30 mars 1895 : Jean Giono

coquillage



"Né à Manosque en 1895, sait lire et écrire, ne sait pas nager"

Prière d'insérer de la première édition de Colline, 1929.




portrait de Giono, 1968

Portrait de Jean Giono, 1968. Photographie de Jean Dieudaize (1921-2003)

Un début dans la vie

Jean Giono est né à Manosque, ville de haute Provence, où il passera l'essentiel de sa vie et où il mourra, en octobre 1970. Son père, fils d'un immigré italien, est cordonnier et sa mère, née à Paris d'une famille picarde, repasseuse. Le petit Jean vit une enfance heureuse entouré d'amour. Dans Jean le Bleu, 1932, l'écrivain relate ses souvenirs d'enfance (les véritables et les imaginés, sans que le lecteur puisse faire la différence), le père aimé et admiré, la figure maternelle, les premières émotions, les premières histoires contées par le père, celles imaginées par l'enfant à partir de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, et surtout l'exploration sensuelle du monde dans laquelle l'odorat et le toucher sont des sens privilégiés, ce qu'ils resteront pour l'oeuvre tout entière.
Un petit monde heureusement en ordre qui va, soudain, se défaire. En 1911, le père est victime d'une attaque. Jean Giono quitte le lycée, il allait entrer en première, pour chercher du travail. Il en trouve dans une banque (Le Comptoir d'Escompte) d'abord comme chasseur, puis comme employé. Au lycée, il s'est noué d'amitié avec Henri Fluchère, passionné de littérature anglaise, dont il devient ensuite l'un des grands spécialistes français. Il lui doit la connaissance de la littérature anglo-saxonne, un amour qui perdurera toute sa vie. C'est aussi l'époque où il découvre Homère, Virgile et toute la littérature gréco-latine ; il racontera, plus tard (en 1952), comment cette littérature l'a sauvé de l'ennui d'un univers étriqué. Et si ce sont ces textes qu'il explore, c'est qu'ils coûtaient très peu cher par rapport à ceux des écrivains contemporains. En même temps, ces lectures permettent sans doute de mettre en mots sa propre expérience du monde, sa perception d'une nature aussi séduisante que sauvage, voire brutale, par rapport à laquelle l'homme est toujours superfétatoire, avec laquelle il doit toujours composer, ce que progressivement il nommera "les dieux".
Le deuxième tournant de cette jeune vie est la déclaration de guerre. Giono est mobilisé en 1915. Il a vingt ans et va vivre la Grande Guerre sur ses fronts les plus durs. Il en reviendra, comme la majorité des combattants ayant survécu, bouleversé, ravagé. En 1917, il confie dans une lettre :"Je n'ai plus d'âme, je n'ai plus de coeur, je n'ai plus de ciel bleu, non, je n'ai plus d'idéal, je ne suis qu'os, chair et arme. Et la pluie drue s'acharne sur l'acier des casques." Son pacifisme militant qui se manifestera avec éclat durant les années trente et le conduira même en prison (septembre-novembre 1939) s'enracine dans l'horreur vécue sur le Front.




Les décennies d'entre deux guerres

En 1920, à peine six mois après sa démobilisation, l'écrivain voit mourir son père. 1920 est aussi l'année de son mariage avec Elise Maurin, institutrice. Le couple aura deux enfants, deux filles. C'est aussi cette année-là qu'une petite revue marseillaise, La Criée, publie ses premiers poèmes. Ils vont toucher un homme, Lucien Jacques, qui écrit à leur auteur. Une correspondance se noue, elle va aboutir à une rencontre en 1924 et à une amitié qui durera toute la vie des deux hommes.
Lucien Jacques encourage Giono à écrire, par exemple, dans une lettre du 3 janvier 1925, il lui écrit : "Vous pourriez et devriez faire un merveilleux petit roman de ce que vous me dites dans votre lettre au sujet d'Odyseus le menteur." Giono le fera et c'est Naissance de l'Odyssée que Lucien Jacques s'empresse de proposer à Grasset, lequel le refuse n'y voyant qu'un jeu littéraire sans beaucoup d'intérêt. Mais une porte est ouverte, et Colline est accepté en 1928 et publié au début de l'année 1929. Vont suivre Un de Beaumugnes (1929), Regain (1930). Le succès est au rendez-vous et la banque où il travaille ayant fermé ses portes fin 1929, Giono décide de tenter de vivre de son travail d'écrivain. Pour chacun de ses romans, il voyage à Paris afin d'assurer le service de presse, occasion qui lui permet de connaître un grand nombre de ses confrères écrivains dont Gide qu'enthousiasme ses écrits et avec lequel il se lie d'amitié. Cette amitié entraîne une situation assez inhabituelle pour un écrivain, Giono va avoir deux éditeurs : Grasset et Gallimard (Gide était à l'origine de la Nouvelle Revue Française, NRF, et donc très lié à la maison d'édition qui en était née, dirigée par Gaston Gallimard) entre lesquels il va partager sa production.
Au cours de la décennie trente, Giono est extrêmement occupé. Outre la rédaction de son oeuvre, il répond à de nombreuses commandes pour s'assurer un revenu convenable, et défend ses convictions pacifistes sur tous les fronts. La baisse de ses revenus après la fermeture de la banque le conduit à acheter une petite maison dans le quartier du Paraïs où il va passer le reste de sa vie, l'agrandissant au gré de ses rentrées d'argent. Au cours de ces années, deux événements importants se produisent : la découverte de Moby Dick (Herman Melville) qu'il décide de traduire avec Lucien Jacques et l'aide d'une amie anglaise ; la découverte du Contadour, à l'automne 1935. Giono accompagnait un groupe de lecteurs passionnés pour une découverte de la haute Provence et se tord la cheville au cours de la randonnée. Elle s'interrompt donc au lieu-dit Le Contadour qui plaît tant à l'ensemble des participants qu'ils vont acheter les terrains et les masures qu'ils abritent. Tous les ans, ils s'y réuniront et les échanges qui s'y déroulent vont alimenter des Cahiers où se développe une vision du monde fondée sur ce que Giono appelle "les vraies richesses" : la communauté des hommes, la fraternité, le rapport étroit avec la terre, le refus des villes, une grande méfiance à l'égard de trop de technique. Une sorte de rêve "hippie" avant la lettre qui va durer quatre ans et marquer définitivement tous ceux qui y ont participé.









