Tout doit disparaître le 5 mai, Pierre Véry, 1961

coquillage



Pierre Véry
appartient, comme le fait remarquer Thierry Picquet, aux "écrivains méconnus du XXe siècle". Il a pourtant beaucoup écrit et connu le succès qui s'est souvent traduit par la transformation de ses romans en films.
Il est né le 17 novembre 1900 dans un petit village, Bellon, en Charente mais limitrophe de la Dordogne et de la Gironde. Il y passe son enfance et les paysages en marqueront son oeuvre. Il perd sa mère lorsqu'il a 13 ans. Son père est professeur de mathématiques alors que sa famille est enracinée dans le terroir. En 1915, il rejoint son père à Paris où il vivra désormais, jusqu'à sa mort, en 1960.
Il fera divers petits métiers avant d'ouvrir une librairie d'occasions, la Galerie du Zodiaque, en 1924. Il cèdera la librairie à un ami proche, au début des années 1930, Pierre Béarn. Mais surtout il écrit, pour lui-même ou pour des journaux. Il publie son premier roman en 1929, Pont-Égaré. Les romans vont ensuite se succéder, en particulier, dans la veine policière qu'il subvertit quelque peu en y introduisant autant de fantaisie que de merveilleux, dont le premier, Le Testament de Basil Crookes (Le masque, 1930) lui vaut le prix du roman d'aventure (qui vient d'être créé par Albert Pigasse, le patron du Masque). En littérature, Pierre Véry touche à tout, ne se bornant nullement aux intrigues policières (qu'il préfère nommer roman de mystère), explorant les univers de la fiction scientifique, tout autant que le monde social.
A partir de 1938, Véry travaille pour le cinéma (scénarios et dialogues), y compris pour les adaptations de ses propres oeuvres comme Les Disparus de Saint-Agil (1938, Christian-Jaque) ou Goupi Mains Rouges (1943, Jacques Becker). Il fera aussi de la radio.
Il continue d'écrire et de publier, puisque son dernier livre, le recueil de nouvelles intitulé Tout doit disparaître le 5 mai est publié de manière posthume, en 1961, préfacé par Marcel Aymé.
L'écrivain est mort brutalement le 12 octobre 1960.



Pierre Véry

Photograpjie de Pierre Véry, date et photographe inconnus.




le roman

Première de couverture, 1961

     Tout doit disparaître le 5 mai est un recueil de neuf nouvelles. En parler, c'est aussi rendre hommage à la collection, aujourd'hui disparue (1954-2000), dans laquelle il a été publié, en mars 1961. La même année, en novembre, dans la même collection sera publié Le Pays sans étoiles. Gallimard, ensuite, a repris certains de ces titres en Folio-SF. Le graphisme de la couverture (créé en 1953, toujours le même mais avec des couleurs différentes) est dû à Robert Massin (1925-2020) qui explique avoir utilisé une photographie de François Molinard, celle de l'ombre portée d'une balle de tennis. Quoique son nom connote apparemment la fiction scientifique, la collection a souvent repris des textes du Rayon fantastique, qui proposaient de l'horreur (Lovecraft), du fantastique (Blackwood), da la fantaisie (Fredric Brown) outre la science-fiction proprement dite. C'est dire que le recueil de Pierre Véry y avait toute sa place qui mêle allègrement tous ces ingrédients.

      La nouvelle qui donne son titre au recueil est au centre puisque les autres sont distribuées également de part et d'autre de celle-ci, quatre avant et quatre après. Toutes font des incursions dans l'espace et le temps ; mais toutes interrogent essentiellement le lecteur sur une condition humaine définie par la mort, au premier chef. L'écrivain y explore avec humour souvent, avec chagrin aussi, lorsque la mort est infligée par des hommes à d'autres hommes, cet inévitable postulat : l'homme est mortel, comment vivre avec cette certitude lorsqu'elle est impossible à oublier. Questionnement qui se démultiplie aussi : la mort est-elle la fin de tout ? Est-elle "écrite" de toute éternité ? Relève-t-elle de l'accident (évitable, donc) ? La poursuite d'un rêve ? Le glissement vers un autre côté plus prometteur et compensateur des misères ? ou l'éternisation d'une souffrance sans nom ?
Non seulement l'écrivain joue avec toutes ces interrogations qui, à un moment ou un autre, sont celles de chacun face au "Grand peut-être" de Rabelais, mais il joue aussi avec la littérature et le lecteur reconnaît les clins d'oeil à Hugo (L'Art d'être grand-père, mais aussi la vision hugolienne des âmes errant dans l'infini), à Wells bien sûr, s'agissant de fiction scientifique, à Lovecraft (ou Blackwood) pour leur sens de la terreur, ou plus étonnant certes, à Faulkner, qui semble avoir présidé à la rédaction du Peuple peint.
Pierre Véry écrit avec grâce et élégance. Ses histoires sont toujours plaisantes, même les plus émouvantes, même les plus bouleversantes, car elles nous entraînent vers un reflet de nous-mêmes, quelquefois caricatural, mais si peu, et nous invitent à comprendre (ou tenter de le faire) ce que nous sommes vraiment, ce que nous avons envie d'être, de même qu'elles nous entraînent vers l'autre, le différent, celui que nous rejetterions peut-être, avant de saisir qu'il est nous-même : "Le sang a la même couleur pour tous, n'est-ce pas, le sang est rouge pour tous."











