30 mars 1844 : Paul Verlaine
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La vie de Paul Verlaine a été courte, il meurt à 52 ans, et considérablement agitée. Il semble avoir mêlé en lui de multiples personnalités contradictoires, tantôt aimable, tantôt haïssable, écrivant des merveilles et bien des platitudes, s'efforçant, par à-coups, de mener une vie réglée (emploi, domicile fixe) et retrouvant vite son goût du vagabondage, de l'alcool, l'absinthe de préférence. A regarder la trajectoire de cette vie, on se prend à y voir une incarnation des Fleurs du mal (recueil qui a tant compté pour lui), écartelée entre Spleen et Idéal. |
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Verlaine (détail d'un tableau de Fantin Latour, Un coin de table, 1872) |
Enfance et adolescencePaul Marie Verlaine est né le 30 mars 1844 à Metz. Ses parents se sont mariés en 1831, et depuis 1836, ils élèvent leur nièce, Elisa Moncomble, fille de la soeur de sa mère. Le père est militaire, si bien que la famille se déplace au gré de ses mutations, et que Verlaine va passer ses quatre premières années dans des villes du midi, ce qui ne semble guère l'avoir marqué. En 1848, de retour à Metz, le père démissionne. C'est une enfance choyée, heureuse, avec des échappées dans la campagne, aux environs d'Arras dans la famille maternelle, du côté des Ardennes dans la famille paternelle.En 1851, la famille s'installe à Paris. Paul y fera ses études. Elisa se marie en 1860. En 1862, Paul est reçu bachelier et, en septembre, il s'inscrit en faculté de droit. En 1863, il fréquente le salon de la mère d'un de ses amis qui reçoit de nombreux écrivains et poètes parmi lesquels Banville, Heredia, Coppée, Anatole France. Depuis son adolescence il versifie, admirant Hugo auquel il adresse un poème lorsqu'il a 14 ans, mais Il ne publie son premier poème "M. Prudhomme" qu'en 1863, dans L'Art, revue fondée par Louis-Xavier de Ricard, où il assure aussi la critique littéraire. La revue est interdite en 1864. Ricard et ses amis fondent alors le Parnasse contemporain, sous l'égide de l'éditeur Lemerre, dont le premier fascicule paraîtra en 1866. En attendant, Verlaine abandonne ses études et devient, après concours, employé de la ville de Paris. En 1865, son père meurt brutalement, et c'est un profond choc pour le jeune homme. Peut-être ce deuil n'est-il pas étranger au sentiment, exprimé à l'orée des Poèmes saturniens, d'appartenir à un groupe d'individus nés sous une mauvaise étoile, ceux qui ont "bonne part de malheurs et bonne part de bile". Le malheur est tout autant extérieur qu'intérieur, la "bile noire" autrement dit la mélancolie.
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Portrait de Verlaine, Etienne Carjat, vers 1870. |
Du mariage aux aventuresLa mort de sa cousine en 1867 vient raviver le deuil du père. Et Verlaine qui, sans doute, buvait déjà beaucoup, boit de plus en plus. Ivre, il devient violent et sa mère, avec laquelle il habite toujours, en fait les frais. Cet ethos de "poète saturnien", dont il fera bientôt le "poète maudit" : propension à la mélancolie, explosions de violence, goût du désastre (par certains aspects très romantique) un physique peu amène, tel du moins que son ami Lepelletier qui le connaît depuis l'enfance, le trace dans la biographie qu'il lui consacre et qui est publiée en 1907, Verlaine, pour l'heure n'en est qu'à son ébauche. Il faut dire qu'il est tombé amoureux d'une jeune fille de 15 ans (elle est née en 1853), rencontrée en 1868 : Mathilde Mauté de Fleurville, il lui fait la cour et la demande en mariage l'année suivante, en 1869, année où il publie son deuxième recueil de poèmes, Les Fêtes galantes. Durant les fiançaillles, le poète publie un nouveau recueil :
Le mariage a lieu le 11 août 1870. L'année est déjà chargée de malheurs, en juillet la France a déclaré la guerre à la Prusse et, le 1er septembre, Napoléon III capitule, il est destitué le 4 et la république proclamée, le 19 commence le siège de Paris. Verlaine s'est engagé dans la Garde nationale, ce qui se bornera à quelques tours de garde nocturne sur les remparts. |
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Lorsqu'éclate
la Commune de Paris,
la ville refusant la capituler devant les
Prussiens, Verlaine reste à son poste à la mairie. Il est alors chargé
du service de presse. Après la semaine sanglante, en mai, inquiet de
possibles représailles, Verlaine décide de partir, avec sa femme, dans la famille de
sa mère. Mathilde est enceinte. Lorsqu'ils reviennent, en septembre,
ils s'installent chez les parents de Mathilde. C'est alors qu'apparaît
Rimbaud. La situation du couple avait déjà cessé d'être idyllique,
Verlaine ayant repris ses beuveries, les disputes se multipliaient.
