18 octobre 1741 : Pierre Ambroise Choderlos de Laclos |
A propos de Laclos, ce site contient : 1. Un extrait de la critique de Cécilia (théorie du roman) - 2. Un extrait du Discours pour l'Académie de Châlons (le statut des femmes) - 3. Une présentation des Liaisons dangereuses. Pour situer Laclos : une chronologie du siècle des Lumières |
Ce 18 octobre naît, à Amiens, un garçon, prénommé Pierre Ambroise François, que la postérité connaîtra sous le nom de Laclos et admirera pour une oeuvre, une seule, un étonnant roman par lettres : Les Liaisons dangereuses, publié en 1782. Laclos avait donc 41 ans, c'est-à-dire une vie déjà bien remplie et pas du tout celle d'un écrivain, lorsqu'il le devient. De sa famille, on sait peu de choses : un père anobli quoique sans titre, grand commis de l'Etat, comme le grand-père maternel; l'existence d'un frère aîné, né en 1738 ; l'installation de la famille à Paris, en 1751, où Laclos a sans doute fait les études qui le conduisent à l'Ecole d'artillerie de la Fère où il est nommé aspirant, en décembre 1759. En 1761, il est nommé sous-lieutenant, et demande en première affectation la brigade des colonies en formation à La Rochelle, mais la fin de la guerre de Sept ans, en 1763, met aussi fin aux ambitions coloniales de la France, du moins pour un temps. Laclos ne part pas. Ensuite, une vie de garnison avec les montées en grade conséquentes (Toul - 1763, Strasbourg, Grenoble -1769, puis Valence, en 1777, où, capitaine en second, il est chargé d'installer l'Ecole d'artillerie) et sans doute une vie mondaine propice aux écrits de circonstance : poèmes aux dames et demoiselles, chansons, épîtres. Tout ce qui relève du savoir-vivre, plutôt que de la création littéraire, à strictement parler, même si ces petites oeuvres sont publiées dans des revues à l'occasion ; il écrit aussi le livret d'un opéra-comique, Ernestine, tiré d'un roman de Mme Riccoboni (une seule représentation, le 19 juillet 1777, à la Comédie Italienne, à Paris). Sans doute devient-il membre de la Franc-maçonnerie en 1763, mais les premiers documents que l'on possède sur cette adhésion datent de 1776. En 1779, il est mis à la disposition du marquis de Montalembert pour fortifier l'île d'Aix (située entre l'île d'Oléron et l'île de Rê). C'est à ce moment-là qu'il commence la composition des Liaisons. |
Portrait de Laclos, Pastel de Joseph Ducreux (1735-1802) | |||
Les Liaisons dangereuses, c'est d'abord trois ans de travail, et peut-être davantage puisque des deux dates qui apparaissent dans le manuscrit, si l'une est 1780, l'autre est 1770. Les spécialistes pensent que cette date pourrait correspondre à la date d'écriture de la lettre, ce qui supposerait une préparation de l'oeuvre beaucoup plus ancienne. En 1780 et en 1781, le capitaine Laclos sollicite deux congés de six mois et, le 10 octobre 81, il demande une autorisation pour son roman. La permission accordée, un contrat est signé le 16 mars 1782 avec le libraire Durand pour 2000 exemplaires. Laclos touchera 1 600 livres. La même année, commence sa liaison avec Marie-Soulanges Duperré, la soeur d'un ami, rencontrée à La Rochelle. Elle a 22 ans. La famille de la jeune fille semble s'être opposée à un mariage qui n'aura lieu, finalement, qu'en 1786, après la naissance de leur premier enfant, en 1784. Des lettres à Marie-Soulanges ressort l'image d'un mari amoureux et attentif, d'un père soucieux de l'avenir de ses enfants, d'un homme qui, lorsqu'il acceptait une charge l'assumait totalement, ainsi des derniers mois de sa vie en Italie, en tant que commandant de l'artillerie de l'armée d'observation dans les Etats de Naples. En somme, un homme en qui l'on pouvait avoir confiance. |
Frontispice des Liaisons
dangereuses, 1796 (le vice écrasant la vertu)
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En 1788, Laclos se fait mettre en congé de l'armée et devient secrétaire des commandements du Duc d'Orléans (futur Philippe-Egalité des années révolutionnaires). Il s'installe à Paris et commence alors une vie politique qui le conduira en exil (en 1789) et en prison (en 1793), mais on le retrouve toujours là où il se passe quelque chose d'important, y compris le 18 brumaire, au moment du coup d'état de Bonaparte. On lui attribue le modèle des "cahiers de doléances" par lesquels les Français avaient fait connaître, en 1789, leurs revendications aux Etats Généraux. Il
réintégre l'armée en 1799 et
meurt
en Italie
en 1803, à Tarente,
"d'épuisement, de dysenterie
et de malaria". Il y sera enterré, dans l'île Saint-Paul, et "en 1815
son tombeau sera rasé et ses cendres dispersées au vent".
