26 août 1885 : Jules Romains

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A propos de Jules Romains, ce site contient aussi
: 1. Une présentation de Knock (1923) - 2. Une présentation de Mort de quelqu'un (1911)







Jules Romains

Paul Émile Bécat (1885-1960), portrait de Jules Romains, 1922 - Huile sur toile

Poète, romancier, dramaturge, l'homme connu sous le nom de Jules Romains est né Louis-Henri-Jean Farigoule, dans une bourgade du Massif central, Saint-Julien Chapteuil (142 km au sud-est de Clermont-Ferrand). Mais c'est à Paris où son père est instituteur qu'il va passer son enfance (en grande partie à Montmartre), son adolescence et vivre une part importante de sa vie.
Une fois terminées ses études secondaires au lycée Condorcet (il y a, en rhétorique, comme professeur de philosophie, Léon Brunschwig), il entre à l'Ecole Normale où il obtient une licence es sciences et l'agrégation de philosophie en 1909. Il devient donc professeur et sa carrière le conduit à Brest (1909-1910), Laon (1910-1914), Paris, Nice (1917-1919). Il enseigne jusqu'en 1919, avec l'intervalle de la Grande Guerre où réformé, il est versé dans le service auxiliaire ; il dirige le service des Allocations aux familles des mobilisés, à la préfecture de la Seine (cf. Olivier Rony).

Philosophe et poète

Mais la vraie vie de Jules Romains, c'est l'écriture, dès le lycée, où le jeune homme s'y essaie (y compris en latin avec une Historia Gallorum), dramatique aussi bien que poétique, cette dernière fortement influencée par Baudelaire.
En 1902, il a 17 ans, il publie une nouvelle dans la Revue jeune qu'il signe Jules Romains. Mais sa voie, il va la trouver à la suite d'une expérience très particulière que ses exégètes ont souvent racontée (à sa suite, d'ailleurs) et que raconte, à son tour, Jean d'Ormesson, lors de son discours de réception à l'Académie française où il va occuper le fauteuil n° 12 laissé vacant par la mort de l'écrivain dont il fait l'éloge, le 6 juin 1974 :
"Le jeune Louis Farigoule, qui rentrait chez son père, instituteur à Montmartre, eut une illumination : il éprouva, en une véritable intuition d’ordre mystique dont il ne reste aucune trace écrite, mais que ses confidences ont maintes fois évoquée, un sentiment de fraternité et de totalité. Entre les boutiques et les réverbères de la rue d’Amsterdam, il eut subitement la révélation du monde moderne, de la foule, de la grande ville, de la multiplicité des êtres et de leur unité. Il faisait, dans la rue et parmi les hommes, sa première communion unanime, rationnelle et mystique."
L'événément s'est produit à Paris, en octobre 1903, dans la rue d'Amsterdam, et Jules Romains se trouvait en compagnie de son ami Georges Chennevière (pseudonyme de Léon Debille). Les recueils poétiques qui suivent cette expérience, marquante pour l'écrivain, en portent tous la trace, à commencer par L'Ame des hommes, mince plaquette de trente pages, publiée en 1904, sous le nom, qui est maintenant le sien pour toute sa vie, de Jules Romains.
Toujours avec Chennevière, il se lie d'amitié avec le groupe dit de l'Abbaye (Vildrac, Duhamel, et les autres, et que fréquente aussi Marinetti, doctrinaire à venir du "futurisme") qui, pour ne pas partager totalement sa vision du monde, n'en imprime pas moins son deuxième recueil, La Vie unanime, en 1908, et dont nombre des membres deviennent des amis proches.



L'unanimisme

La formation de philosophe de Jules Romains explique, sans doute, la nécessité qu'il éprouve de construire une manière de théorie à partir de cette expérience sensible, qui fut, pour lui, comme un "révélateur", la sensation et le sentiment de se déborder, de participer à une vie plus large que la sienne propre en tant qu'individu, ce sentiment d'appartenance qu'a fait naître en lui la foule dans la rue d'Amsterdam. Ainsi naît l'unanimisme (le mot est un néologisme, et sa finale en —isme traduit bien la volonté d'en faire une école de pensée, une doctrine), d'abord de ses discussions avec Chennevière, ensuite de son oeuvre (poésie, essais, romans, théâtre) qui va en explorer les manifestations.