Tout va s'aggraver. Verlaine a abandonné ses fonctions à la mairie sans
en aviser personne. Lui et Rimbaud rôdent dans les cafés, fréquentent
les cercles de poètes (participent aux dîners des "vilains
bonshommes"), les scènes de ménage se multiplient. Même la naissance de
Georges, le 30 octobre, ne ramène pas exactement la paix. En janvier
1872, après une scène plus brutale, Mathilde quitte son mari et entame
une procédure en
séparation. Verlaine vit alors avec Rimbaud. Malgré une brève
réconciliation (Rimbaud est reparti pour Charleville), le couple se
sépare à nouveau ; en juillet, nouvelle tentative de réconciliation, et
c'est fini. Verlaine part pour Londres avec Rimbaud. La justice suivra
son cours, en octobre 1872, Mathilde obtient la garde de
l'enfant, en 1874, la séparation est prononcée. Lorsque le divorce est
rétabli, Mathilde entame la procédure et obtient le divorce en février
1885. Ce bref mariage va obséder Verlaine toute son existence si l'on
en juge d'après sa correspondance et il n'acceptera jamais l'idée qu'il a
été un mari épouvantable, blâmant son beau-père jusqu'à la fin de sa
vie pour avoir écarté sa femme de lui. En attendant, le séjour londonien des deux poètes dure un peu moins d'un an, et l'aventure se termine par la fuite de Verlaine, en juillet 73, puis ses remords et l'appel à Rimbaud qui le rejoint, et s'achève vraiment lorsque le premier, ivre, semble-t-il, titre deux coups de revolver sur son ami et le blesse au poignet. Résultat : deux ans de prison. Les deux hommes se reverront brièvement, à Stuttgart, en 1875. Pendant ce séjour en prison, Verlaine renoue avec la religion de son enfance et écrit un ensemble de textes qui s'intitule alors "Cellulairement" et qu'il utilisera pour divers recueils, plus tard. Alors qu'il est en prison, en 1874, paraît, à Sens (toujours à compte d'auteur), un nouveau recueil :
Lorsqu'il sort de prison, en janvier 1875 (bénéficiant d'une remise de peine), il décide de repartir en Angleterre. Il va y rester jusqu'en 1877, enseignant dans diverses institutions à Stickney, Boston, Bornemouth. Il revient régulièrement dans le nord de la France, pour les vacances, dans sa famille ou avec sa mère, à Arras. Lorsqu'il envisage son retour en 1877, il trouve du travail à Rethel. Il va y enseigner deux ans. C'est là qu'il va connaître Lucien Létinois qui est son élève. Le jeune homme a dix huit ans. Commence alors une autre phase de la vie de Verlaine. Il quitte le collège pour suivre Létinois (juillet 1879), ensemble ils vont en Angleterre, puis au retour il s'installe chez les parents du garçon, à Coulommes. En 1880, il achète aux Létinois, avec l'argent de sa mère, une ferme à Juniville. Il suit Létinois à Reims, lorsque celui-ci va faire son service militaire.
