faculté en négligeant,
semble-t-il, de passer les examens. De
fait, il ne s'intéresse qu'à la littérature.Tentation polygraphiqueEn 1712, il publie, anonymement, une pièce en un acte, Le Père prudent et équitable ou Crispin l'heureux fourbe, certes représentée mais qui ne semble pas avoir éveillé l'enthousiasme. Qu'à cela ne tienne, il se tourne vers le roman, Pharsamon ou les nouvelles folies romanesques (1712, mais le roman ne sera publié qu'en 1737); puis Les Aventures de*** ou les effets surprenants de la sympathie (1713-1714), La Voiture embourbée (1714) avant de se lancer, quoiqu'avec un peu de retard sur la mode, dans le burlesque avec l'Homère travesti (1716) et le Télémaque travesti qui, lui, ne paraîtra qu'en 1737. Il fréquente le salon de madame Lambert où l'ont sans doute introduit Fontenelle et Houdard de La Motte dont il était devenu l'ami.En 1717, il fait ce qu'on appelle un "beau mariage" (autrement dit la jeune fille apporte une dot conséquente) en épousant Colombe Bollogne. Le couple aura un enfant, une fille, en 1719. Mais en 1720, la faillite de Law le ruine ; il reprend alors se études de droit et bien que reçu avocat, il n'exercera jamais. Il perd son épouse en 1723. Ni romans, ni burlesque, ni théâtre ne lui ont permis de se faire connaître, le journalisme y réussira peut-être mieux. A partir de 1717, il fait paraître dans le Nouveau Mercure, Les Moeurs de Paris par le Théophraste moderne, une série d'essais à teneur "sociologique". Attaqué sur ses écrits, en particulier sur ce qui est jugé mauvais usage de la langue (voir, par exemple, l'expression "tomber amoureux"), il répond par des Pensées sur la clarté du discours (1719) qui signent sa rupture avec le classicisme. Puis en 1721, il fonde un journal, Le Spectateur français, dont l'irrégularité de publication, 25 numéros entre 1721 et 1724 (Les curieux pourront le lire ICI), ne donna pas les résultats financiers qu'en espérait Marivaux. Mais ces textes ne sont pas sans lecteurs et, en 1728, en paraîtra une réédition en volume. |
![]() Portrait de Marivaux par J.-B. Van Loo (Comédie Française) |
Gianetta Benozzi (1701-1758), Silvia à la scène. Gravure de L. Massart (1882) d’après un dessin de Charles Vanloo |
La réussite théâtraleEn 1720, après sa ruine et la reprise de ses études de droit, Marivaux confie une pièce, Arlequin poli par l'amour, aux Italiens (la troupe est dirigée par Luigi Riccoboni dit Lélio) qui veulent diversifier leurs spectacles. La pièce a un certain succès et encourage les comédiens comme l'écrivain à développer leurs relations. Cette collaboration se poursuivra pendant vingt ans (18 pièces). Les acteurs de Marivaux seront Silvia (Ganetta Benozzi) qui joue les jeunes premières et Thomassin (Tommaso Antonio Visentini, 1682-1739) qui joue les arlequins. Quand Marivaux choisira de donner ses pièces à La Comédie française (mais il n'avait pas négligé de le faire auparavant) à partir de 1744, c'est peut-être moins en raison de son élection à l'Académie française (question de respectabilté) que pour avoir perdu ses acteurs préférés, Thomassin enlevé par la mort et Silvia par l'âge, car il est difficile de jouer les jeunes premières à plus de 40 ans dans cette première moitié du XVIIIe siècle.Marivaux invente un genre, plus qu'il ne le renouvelle, celui de la comédie sentimentale, au sens d'exploration des sentiments, comme il invente une manière d'en examiner la naissance, du vécu dans la nescience (tous ses amoureux mettent bien du temps à comprendre qu'ils aiment, voire qui ils aiment) à la capacité de nommer et déclarer. Toutes les pièces de Marivaux pourraient s'intituler Les Surprises de l'amour, comme celle qui est montée en 1722. Du moins pour celles qui sont le mieux connues parce que le XIXe siècle les a largement plébiscitées et qu'un Musset s'en est fort inspiré. Encore faudrait-il entendre par "amour", le "désir" dans ses aspects les plus sensuels. Paul Gazagne (Marivaux par lui-même, Seuil, 1954) fait justement remarquer