1er avril 1697 : Antoine-François Prévost, dit l'Abbé Prévost

coquillage


     La vie d'Antoine-François Prévost commence à Hesdin, une petite ville du nord de la France, depuis peu rattachée à la couronne (1659). Il est le deuxième enfant de Liévin Prévost, procureur et conseiller du roi, et de son épouse qui auront encore trois enfants : ils sont quatre garçons et une fille, Thérèse-Claire (née en 1698), survivants des dix enfants nés dans la famille. Il semble que le père l'ait depuis toujours destiné à la prêtrise, pratique traditionnelle dans la famille Prévost, comme l'explique Jean Sgard, le biographe d'Antoine-François. En 1711, la mère et la soeur décèdent toutes deux. Les tribulations commencent alors, peut-être d'ailleurs sans lien avec ces décès. Il a 14 ans. Son père le confie à un collège jésuite et, entre 1712 et 1721, on ne sait pas très bien ce qu'il fait. Il se serait engagé à plusieurs reprises dans l'armée, il aurait oscillé entre vie militaire et vie monacale, mais en tout état de cause il prononce ses voeux, en 1721,  chez les  bénédictins de Jumièges qui sont rattachés à l'austère congrégation de Saint-Maur. Il mène alors la vie d'un moine lettré qui écrit déjà beaucoup, et passe par diverses abbayes avant d'être envoyé à Paris. Les travaux érudits des Bénédictins auxquels il participe ne le contentent que peu et il se met à écrire les Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, dont les deux premiers volumes sont publiés pendant l'été 1728. Cette année-là, il concourt aussi à un prix de l'Académie avec une Ode sur saint François Xavier, apôtre des Indes, publiée en mai 1728 dans Le Mercure de France.
Entre temps, en 1726, il a été ordonné prêtre, d'où le nom sous lequel nous le connaissons, l'abbé Prévost.
En octobre, après avoir écrit une lettre à son supérieur, il se défroque et fuit à Amiens. Une lettre de cachet est lancée contre lui, ce qui nous vaut ce signalement établi par les autorités : ""homme d'une taille médiocre [à entendre "moyenne"], blond, yeux bleus et bien fendus, teint vermeil, visage plein", il fait ainsi penser à son portrait supposé.




L'abbé Prévost




Portrait présumé de l'Abbé Prévost (dessin) attribué à Gabriel Saint Aubin.
Il ressemble beaucoup à un autre portrait attribué au peintre Jacques André Aved.

Jean Sgard le commente ainsi :
"un jeune abbé d'une vingtaine d'années saisi en demi-profil, droit et en buste, le visage rond, un peu poupin, prend une pose avantageuse, la joue droite appuyée sur la main, l'autre main glissée dans le gilet [...] ; il a rejeté sur l'épaule un manteau comme s'il venait d'entrer ; les manchettes de dentelle, très élégantes, signalent l'abbé de qualité [à entendre : qui appartient à l'aristocratie, ce qui n'est pas exactement le cas de Prévost]. Le regard est assuré et perspicace. Tel devait être le jeune Prévost en 1734, mais on peut douter qu'il s'agisse de notre abbé." (Jean Sgard, Vie de Prévost). Si l'on en peut douter c'est que l'attribution à Gabriel Saint Aubin, né en 1724, comme la jeunesse visible du portrait (Prévost a 20 ans en 1717, et en 1734, il a 37 ans ; au siècle des Lumières, ce n'est pas ce qu'on appelle la jeunesse) rendent la rencontre impossible.
Néanmoins, il n'est pas dénué de ressemblance avec le portrait que dessine de lui Schmidt pour être placé en tête de l'édition de L'Histoire générale des voyages en 1745. Et on a plaisir à imaginer Prévost sous ces traits-là.



     Que fait Prévost ? Il part en Angleterre. C'est la ressource commune. Voltaire aussi, refusant d'être embastillé une seconde fois, s'y est réfugié. Il y est depuis deux ans quand arrive Prévost, qui ne semble pourtant pas l'avoir connu alors. Il a de solides recommandations puisqu'il y devient le précepteur du fils d'un homme important, John Eyles. Mais, en 1730, il est forcé de quitter Londres, monsieur Eyles n'a pas apprécié la petite histoire de coeur entre sa fille et le jeune précepteur. Il se réfugie en Hollande où il succombera, en 1731, aux charmes coûteux d'une certaine Lenki Eckhardt. Couvert de dettes, il repart pour l'Angleterre, en 1733, où il est incarcéré, à la fin de l'année, pour faux et usage de faux. Notre prêtre défroqué a tout de l'aventurier. Cela ne l'empêche pas d'écrire, et d'écrire abondamment. Les tomes 3 et 4 de ses Mémoires et aventures d'un homme de qualité... ont été publiés fin 1728 ; les tomes 5, 6 et 7 le sont en Hollande, en 1731. Ce dernier volume va avoir une fortune sans commune mesure avec le reste de l'oeuvre puisqu'il contient L'Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, plus connu sous de titre de Manon Lescaut.
Mais en même temps, il a commencé à rédiger Le Philosophe anglais ou les mémoires de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell, le plus souvent abrégé en Cleveland, dont les deux premiers tomes paraissent en 1731, en Hollande. Il faut se rappeler que la Hollande est alors l'imprimerie de l'Europe, réelle car il s'y imprime à la fois ce qui est interdit ailleurs et les contrefaçons des oeuvres à succès, ou supposée lorsqu'il faut tromper la vigilance des censeurs, français, par exemple. Les derniers volumes en seront publiés en 1738-39.
En 1733, à son retour en Angleterre, après que les démélés avec la justice se sont apaisés, le plaignant ayant sans doute retiré sa plainte, Prévost lance un journal, Le Pour et le Contre, publié à Paris chez Didot, dont il assure la publication jusqu'en 1740. Son objectif est de mieux faire connaître l'Angleterre aux Français. Ce travail de "passeur", il le mène toute sa vie, ayant déjà commencé par louer l'Angleterre dans les Mémoires d'un homme de qualité..., puis à traduire, en Hollande, des ouvrages anglais, comme, plus tard en France, il continuera en traduisant, en particulier, les romans de Richardson, aussi bien que des écrits de Hume. Il rédigera aussi un dictionnaire.
En 1734, il rentre clandestinement en France et finit par obtenir son pardon du Pape. Il peut alors réintégrer une communauté religieuse moins sévère que les bénédictins de Saint-Maur. Il devient en 1736 l'aumônier du Prince de Conti. Il fréquente les salons où il semble être un homme à la mode ; mode qu'il doit au succès sulfureux de Manon Lescaut, et à la mauvaise habitude qu'avaient déjà certains lecteurs du XVIIIe siècle de confondre personnages et auteurs.



