20 juin 1786 : Marceline
Desbordes-Valmore
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Il faut faire de la vie comme on coud
point à point.
cité par Sainte Beuve, Madame Desbordes-Valmore, sa vie et sa
correspondance, Michel Lévy, 1870
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Les chemins de la tourmenteLes femmes écrivains sont bien souvent déconsidérées et Marceline Desbordes-Valmore a plus qu'une autre été maltraitée par l'histoire littéraire qui l'a, soit effacée, soit renvoyée à un lyrisme bétifiant. Gotlib, en 1974, en jouait les clichés dans "Un peu de poésie que diable !". Or un poète saluée en son temps par Hugo, Lamartine, Dumas, puis par Baudelaire, par Verlaine qui la classait dans les" poètes absolus" et dont il affirme l'avoir lue parce que Rimbaud l'y incitait, et plus près de notre temps par Aragon ou Yves Bonnefoy qui procure l'édition de la collection Poésie (Gallimard, 1983), ne peut être à ce point négligeable. Et de fait, elle ne l'est pas. Encore faut-il se donner la peine d'y aller voir.Dans le poème liminaire, "Une lettre de femme", des Poésies inédites, publiées en 1860, elle écrit :
Marceline Félicité Josèphe Desbordes est née à Douai, quatrième enfant de sa famille. Son père, Félix, est peintre d'armoiries, de voitures, d'enseignes et d'ornements d'église. Un artisanat qui ne rend pas riche mais qui assure à sa famille un relatif bien être. Cela ne va pas durer. Les années de la Révolution avec leurs mutations vont détruire ce petit bien être par manque de travail : plus de nobles, plus d'armoiries, plus de voitures à peindre. La misère s'installe. En 1799, Catherine Desbordes, la mère, décide d'aller en Guadeloupe demander de l'aide à un cousin riche. Mais payer un traversée suppose avoir de l'argent. Comment faire ? Marceline a 15 ans, sa mère l'emmène, elle va jouer la comédie. Vie de saltimbanque qui se prolonge sur deux ans, de ville en ville, jusqu'à ce que soit rassemblé le prix de leur passage. Elles embarquent à Bordeaux, en 1801. |
timbre-poste commémoratif édité par les PTT le 20 juin 1959. La gravure semble illustrer ces mots de Lucien Descaves qui écrivit sa biographie en 1910 : "Notre-Dame des Pleurs, patronne des coeurs blessés d'amour, auxiliaire des pauvres et des affligés." |
Lorsque la mère et
la fille
arrivent à Pointe-à-Pitre, elles tombent en pleine révolte (contre le
rétablissement de l'esclavage décidé par le premier consul, Napoléon
Bonaparte). Le cousin est mort, sa veuve s'est enfuie. La fièvre jaune
fait des ravages et Catherine Desbordes en meurt, elle a 41 ans.