Même son biographe, pourtant attentif, Jean-Paul Bertaud, considère Laclos comme une énigme. Peut-être a-t-il simplement été un homme qui a vécu en accord avec lui-même, en accord avec son temps, préocccupé des mêmes interrogations que ses contemporains, participant de toute son intelligence (ce qui sans doute aussi implique une certaine distanciation) aux changements des années révolutionnaires, regardant plus volontiers l'avenir que le passé, faisant des choix, qu'à distance nous avons beau jeu de trouver discutables, fournissant un apport idéologique à la Révolution, par son roman, par ses articles, par sa participation au club des Jacobins ; un apport concret à la défense militaire de Paris, à la victoire de Valmy, inventant le boulet creux, proposant la numérotation des maisons dans les rues pour une meilleure gestion administrative de la ville. A une génération d'écart, il est bien difficile de juger un homme, que dire donc lorsque plus de deux siècles ont passé, sinon qu'il reste une oeuvre dont l'intelligence, la finesse, la complexité plaident en faveur de celui qui les a mises en oeuvre. Le XIXe siècle lui a fait une légende noire et a voulu voir dans le personnage de Valmont son double (mais le XIXe siècle a mis longtemps aussi à comprendre Voltaire) ; on en retrouve trace dans Les Mémoires d'Outre-tombe de Chateaubriand qui n'a pas de mots assez durs pour vilipender la Révolution, et condamner les menées du duc d'Orléans ; il écrit : "Egalité [le duc d'Orléans] consultait le diable dans les carrières de Montrouge, et revenait au jardin de Monceaux présider les orgies dont Laclos était l'ordonnateur" (I, V, 14); on s'étonne que l'accumulation (trangression politique, religieuse, sexuelle) n'ait pas fait regarder l'affirmation pour ce qu'elle était: une manifestation de haine à l'encontre du duc d'Orléans, dans laquelle Laclos apporte sa garantie littéraire : qui, mieux que Valmont pouvait organiser des orgies ? le peu que nous savons de la vie de Laclos s'accorde mal avec cette affirmation. Et Laclos, lui-même, a toujours proposé de son roman une interprétation dénonciatrice et pédagogique. S'il a, en effet "construit" Valmont et Merteuil, il a aussi imaginé Mme de Tourvel. Il n'en reste pas moins que le roman sera interdit "de publication et de diffusion" en 1823, et encore en 1865. Reste son oeuvre et une vie, qui même avec le peu que nous en savons, nous paraît singulièrement bien remplie et dans laquelle il semble n'avoir jamais sacrifié l'essentiel : son amour de la liberté et son goût du bonheur. |
L'oeuvre : — des poèmes composés à des moments divers et réunis sous le titre Pièces fugitives (22 textes dont 11 avaient été publiés sous ce titre en 1787) — Les Liaisons dangereuses, 1782 — Discours sur l'éducation des femmes (inachevé et non publié par Laclos — réponse à une question proposée par l'Académie de Châlons en 1783) qui commence très brutalement par l'affirmation qu'on ne peut éduquer des esclaves et les femmes, libres et égales des hommes, sont devenues des esclaves : "si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez pas abuser par de trompeuses promesses, n'attendez point de secours des hommes auteurs de vos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C'est à vous seules de le dire puisqu'elle dépend de votre courage." — des Lettres (dont la correspondance avec Mme Riccoboni sur Les Liaisons ; et les lettres à sa femme) — des critiques littéraires dont la plus intéressante est celle de Cecilia ou les mémoires d'une héritière, dans laquelle il développe une théorie du roman qui n'est pas éloignée de celle que Balzac développera à son tour dans l'avant-propos de La Comédie humaine: "qu'on nous dise donc où l'on peut apprendre ailleurs à connaître les moeurs, les caractères, les sentiments et les passions de l'homme ?" | |||
A lire : Choderlos de Laclos, l'auteur des Liaisons dangereuses, Jean-Paul Bertaud, Fayard, 2003. Le Paradoxe du menteur. Sur Laclos, Pierre Bayard, éd. de Minuit, 1993 |