Canaletto, La Tamise et Londres depuis Richmond House

Canaletto (1697-1768), La Tamise et Londres depuis Richmond House, 1747, huile sur toile. Le peintre vénitien séjourne à Londres entre 1746 et 1756.

"Je n'ai rien vu dans tous mes voyages qui approche de la beauté de ce spectacle [...] enfin l'on ne peut ouvrir les yeux dans cette heureuse île sans prendre une idée de l'abondance qui y règne, et du bonheur de ses habitants." écrit le narrateur des Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, 1728-1731



Et Prévost écrit. Il semble que c'est alors qu'il se fait appeler Prévost d'Exiles, peut-être un jeu de mots, peut-être tout simplement une façon de rehausser son statut social en usant d'un nom double qui peut donner une impression de noblesse ; d'autres que lui le faisaient, un certain de Voltaire, par exemple, et Molière s'en moquait déjà dans le premier acte de L'Ecole des femmes (1662), c'est dire que la pratique n'est pas neuve.  Il publie,  en 1735, la première partie de son troisième gros roman Le Doyen de Killerine dont la publication s'achèvera en 1740, en Hollande. C'est aussi en 1740 qu'il publie un autre petit roman, Histoire d'une grecque moderne, injustement oublié. En 1741 et 1742, menacé d'arrestation pour avoir collaboré à une feuille clandestine, Prévost s'éloigne de la France, passe à Bruxelles, où il se trouve un protecteur qu'il suit en Allemagne. De retour en France, il traduit, écrit, publie, en particulier les Mémoires d'un honnête homme (en Hollande, en 1745). C'est aussi en 1745 que, sollicité par le chancelier d'Aguesseau, il entreprend une monumentale Histoire des voyages. Il s'agit d'une traduction de l'anglais pour les sept premiers volumes, mais il rédige, à lui seul, les huit suivants. La publication s'étend de 1746 (tomes I et II) à 1759 (tome XV). Ensuite d'autres prendront le relais qui porteront le total à vingt volumes.
En 1754, le pape l'a pourvu d'un bénéfice (le prieuré de Gesne) dans le diocèse du Mans ce qui lui assure une petite rente. Tout en continuant à traduire et à publier, il se retire de la vie mondaine et passe les dernières années de sa vie à Saint Firmin et il meurt, là, au cours d'une de ses promenades, le 25 novembre 1763, Il avait 66 ans. Les bénédictins du prieuré de Saint-Nicolas feront ensevelir son corps dans l'église, aujourd'hui disparue. Une plaque  gravée a été apposée sur le lieu supposé du décès : elle met déjà en évidence Manon Lescaut, seul titre des "nombreux ouvrages" qu'on lui reconnaît.

Pourtant, sans rien retirer à cette oeuvre, on devrait saluer, en Prévost, l'écrivain qui a apporté bien des nouveautés à la littérature française, à travers son écriture d'abord, ensuite par son intense travail de traducteur et de journaliste qui a rendu accessible la littérature et la pensée anglaise, ce qui n'est pas rien quand on mesure l'importance que les modes de vie et de pensée (en particulier la tolérance religieuse et la liberté du commerce) vont avoir auprès des philosophes ; tout le monde, en effet, n'était pas Voltaire ou Diderot, pour accéder aux oeuvres dans le texte. S'il n'appartient pas vraiment au Parti des Philosophes, comme on disait, il a du moins fréquenté Rousseau, chez un ami commun, comme celui-ci, qui l'a lu toute sa vie avec passion et admiration, le rappelle dans Les Confessions, livre VIII: "l'Abbé Prévost, homme très aimable et très simple, dont le coeur vivifiait ses écrits, dignes de l'immortalité, et qui n'avait rien dans l'humeur ni dans sa société du sombre coloris qu'il donnait à ses Ouvrages..."





A lire
: la notice que Jean Sgard consacre à Prévost  dans le Dictionnaire des journalistes.
"Les Aventures de l'abbé Prévost", dans Le Génie Latin d'Anatole France, 1913. Si la biographie est quelque peu fantaisiste (Elle s'appuie beaucoup sur un petit texte publié en 1810 par Pierre Bernard-d'Héry, qui colporte entre autres, l'anecdote digne d'un roman gothique, de la mort produite par l'autopsie), la malice et l'humour de France restituent un Prévost si vivant que le lecteur a envie de le rencontrer.



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