Marceline a 16 ans, elle est seule et sans le sou. Elle finit, grâce à
la générosité d'un certain nombre de gens, par trouver un passage pour
la
France où elle débarque à Dunkerque. Une vie d'actriceLa vie n'est pas devenue plus facile et elle trouve un engagement au théâtre de Douai. Il s'agit non seulement de vivre mais de venir en aide à son père, son frère et ses deux soeurs. Après Douai, c'est Rouen ; elle est recommandée à Grétry qui l'a fait engager par l'Opéra-Comique de Paris (1804-1806). Elle semble avoir eu une liaison avec le médecin de l'Opéra-Comique, Audibert. En 1806-1807, elle est au théâtre de la Monnaie à Bruxelles. De retour à Paris, elle loge chez son oncle Constant Desbordes, peintre. Elle se souviendra de cette époque pour son premier roman, L'Atelier d'un peintre, publié en 1833.Son premier poème, "Le billet", est publié en 1807. C'est pendant ce séjour à Paris qu'elle rencontre Henri de Latouche, homme de lettres et journaliste, le mystérieux Olivier de ses poèmes. Liaison compliquée avec ruptures, retours, passion, amitié. Henri de Latouche, selon le témoignage de ses contemporains n'était pas un homme facile. Le plus clair de l'histoire, c'est que lors de leur première rupture, Marceline est enceinte. Elle accouche d'un fils en 1810. Elle revient en 1813 au théâtre de l'Odéon, renoue avec Latouche, pour être quittée de nouveau en 1815. Elle repart à Bruxelles, au théâtre de La Monnaie. C'est à Bruxelles que le petit garçon meurt de maladie en 1816. En 1817, elle est demandée en mariage par un comédien du théâtre, François Prosper Lanchantin dit Valmore. Le jeune homme (il a 25 ans) est séduisant et amoureux, elle accepte. Le mariage a lieu en septembre 1817, et la correspondance des deux époux, souvent séparés au cours de leur vie en raison des engagements de Prosper, prouve leur amour réciproque, même si, sans doute, Marceline n'a pas toujours résisté à son premier amour. En 1819, paraît un premier recueil de poèmes, Elégies, Marie (une nouvelle) et Romances. Un enfant, Hyppolite, naît en 1820. La vie du poète est rien moins que facile. Les engagements théâtraux les promènent de ville en ville. il faut jouer, assurer la vie quotidienne avec de bien maigres cachets, s'occuper d'un enfant. Ecrire quand on peut... En 1821, ils sont engagés à Lyon,où va naître Marceline-Judith-Hyacinte, plus tard surnommée Ondine. La fille très aimée de Marceline va mourir toute jeune, à 32 ans, en 1853, de la maladie la plus répandue alors, la phtisie. C'est Ondine qui sera à l'origine de la rupture définitive avec Latouche, en 1839, Marceline persuadée qu'il voulait séduire la jeune fille, lui persuadé qu'elle était sa fille. C'est aussi en 1821 qu'elle publie un recueil de nouvelles, Les Veillées des Antilles. |
page de titre du premier recueil du poète, paru en 1819. |
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Portrait par Michel Martin Drölling (1789-1851), date inconnue mais en tenant compte de la coiffure et de la robe, il doit dater des années 1810, Musée de Douai. |
Poète et femmeEn 1823, alors que Valmore est engagé à Bordeaux. Elle accompagne son mari et sa seconde fille, Blanche-Inès, naît en 1825, dans cette ville. Marceline décide d'abandonner le théâtre et d'écrire.Ses poèmes, depuis 1819, sont publiés régulièrement. Elle est saluée par tous ceux qui vont devenir la génération romantique. Et de fait, avec ses Elégies, elle a ouvert une voie nouvelle à la poésie. A l'encontre de ces jeunes gens qui voient en elle la poésie même, elle n'a bénéficié d'aucune instruction classique n'ayant pas dépassé le stade de l'école primaire, mais elle a un sens aigu du rythme et si elle est encore prisonnière, pour partie, d'une rhétorique en voie de dépassement, elle a aussi des élans et une authenticité qu'ils admirent et applaudissent. Ses amitiés sont ferventes et débordent le monde du théâtre. Elle reste toute sa vie très attachée à Mademoiselle Mars, fréquente le salon de Madame Récamier qui sera toujours une amie fidèle et attentive. N'ayant pu lui faire accepter une pension de l'Académie française, elle s'entremet pour que les services royaux s'en chargent. En 1830, ses