Ils avaient pensé, notamment, à communisme, qui pouvait évoquer la fusion des âmes individuelles en une âme totale, mais l'écartèrent comme étant restreint au sens politique. Enfin, au début de 1905, un jour que leur flânerie les faisait déambuler sous le long viaduc du boulevard de la Chapelle, Romains suggéra unanimisme, que Chennevière accepta. 

André Cuisenier et René Maublanc, Introduction aux Oeuvres poétiques de Georges Chennevière, Gallimard, 1929. Cité par Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes: vingt ans de poésie française, 1895-1914, 1960







August Macke

August Macke (1887-1914), Gens qui se rencontrent, 1914, aquarelle


Mais l'expérience sensible ne s'est peut-être produite que d'avoir été préparée par une imprégnation poétique. Celle de Baudelaire qui, le premier, fait de la ville le sujet plein d'une poétique, aussi bien dans Les Fleurs du mal que dans Le Spleen de Paris ; celle de Verhaeren (1855-1916) qui développe une poésie de la modernité (grandes villes, régions industrielles, travail humain) et à qui l'on doit l'expression "villes tentaculaires", titre de l'un de ses recueils (1895). Et quoiqu'il s'en soit toujours défendu, il n'est pas sûr que le livre de Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895) soit totalement étranger à sa vision d'un collectif englobant et dépassant les individus, ayant sa propre logique et sa propre "pensée", la différence, et elle est certes de taille, c'est que là où la foule de Le Bon inquiète, les groupes (plutôt que les foules) sont chez Jules Romains porteurs de valeurs. Sans oublier Walt Whitman. Les quatre années de la Grande Guerre, la manipulation, le rôle des propagandes vont quelque peu modifier l'optimisme premier du poète et le conduire à nuancer, à creuser aussi le rapport entre masses et individus, comme en témoignent tout autant son théâtre que les 27 volumes des Hommes de bonne volonté ou les oeuvres postérieures à la Seconde guerre mondiale.
En attendant, pour exprimer ce qui lui paraît essentiel, cette vie jusqu'alors ignorée, ou du moins non prise en compte, Romains s'en remet d'abord à la poésie avant d'aborder le roman, d'abord dans de courts récits, Le Bourg régénéré (1906) ou Mort de quelqu'un (1911), voire Les Copains (1913), entre autres.  On en retrouve  les marques, mais aussi les inquiétudes, dans son oeuvre maîtresse, les 27 volumes des Hommes de bonne volonté, publiés par Flammarion de 1932 à 1946 à l'exception des volumes XIX à XXIV publiés à New-York en 1941, où il raconte, à travers de multiples trajectoires individuelles, la société de son temps, durant 25 ans, du 6 octobre 1908 au 7 octobre 1933.
Car il ne suffisait pas d'avoir senti cette harmonie entre l'individu et le collectif, il fallait trouver une manière de la faire percevoir aux autres, d'où une quête de techniques d'écriture propres à la transmettre, ce que d'aucuns ont qualifié de "simultanéisme", consistant à entremêler, le plus souvent, diverses trajectoires individuelles et l'évocation des réactions collectives, pour lesquelles le roman s'avérait plus propice que le vers, par ses dimensions, mais aussi parce qu'il pouvait absorber la poésie. Et bien des pages de l'oeuvre de Jules Romains sont souvent proches de poèmes en prose, en particulier ses descriptions des villes, des rues, de la vie urbaine (Paris, le plus souvent), qui n'ont rien à envier à d'autres "piétons de Paris", comme Léon-Paul Fargue, Jean Follain, ou bien plus tard Jacques Réda.
Cette vision du monde n'a pas été sans effet, en son temps, et nombre d'écrivains, y compris à l'étranger, en particulier aux USA, ont subi son influence, à commencer par Duhamel qui était pourtant un des fondateurs du groupe de l'Abbaye, plutôt concerné par l'individu que par les "masses", comme on dira plus tard. Même un poète comme Paul Eluard a été sensible à cette perception de la ville et de la société, ce dont témoignent ses premiers poèmes, et plus profondément et souterrainement, le sentiment de solidarité qui irrigue toute sa poésie.