En 1882, il faut vendre la ferme qui engloutit plus d'argent qu'elle n'en rapporte. Les Létinois vont s'installer à Ivry et Verlaine revient à Paris et tente de se refaire une place dans un monde littéraire qui l'a, sinon oublié, en tous cas marginalisé, homosexualité, prison, alcoolisme, cela fait beaucoup même pour le monde des artistes. En novembre, il s'installe chez sa mère. Il va placer quelques articles au Réveil où son ami Edmond Lepelletier est rédacteur, articles qui seront réunis et publiés dans Les Mémoires d'un veuf (1886) dont la première édition est dédiée à Lepelletier. Il place quelques poèmes dont le fameux "Art poétique" dans Paris moderne (novembre 1882) et la série des Poètes maudits ( Tristan Corbière, Rimbaud, Mallarmé) publiée en plaquette en mars 1884. L'édition de 1888 y ajoute Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle Adam, et sa propre "biographie" sous le titre de "Pauvre Lélian", anagramme de Paul Verlaine. Ces années parisiennes sont aussi des années où il tente, vainement, de retrouver son poste à la mairie. L'année 1883 a été marquée de deux événements importants, d'abord la mort de Lucien Létinois, le 7 avril, qui ne résiste pas à une fièvre typhoïde ; ensuite, l'achat par sa mère, d'une propriété, le domaine de Malval, à Coulommes, qui appartenait aux Létinois, où, en septembre, ils s'installent, lui et sa mère. L'année suivante, elle fera don de la maison à son fils. En janvier 1885 paraît, chez Léon Vanier, un nouveau recueil dont l'achevé d'imprimer est de novembre 1884 :
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Verlaine au café Procope, dessin de Frederic-Auguste Cazals, 1894. |
Dix ans qui lui restent à vivreL'installation à Coulommes est loin d'apporter la paix à Verlaine qui fréquente de plus belle les cabarets et finit par vendre la maison et menacer si bien sa mère qu'il est arrêté, jugé, et condamné à un mois de prison (mars 1885). Verlaine retourne à Paris. Il est plutôt en mauvais état et souffre d'un genou (hydrarthrose). Son projet est malgré tout de parvenir à gagner sa vie en écrivant. Le 21 janvier 1886, sa mère meurt. De sa fortune, il ne reste plus guère.C'est alors que commence pour Verlaine une vie qui va se dérouler entre hôpitaux et hôtels garnis. Premier séjour à l'hôpital en juillet en raison de sa jambe, ensuite, pendant les dix ans qui lui restent à vivre ces aller-retours seront incessants. Il les racontera dans Mes Hôpitaux, publié par Vanier en 1891. Les soucis de santé se doublant de soucis pécuniaires. Verlaine court après l'argent et n'en trouve pas toujours malgré les bonnes volontés amicales qui s'associent pour lui fournir quelque viatique. Au printemps 1886, le poète fait la connaissance de Frederic-August Cazals. Le jeune peintre (il a 21 ans en 86) sera son ami jusqu'au bout, malgré une courte brouille en 1890, même s'il ne partage pas les sentiments passionnés que lui voue Verlaine. Bien sûr, lorsqu'il ne boit pas, Verlaine écrit, et publie même. Amour paraît en mars 1888 chez Léon Vanier. Le recueil, dédié à son fils, Georges Verlaine, par une phrase en tête du recueil et par le dernier poème, a été envisagé comme pendant à Sagesse, alors que le poète vivait à Stickney (1875-76) et son thème défini comme celui de la "Charité", de l'amour des humains à l'amour divin. Le recueil aboutit à une section intitulée "Lucien Létinois" qui est composée de 25 poèmes et se clot sur "Batignolles", trois quatrains évoquant le cimetière où sont enterrés ses parents et où il projette d'être enterré en attendant la résurrection Parallèlement, juin 1889, toujours chez Léon Vanier. Là encore, Verlaine utilise des poèmes qui remontent loin, comme les six poèmes des amies qui avaient été publiés sous le manteau, à Bruxelles, en 1867. Si Amour exaltait le sentiment, Parallèlement exalte la chair et le plaisir. |