poésies sont publiées en trois volumes. La vie errante au gré des contrats de Prosper continue ; ils sont à Lyon en 1831, lors de la première révolte des Canuts. Marceline écrit et publie L'Album du jeune âge. Puis en 1833, Les Pleurs, L'Atelier d'un peintre. En 1834, L'Atelier des petits enfants. De 1834 à 1837, la famille est à Lyon et Marceline va assister, désespérée, aux nouvelles émeutes et à leur répression, en 1834. La femme se penche sur les souffrances, le poète explose de douleur et de colère dans des textes bouleversants, dont celui-ci qu'aucun journal, aucune revue n'accepta de publier, recueilli dans Pauvres fleurs, comme les autres poèmes écrits alors, en 1839 :
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En 1837, la
famille est de retour à Paris. La vie quotidienne est toujours aussi
précaire ; dans ses lettres, Marceline soupire souvent (elle le fera,
hélas, toute sa vie) de devoir continûment déménager, d'habiter
toujours dans les hauteurs. Et, comme les lecteurs de La
Vie devant soi le savent, habiter "un sixième à pied" est la
première des souffrances qu'entraîne la pauvreté, circonstance
qu'aggrave l'âge. Mais les greniers, réels ou symboliques, n'empêchent
pas le poète d'être entourée. Par exemple, en 1837, se noue une solide
amitié avec Sainte-Beuve, étendue à toute la famille. Les années qui suivent sont difficiles. Prosper a de plus en plus de mal à trouver des engagements. Marceline a beau beaucoup écrire et se démener avec une énergie qui dément l'impression de faiblesse et de fragilité que transmettent certains de ses poèmes, leur situation n'a rien d'enviable. Bouquets et prières est publié en 1843. Mais malgré l'intervention de ses amis, et leur fidèle soutien, les éditeurs ne s'intéressent que de plus en plus difficilement à ses oeuvres poétiques ; elle fournit donc de la littérature pour les enfants, des romans et des nouvelles. La littérature est devenue un marché comme le montrait déjà Balzac dans Illusions perdues (1837). La Révolution de 1848, qu'elle applaudit, lui soustrait sa petite pension. Le deuil s'est aussi installé dans sa vie avec la mort d'Inès, 20 ans, les inquiétudes que la santé d'Ondine provoque, les difficultés matérielles et psychologiques que produit l'inactivité de Prosper. Les dix années qui lui restent à vivre ne seront pas plus faciles, malgré le petit bonheur du mariage d'Ondine en 1851. La jeune femme n'en profitera guère, après la mort de son bébé, quatre mois après sa naissance, elle s'éteint à son tour, en 1853. Marceline n'écrit plus guère de poèmes et ils restent, de toute façon inédits. Ils ne seront publiés qu'après sa mort (1859), en 1860, sous le titre Poésies inédites, par les soins d'un admirateur suisse, Gustave Revilliod à partir du recueil qu'elle avait préparé durant les deux dernières années de sa vie où elle ne pouvait plus quitter son lit. On peut à bon droit, reprendre pour elle les mots que Blondin appliquait à Baudelaire : "Voilà donc ce que la vie a fait de Baudelaire.", puis on ouvre l'étroit recueil des Fleurs du mal, on ajoute : "Et voici ce que Baudelaire a fait de sa vie." La vie n'a pas épargné Marceline Desbordes-Valmore, mais elle en a fait de la lumière. Empruntons le mot de la fin à Baudelaire qui la louait le 1er juillet 1861, dans la Revue fantaisiste :
Et glissons une rose en souvenir de celles, si odorantes, de Saadi :
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A explorer : un site consacré à sa correspondance, riche d'informations. A lire : les articles que lui consacre en hommage Sainte Beuve, réunis dans Marceline Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance, Michel Lévy frères, 1870, p. 134 et suivantes. Un article de Sainte-Beuve
dans la Revue des deux Mondes, août 1833 A écouter : Julien Clair chanter "Les séparés" qu'il a mis en musique (en altérant parfois le texte).sur le blog de Gallica, "Lire Marceline Desbordes-Valmore" (agrégation de Lettres, 2023) et ce billet de Pauline Le Goff-Janton, du 15 mars 2021. Pour prolonger, Une vie, une oeuvre, France culture, 9 mars 1995.
Une conférence de Christine Planté, à la BnF, le 9 février 2009, "Une femme poète" |