que Marivaux n'est pas, comme le pensaient les romantiques, le "sémillant métaphysicien du coeur" mais "l'analyste et le physicien de la sensualité et de la tendresse naissante" (p. 35). Mais Marivaux est dans le même temps un écrivain qui réfléchit aux questions sociales que lui pose son temps, en particulier celui des stratificatons sociales, comme celui du statut des femmes. Par exemple, dans L'Ile des esclaves (1723), un naufrage fait aborder quatre personnages dans une île où la règle veut que les rôles soient inversés: les domestiques deviennent maîtres et les maîtres domestiques, pour qu'enfin ces maîtres comprennent l'injustice de leurs comportements : "nous vous jetons dans l'esclavage pour vous rendre sensibles aux maux qu'on y éprouve ; nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes, vous vous reprochiez de l'avoir été. Votre esclavage, ou plutôt votre cours d'humanité, dure trois ans" affirme Trivelin au début de la pièce. Par ailleurs, toutes ses pièces, comme aussi bien ses romans, voire ses écrits journalistiques, insistent sur l'injustice faite aux femmes, consistant à les traiter comme des mineures, ou pire encore comme des objets. Par exemple, dans la colère de Silvia enlevée par le Prince (La Double inconstance, 1723, I,1) "Qui lui a dit de me choisir ? M'a-t-il demandé mon avis ? [...] Mais point du tout, il m'aime, crac, il m'enlève, sans me demander si je le trouverai bon." Ou encore dans La Colonie (1729) dont il ne reste qu'une réécriture en un acte publié en 1750 où Madame Sorbin proclame "l'heure est venue, nous voici en place d'avoir justice, et de sortir de l'humilité ridicule qu'on nous a imposée depuis le commencement du monde : plutôt mourir que d'endurer plus longtemps nos affronts", largement approuvée par Arthénice, représentant la noblesse. Ces questions sociales se retrouvent dans d'autres pièces comme dans les deux romans inachevés de l'auteur, La Vie de Marianne (1731-1741) et Le Paysan parvenu (1734-35) comme elles se retrouvent dans ses activités de journaliste. En 1728, il publie L'Indigent philosophe (17 feuilles), puis Le Cabinet du philosophe (1734, 11 feuilles). |
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La
vie privée de Marivaux reste mystérieuse ; s'il fait part de ses
réflexions dans ses écrits journalistiques, il est fort silencieux sur
lui-même. Il fréquente les salons, en particulier celui de Madame de Tencin ; il lui doit sans doute son élection à l'Académie française en 1742, après deux refus (1732 et 1736), mais aussi celui de Mme du Deffand et de Mme Geoffrin.
A partir de 1744, il partage un même logis avec une demoiselle de
Saint-Jean dont on ne sait trop s'il s'agit de sa logeuse ou de sa
compagne, mais les donations qu'il fait en sa faveur feraient pencher
pour la seconde hypothèse. D'une certaine manière, c'est un homme seul
puisque sa fille est devenue religieuse en prononçant ses voeux en
1746. Il est probable que malgré sa foi, réelle, il en a été fort mari
si l'on en croit les images de la vie religieuse que transmet La Vie de Marianne. Après 1744, Marivaux écrit très peu et son dernier texte, un essai sur Corneille et Racine, date de 1751. L'écrivain meurt en 1763, presque oublié. |
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![]() Watteau (1684 - 1721), "Couple assis", vers 1716 (dessin) |
Sainte-Beuve, qui
savait lire, en disait ceci, que rapporte Pierre Larousse dans son Dictionnaire :
Et Voltaire, qui lui en voulait peut-être d'avoir été élu à l'Académie française au moment où lui-même était candidat (1742), affirmait dans une de ses lettres, du 27 avril 1761: "Il passait sa vie à peser des riens dans des balances de toiles d'araignée." |
A explorer : le dossier que lui consacre Gallica. A lire : l'Éloge que lui consacre d'Alembert (1785) lequel fait assez bien le point sur ce que ses contemporains pensaient de lui (autrement dit le plus grand mal) , à se demander comment ils ont pu l'élire à l'Académie française à l'unanimité. |