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D'autres recueils suivront, Dédicaces (1890 avec une deuxième édition augmentée en 1894), Bonheur (1891), Chansons pour elle (1891), Liturgies intimes (1892), Elégies, Odes en son honneur (1893). Verlaine est, d'une certaine manière, un poète admiré. Huysmans, dans A rebours (1884), en a fait l'éloge
"[...] sa personnalité résidait surtout en ceci : qu'il avait su
exprimer de vagues et délicieuses confidences, à mi-voix, au
crépuscule. Seul, il avait pu laisser deviner certains au-delà
troublants d'âme, des chuchotements si bas de pensées, des aveux si
murmurés, si interrompus, que l'oreille qui les percevait demeurait
hésitante, coulant à l'âme des langueurs avivées par le mystère de ce
souffle plus deviné que senti." (chap. 14) Anatole France lui a consacré un de ses feuilletons de La Vie littéraire ("Paul Verlaine", 1891) dans Le Temps, et bâtit son poète Choulette, dans Le Lys rouge (1894), de bien des traits empruntés au Paul Verlaine des années 1890. Ce sont des années où toute une cour de jeunes poètes l'entoure. Il donne des conférences, en Hollande (1892), en Belgique (1893), à Londres (novembre 93). A la mort de Leconte de Lisle, il est élu "Prince des poètes", mais tout cela n'empêche ni la bohème, ni l'alcoolisme. Une manière de vivre qui n'améliore pas une santé déjà fort vacillante. Il meurt le 8 janvier 1896, il a 52 ans, chez son amie, Eugénie Krantz, qu'il a connue en 1891. "Il faisait un froid vif le jour
de ses obsèques ; le ciel était clair, le soleil brillait et la terre
était gelée" raconte Edmond Lepelletier.
Après sa mort, paraît encore Chair, regroupant quelques poèmes (la plaquette est fort mince) écrits entre 1893 et 1895, Invectives,
publié par l'éditeur sans qu'il soit sûr que le recueil ait été voulu
par le poète. Comme son titre l'indique, le livre relève de la veine
satirique, avec plus ou moins de bonheur.Il y a encore à mettre à son compte quelques oeuvres que l'on trouvera, c'est selon, érotiques ou obscènes : Femmes (première publication sous pseudonyme, à Bruxelles, 1891), Hombres (publication posthume en 1903. Le recueil date sans doute aussi de 1891). Verlaine a été reconnu comme leur maître par les jeunes symbolistes. Valéry lui a consacré deux brèves études rassemblées dans Variété ("Villon et Verlaine", conférence de 1937 et "Passage de Verlaine" d'abord intitulé "Autour de Verlaine" paru dans Le Gaulois en 1921) qui insistent toutes deux sur l'art consommé de Verlaine. En effet, plus la poésie de Verlaine semble facile, plus il faut être attentif à l'art, au sens de technique, plus que sophistiqué qui fait croire à l'émotion immédiate, juste notée, semble-t-il, surgie en toute spontanéité. La poésie de Verlaine a largement inspiré les musiciens (Debussy, Fauré, etc) mais aussi les compositeurs plus récents comme Charles Trenet, Léo Ferré, Goerges Brassens, ou Jacques Higelin. |
A explorer : le blog laporteouverte qui propose des documents sur Verlaine.
le livre de Cazals, Verlaine et ses portraits.
A lire : Paul Verlaine - Sa vie, son oeuvre,
Edmond Lepelletier, 1907, en n'oubliant pas ce que l'idéologie du temps
imposait des filtres par rapport à une vie qui était rien moins que
dans les normes.Paul Claudel, "L'irréductible" poème écrit pour Le Tombeau de Paul Verlaine, recueil d'hommages organisé par Charles Morice en 1910.
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