En attendant Godot, Samuel Beckett, première représentation, 5 janvier 1953, au théâtre de Babylone.

coquillage



A propos d'
En attendant Godot : 1Samuel Beckett ; 2. Les mises en scène ; 3. Le rôle de l'arbre





Godot est une sorte de chef-d'oeuvre désespérant pour les hommes en général et pour les auteurs dramatiques en particulier. [...]
La grandeur, le goût du jeu, un style, nous sommes "quelque part" au théâtre". Le sketch des "Pensées de Pascal" par les Fratellini" (Jean Anouilh, Arts, 27 février 1953)



En attendant Godot, 1978

Comédie Française, 1978, mise en scène de Roger Blin, début de l'acte I (Jean-Paul Roussillon et Michel Aumont)
A voir : un sur le site de l'INA









croquis de Matias, 1976

maquette pour le costume de Lucky, Matias (Charles Henrioud, dit Matias, 1926-2006), 1976

En attendant Godot, 1978

Comédie Française, 1978, mise en scène de Roger Blin, fin de l'acte I 


La pièce, écrite en 1948, a attendu cinq ans avant d'être montée. Blin, à qui elle a été proposée en 1950, voudrait bien la monter, mais il lui faut trouver de l'argent et un théâtre puisque celui dans lequel il travaille (La Gaîté-Montparnasse) n'en veut pas.
Lorsqu'enfin Jean-Marie Serreau l'accepte pour le théâtre de Babylone, ni lui, ni le metteur en scène, ni surtout le dramaturge, ne s'attendaient au succès. Montée avec très peu d'argent, les trois hommes lui prêtaient une durée d'un mois, elle aura 200 représentations dans l'année (et 400 au total dans ce seul théâtre), et n'a cessé, depuis, d'être représentée, en France et partout dans le monde, dans des mises en scène extrêmement différentes. Et c'est à son propos que le critique anglais Martin Esslin va parler du "théâtre de l'absurde".
L'éditeur anglais de Beckett, John Calder, dit avoir été frappé, en assistant à la pièce, à Londres, par "La tragédie de l'homme, la valeur du silence, l'incongruité de la vie dans un monde dédié à la mort." (Magazine littéraire, janvier 1999)
Interrogé sur le sens à donner à Godot au moment de la création de la pièce aux USA, Beckett répond : "Si je le savais, je l'aurais dit dans la pièce."
Pierre Chabert, metteur en scène, qui a travaillé avec Beckett rapporte : "Il a dit que l'origine de Godot est dans un tableau de Caspar David Friedrich, un romantique allemand, Deux hommes contemplant la lune." (Interview dans TDC, novembre 2006)





Au théâtre de Babylone, le 5 janvier 1953

mise en scène : Roger Blin
décor : Sergio Gerstein
Vladimir : Lucien Raimbourg
Estragon : Pierre Latour
Pozzo : Roger Blin 
Lucky : Jean Martin
Le petit garçon : Serge Lecointe



Une farce tragique

La pièce est distribuées en deux actes sans division de scènes. Ces deux actes sont construits de manière similaire : dialogue entre les deux protagonistes, Vladimir et Estragon (Le premier appelle le second Gogo, et celui-ci le dénomme Didi), entrée de Lucky et Pozzo, sortie de ces derniers, nouveau dialogue entre Vladimir et Estragon, entrée du messager (un petit garçon), sortie de celui-ci, dialogue Vladimir-Estragon.
Du premier au second acte, le temps a passé sans avoir passé ("hier" dit l'un des protagonistes, mais "hier" c'est le passé), le spectateur est devant un monde symbolique : l'arbre a des feuilles et le couple Lucky-Pozzo s'est dégradé (Pozzo est aveugle).
Tous les personnages sont vieux (hormis le petit garçon chargé de renouveler l'espoir et l'attente) ce qui permet de poser les questions essentielles puisqu'ils ne peuvent être divertis, au sens pascalien du terme, de leur condition par des occupations annexes. Ils sont au moment où il est inévitable de se demander pourquoi on vit. A quoi sert aussi le décor dans lequel ils se trouvent : une route, dont on ne sait ni d'où elle vient, ni où elle va. Par là, Beckett, s'inscrit dans le vieux lieu commun de l'homo-viator, l'homme voyageur.
Leurs noms participent aussi de cette mise en scène de la condition humaine puisque chacun d'entre eux renvoie à des réalités géographiques fort éloignées : Vladimir est un nom russe, Pozzo un nom italien et Lucky (au nom antiphrastique puisqu'il semble avoir bien peu de chance) connote l'Angleterre ou les Etats-Unis ; quand au nom d'Estragon qui est celui d'une herbe culinaire, il souligne, en somme, les soucis majeurs du personnage qui sont toujours ceux du corps, douleur des pieds ou besoin de manger.
Les personnages, comme le dialogue, sont comiques et cependant du rire qu'ils suscitent naît une profondeur tragique peu commune.