Interlude théâtral

Peu après la fin de la guerre, en 1919, Jules Romains qui s'est marié en 1912, quitte l'enseignement, pour se consacrer à son oeuvre. Il s'installe avec son épouse à Hyères, petite ville de la Méditerranée, à 12 km à l'est de Toulon. Même si on le voit fréquemment à Paris, c'est là sa résidence principale jusqu'en 1928, date à laquelle il s'installe à Saint Avertin, sur les bords de la Loire, non loin de Tours. Il y a acheté une maison, connue sous le nom de Grandcour, à la fois maison de vacances et refuge contre l'agitation parisienne. Il la conservera toute sa vie.
En 1920, il publie, sous son nom d'état-civil, Farigoule, un petit texte, La vision extra-rétinienne et le sens paroptique, et en 1923, rédige avec son ami Chennevière, un Petit traité de versification, témoignant que la poésie reste au coeur de sa vie d'écrivain.
C'est durant la décennie 1920 que Jules Romains devient célèbre, non par ses poésies ou ses romans, mais grâce au théâtre. Il écrit huit pièces entre 1920 et 1929, dont une en collaboration avec Stefan Zweig, Volpone (1928), sur un sujet emprunté à Ben Jonson. C'est Jacques Copeau qui monte la première pièce de Jules Romains, alors que Jouvet fait encore partie de sa troupe. Mais Louis Jouvet le quitte en 1922 pour la Comédie des Champs-Elysées, où il monte la deuxième pièce de l'écrivain, Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche (1923), puis Knock ou le triomphe de la médecine, dont le succès est tel que la petite histoire raconte que lorsque Jouvet avait des difficultés de trésorerie, il suffisait de la reprendre pour les résoudre, momentanément du moins. En 1933, Jouvet, avec Roger Goupillières, en fera un film, Le Docteur Knock. Jules Romains devient l'écrivain à la mode. Son humour (déjà si visible dans Les Copains de 1913), son sens de la farce cruelle font mouche au théâtre. Entre 1931 et 1939, il écrit essentiellement pour le théâtre. Sa dernière pièce date de 1939, Grâce encore pour la terre !, et elle ne sera jouée qu'en 1946. Mais durant une décennie (1920-1931), son nom a rempli les théâtres, il est traduit et joué partout. Son biographe, Olivier Rony, assure qu'il "est alors considéré comme l'un des trois plus grands auteurs dramatiques vivants, les deux autres étant Pirandello et Bernard Shaw".  

affiche pour Knock

Affiche de la pièce, dessin de Bernard Becan, 1936






Jules Romains

Jules Romains et Lise Dreyfus, lors de leur mariage, le 18 décembre 1936 (un des témoins de l'écrivain est Paul Valéry)