les Parques

Alfred Agache (1843-1915), Les Parques, 1882, Lille, Palais des Beaux-Arts.

Le Yoreille  (première publication de Fiction n° 78, mai 1960) : dans un univers futuriste où les humains atteignent une belle longévité, ils sont surveillés pour ne pas donner d'espace aux mutants, humains doués de tels pouvoirs qu'ils pourraient éliminer les autres. Un grand père acariâtre et amateur de peinture finit par se mettre en colère contre son petit fils facétieux qui joue avec ses peintures, faisant sonner une guitare, mangeant les pommes de Manet, pinçant, sans vergogne, les fesses de la Joconde. Résultat : le petit fils est exécuté et toute la famille éliminée en étant expédiée dans une manière de bagne.
La Planète d'honneur de l'univers : quelque chose comme le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les humains finissent par s'entretuer à coup de bombes atomiques, du coup la planète devient totalement radioactive et le paradis d'extra-terrestres se nourrissant de radioactivité. Ce sont eux qui la baptisent ainsi. C'est de l'humour noir, certes, mais c'est drôle.
L'Etoile jaune : deux astronautes vont mourir dans la poussière de la lune. L'un d'eux est un jeune Juif (David) qui a porté l'étoile jaune enfant qui lui paraissait la plus belle des décorations, une très belle page humaniste de déploration sur l'imbécillité humaine.
Le Visage : un très surprenant récit dans le cadre le plus anglais possible où s'introduisent des tueurs en automobile qui assassinent une femme et une petite fille. Dans un salon vide dont la fenêtre était ouverte agonise une femme invisible. S'intitule ainsi parce que, à la fin, la femme qui s'est heurtée au cadavre invisible, finit par toucher le visage et fermer les yeux de la morte. C'est un hommage à Wells, bien sûr, cité, nommément au début du récit.
Tout doit disparaitre le 5 mai : l'histoire de M. Lecourtois, ancien bourreau, qui rencontre dans un magasin funéraire, les Parques. Pour ses dernières semaines, il joue le grand père gâteau avec sa petite bonne qui en est tellement émue qu'elle couche avec lui. Finalement, le 5 mai il se fait renverser par une camionnette conduite par son successeur et "tout disparaît" pour lui. Chez Grossman aussi on trouve cette même idée qu'avec chaque mort meurt un monde. Il est permis alors de comprendre qu'il s'agit de la nouvelle centrale, puisque les Parques (l'une des trois vieilles femmes, Clotilde, a toujours des ciseaux en main) représentent le destin et que, de fait, chaque individu règne dans un monde à sa mesure impossbile à retrouver lorsqu'il a disparu.
Les Linottes de la voie lactée : amusante pochade qui joue au mythe pour expliquer l'existence des distraits. ce sont des hommes dans lesquels se sont réincarnés des Piduchets, extraterrestres dont la particularité est d'être toujours à côté de la plaque et qui ne se récincarnent, d'ailleurs, que par accident. Ainsi La Fontaine est-il la réincarnation d'un Piduchet.
Le peuple peint : une histoire terrible de racisme ordinaire dans le monde de Faulkner, le sud des Etats-Unis. Mais ici, le noir assassiné passe de l'autre côté, dans le monde de la tapisserie de son enfance où l'attend une jeune fille b
rune. C'est à la fois un récit du plus brutal réalisme et du fantastique, car si le passage du personnage de l'autre côté peut être interprété, la disparition de l'orange, elle, tendrait à donner au récit son caractère de vérité.
Hideux Tipset : voyage dans l'espace (organisé et réalisé par les Suisses qui est aussi une caricature amusée des Suisses) où on découvre des pères noèls de 4 m assassinés par des petits homme de la taille d'enfants de 7 ans. Mais l'image idyllique se révèle fausse, les pères noèls sont des ogres.
Ils : encore une histoire de mort. On dirait le mariage de Lovecraft (pour l'horreur) et de Hugo (pour la mort errant d'étoile en étoile). Une femme craint des choses innommables, montant des profondeurs,  et une chute infinie dans l'infini justement et finit par se tuer en chutant dans une cave.



Il y a bien du plaisir à lire Pierre Véry !


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