Le travail des acteurs

 Le témoignage de Jean Martin sur le travail de 1953 :
"[...] Le plus magnifique était Lucien Raimbourg : un assez petit bonhomme avec un air d'innocence souligné par un oeil bleu émouvant au possible, mais un air d'innocence contredit quelques instants par une malice roublarde de cet oeil bleu. Une voix légèrement nasale et sonore, une grande mobilité du corps qui faisait contraste avec le côté plus terrien, plus fruste de Pierre Latour.
Blin a eu un peu de mal à entrer dans le personnage de Pozzo*, qu'il voyait gros et éructant. Blin était mince au possible et raffiné. Il a dû composer un gros à l'aide d'un faux ventre et de rembourrages divers qui le mettaient mal à l'aise. Et puis, il devait composer sa voix, trouvant qu'une voix de gros ne ressemble pas à une voix de maigre. Aussi cette voix allait-il la chercher au plus profond de son ventre, ramenant en même temps des borborygmes qui faisaient un personnage tout à fait étonnant. Il portait aussi un faux crâne chauve.  [...]
Pour Lucky, ni Sam, ni Roger Blin n'avaient d'idée bien arrêtée, en dehors de ce qui est dit du personnage et de la description qui en est faite. Il a fallu que je trouve quelque chose. Sam et Roger m'ont dit : "Propose, ensuite ce sera oui ou non." J'étais bien embarrassé. Le personnage est en scène longtemps avant de parler. Il doit être présent et en même temps il se passe beaucoup de choses en sa présence, ce qui interdit qu'on se focalise sur lui. Avec l'apparence physique que j'avais alors et le texte, à première vue, incohérent dit par le personnage, je voulais trouver une présentation et une explication logique. Je demandai à un médecin de mes amis de m'indiquer une maladie susceptible de justifier un dérèglement de la parole et du geste, sinon de la pensée. C'est ainsi que j'étudiai particulièrement la maladie de Parkinson et composai assez rapidement un personnage atteint d'un tremblement nerveux auquel venait s'ajouter une difficulté d'élocution. Matériellement, tout cela se fit progressivement, chaque jour apportant un petit détail, mais finalement les choses se présentèrent ainsi : je me tenais en équilibre instable sur le pied gauche, le talon du pied droit soulevé, les bras agités, ainsi que le genou droit. Un tremblement que je gardais plus ou moins accentué selon ce que désiraient mes partenaires pendant toute la durée de ma présence en scène. Quand venait le moment de parler, j'adoptais un rythme lent et saccadé au début, puis j'accélérais et allais de plus en plus rapidement jusqu'au délire de la fin."

* au départ, Blin avait prévu de jouer Lucky, mais l'acteur pressenti ayant fait faux bond, il se charge du rôle de Pozzo, plus lourd en terme de texte à mémoriser.





Denise Gence, actrice, témoigne de son travail dans Oh les beaux jours, monté au Théâtre de la Colline, dans une mise en scène de Pierre Chabert, en 1992, et répond à cette question d'un journaliste de Lire:
"Dans le texte de la pièce, Beckett indique le moindre geste, la moindre mimique. N'est-ce pas une limite à votre interprétation ?
— Par ces indications, l'auteur organise un texte apparemment échevelé. Ce n'est pas une contrainte, c'est comme si quelqu'un respirait à côté de vous. C'est la musique avant le son, une rythmique, une respiration. A la lecture, le texte pourrait paraître sec. Il est très sensuel. Maintenant, je reconnais Beckett par le tempérament de la phrase, une sorte d'émotion permanente, de chair de poule. "

Horst Bollman, acteur allemand, qui travaille avec Beckett, à Berlin, pour Fin de partie, témoigne dans le même sens : " Ce qui est important pour lui c'est le rythme, la chorégraphie, la forme du spectacle dans son ensemble."






En 1974, Beckett monte lui-même sa pièce à Berlin, au Schiller-Theater, en demandant au régisseur du théâtre d'engager Matias pour les décors et les costumes ; il sera assisté pendant ce travail par Walter Asmus qui, plus tard, filmera la pièce pour la télévision :




[...] il a également confié à Matias le soin de concevoir les décors et les costumes. Le premier, très simple, a néanmoins été longuement réfléchi: le sol est ratissé et la scène vide à l'exception d'une pierre et d'un arbre dépouillé ; les costumes ont été choisis pour souligner la réciprocité des rapports qui lient les personnages deux à deux, sur un principe dont Beckett s'est entretenu avec Matias : Vladimir porte un pantalon à rayures d'une élégance depuis longtemps révolue avec la veste noire d'Estragon trop étriquée pour sa carrure, alors que ce dernier porte le bas de ce costume et, sur les épaules, la veste à rayures de Vladimir, beaucoup trop grande pour lui. La veste cintrée de Lucky est coupée dans le même tissu que le pantalon de Pozzo, et la couleur de ses chaussures rappelle celle du chapeau de son maître, de même que son pantalon répond à la veste grise de celui-ci. Toutes les teintes sont sombres ou dans les nuances automnales.
     Répétition et contraste sont les maîtres mots de Beckett dans la mise en scène de cette pièce qui reste la plus célèbre de toutes celles qu'il a écrites: répétition des mots, des thèmes, des gestes et des mouvements ; contraste entre Estragon et Vladimir, si différents par la taille et aux caractères si dissemblables, ou entre la voix de stentor de Pozzo et la domination qu'il exerce sur Lucky le silencieux, le soumis. On est loin ici de tout naturalisme ainsi que l'explique Beckett :

"C'est un jeu, tout est un jeu. Lorsqu'ils sont tous les quatre allongés sur le sol, on ne peut pas traiter ça de manière naturaliste. Il faut recourir à l'artifice, comme pour un ballet. Autrement cela devient une imitation de la réalité. [...] Il faut que ce soit clair, transparent, sans sécheresse. C'est un jeu qui a pour fin la survie."

James Knowlson, Beckett, éd. Actes-sud, coll. Babel,  traduit par Oristelle Bonis, 1999, pp. 971-72






A écouter : sur le site de l'INA, Marcel Maréchal parle de la pièce
A regarder : la mise en scène de Walter Asmus, pour la télévision (Acte I / Acte II), une présentation de la mise en scène de Jean Luc Bondy en 1999 à l'Odéon.
A lire : un article de Marie Claude Hubert sur la place du corps dans le théâtre de Beckett
A consulter : la mise en scène de Jean Pierre Vincent en 2015


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