L'homme de paix

Il est probable que s'il laisse de côté le théâtre, c'est parce qu'il est maintenant accaparé par la rédaction des Hommes de bonne volonté, dont les quatre premiers volumes ont été publiés en 1932 (deux au printemps, deux à l'automne). Le succès est immédiat. Les autres suivront, à raison de deux par an. L'ensemble comprendra 27 volumes dont la publication s'achèvera en 1946.
L'écrivain durant ces années-là voyage beaucoup, ce qui ne l'empêche pas d'écrire nombre d'essais, et de publier de temps à autre, un recueil poétique.
En 1936, il divorce et se remarie avec Lise Dreyfus dont il a fait la connaissance en 1933. En 1936, il est nommé président du Pen Club international (association de gens du livre, fondée en 1921, pour promouvoir la liberté d'expression), présidence assumée jusqu'en 1941.
Toutes ces années sont aussi d'intenses activités en faveur de la paix. Pacifiste convaincu, "européen" avant l'heure, dans le droit fil de nombre d'hommes du XIXe siècle, Victor Hugo tout premier, il ne voit de solution à la guerre, cette horreur sans nom, que la construction d'une Europe fraternelle, ce qu'il disait déjà dès les années 1910, et encore en pleine guerre, en 1916, dans le poème Europe. Ces espoirs disparaissent avec l'invasion et l'occupation de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne en 1939. A partir de ce moment-là, il se fait le propagandiste d'un rassemblement autour des démocraties (France, Angleterre) pour la défense des libertés.
Lui et sa femme s'exilent en 1940 ; passant par l'Espagne et le Portugal, ils gagnent les USA (New-York) et passeront les années de guerre à Mexico. L'écrivain n'y reste pas inactif. Outre l'oeuvre qu'il poursuit, il participe aux activités de propagande en faveur de la France libre, donne des conférences et des cours de littérature. Il participe à la création de l'Institut français de Mexico en 1942.
La guerre terminée, Jules Romains est élu à l'Académie française (où il prononce son discours de réception le 7 novembre 1946). Sa vie reprend son cours, entre écriture, voyages, conférences. A partir  de juin 1953 et jusqu'en juin 1971, il publie des chroniques hebdomadaires dans le journal L'Aurore, dont le titre, s'il rappelle celui dans lequel Zola publia son fameux "J'accuse", ne recouvre pas les mêmes prises de position politiques. Ces chroniques sont rassemblées, plus tard, en volumes sous le titre de Lettres à un ami (première série en 1964 et deuxième en 1965).
Il se prononce vigoureusement en faveur de l'Algérie française, ce qui apparaît à beaucoup comme une sorte de contradiction avec l'homme qu'il avait été entre les deux guerres, et s'oppose à la politique du Général De Gaulle, président de la République depuis 1958.


Il s'éteint en 1972, il souffrait entre autres, depuis quelques années, de la maladie de Parkinson, et hormis Knock, toujours joué, tombe pratiquement dans l'oubli, sauf à donner son nom à quantité de collèges en France. Il faut croire que son oeuvre faisait un réservoir de dictées à défaut d'autre chose. Il est vrai que les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale se sont trouvées d'autres maîtres à penser. Pourtant, son oeuvre ne mérite pas cette indifférence.
Les idées sur lesquelles elle est construite lui sont parfois défavorables en la desséchant, mais il n'en reste pas moins qu'en elle se déploie aussi une sensibilité poétique qui la sauve par la beauté de l'évocation lyrique (paysages urbains ou champêtres), la célébration de l'amitié, qui a joué un si grand rôle dans sa vie, par l'attention aux détails du quotidien, celui des "petites gens" chers à Simenon, qui font très vite et très heureusement "tableaux", par un humour, souvent noir, qui en déchire le caractère systématique en le mettant à distance, par l'étonnante modernité de son approche de la sexualité, tant masculine que féminine. Redécouvrir Jules Romains donne bien du plaisir.




A lire
: un article intéressant de Francis Combes, poète lui même, sur l'unanimisme.
un article (André Beaunier, 1924, paru dans la Revue des Deux Mondes) assez moqueur sur l'unanimisme et le goût de la théorisation de Jules Romains, mais fort instructif (et élogieux) sur l'oeuvre.
une étude sociologique, "Les déplacés. Travail sur soi et ascension sociale : la promotion littéraire de Jules Romains" (1996) de  Dominique Memmi, sur le site Persée.
A découvrir : la bibliographie complète des oeuvres de Jules Romains, sur le site de l'Académie française.
Pour s'amuser : une résurgence surprenante et poétique de la vision unanimiste dans le pré-générique du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, film de Jean-Pierre Jeunet, 2001.



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