Lucien Jacques, 1925

Lucien Jacques (1891- 1961), Paysage provençal, huile sur toile, 1925











affiche de Un roi sans divertissement, 1963

Affiche d'Un roi sans divertissement, François Letterier, 1963

La seconde guerre mondiale et l'après-guerre

Emprisonné à la veille de la guerre pour ses positions pacifistes, puis démobilisé, Giono passe le temps de la guerre à Manosque. Comme toujours, il fait cavalier seul, appuyé sur ses principes et ses convictions, ce qui le conduit à des imprudences comme accepter des interviews ou publier des textes dans des revues de collaborateurs. Au sortir de la guerre, les résistants de la dernière heure ne le lui pardonneront pas : il est de nouveau emprisonné (septembre 1944-janvier 1945). Certains disent que cette mesure était, en fait, destinée à le protéger de la vindicte. Il est quand même interdit de publication par le Comité National des Ecrivains, ce qui complique singulièrement la vie de quelqu'un qui n'a que ses écrits pour assurer sa subsistance et celle de sa famille.
L'oeuvre, en tous cas, prend une nouvelle allure. Certains attribuent ce changement à la rencontre d'une jeune femme, Blanche Meyer, en 1939. Quoiqu'il en soit, l'oeuvre se poursuit sur deux voies, celle du "hussard" et celle des "chroniques". Le cycle du "hussard" doit beaucoup à Stendhal. Jamais, depuis Julien Sorel et Fabrice del Dongo, un écrivain n’avait donné à ses lecteurs d'aussi merveilleux personnages de jeune homme qu’Angelo, de jeune femme que Pauline de Theus. Du roman central du cycle, Le Hussard sur le toit (publié en 1951, après Mort d'un personnage, 1949, et avant Le Bonheur fou, 1957 et Angelo, 1958), où le narrateur conte une folle cavalcade à travers la Provence ravagée par le choléra, il reste, le livre fermé, des images de lumière et de gloire. Si les personnages des chroniques donnent de l’homme une vision plutôt pessimiste, Le Hussard sur le toit  les rédime tous en nous offrant, caracolant sur son cheval, et traversant le monde de toute son énergie, la jeunesse, la générosité, la passion, la beauté, la fidélité, le courage.
Les "chroniques" qu'inaugure Un roi sans divertissement (1947), sont aux dires de l'auteur lui-même "tout le passé d'anecdotes et de souvenirs de ce «Sud imaginaire» dont j'avais, par mes romans précédents, composé la géographie et les caractères." En se construisant autour de faits-divers, ces chroniques s'interrogent sur des personnages, des "Ames fortes", comme le titre l'une d'elle (1949), personnages à la fois ordinaires et extra-ordinaires en ce qu'ils côtoient, frôlent, voire plongent dans le plus noir de l'âme humaine. Pour les écrire, Giono s'invente un nouveau langage dans lequel si les métaphores filées qui étaient la marque de ses premiers romans, parfois jusqu'à l'outrance, demeurent, quoique plus discrètes, il joue avec les niveaux de langue les plus différents, inscrustant dans un français extrêmement classique des termes familiers, voire patoisants, un peu comme le faisait George Sand dans ses romans dits "champêtres" ; il mêle à des proverbes, des schèmes lexicalisés, les allusions les plus fines à l'ensemble de la littérature ; il multiplie les narrateurs au point de brouiller toute certitude quant aux événements racontés ainsi qu'aux personnages dont la densité échappe ainsi à toute transparence. Qui est Langlois ( Un roi sans divertissement) ? Qui est Thérèse (Les Ames fortes) ? Le trouble qu'instaure la lecture en fait la plus grande puissance, ce qui ne doit pas faire oublier l'humour, souvent féroce, qui trame les textes, ni la force lyrique de ses évocations de paysages.
A lire ces textes, le lecteur est aussi amené à réévaluer la totalité de l'oeuvre et à faire tomber l'étiquette qui a si longtemps collé à l'oeuvre de Giono "écrivain régionaliste". Non, Giono n'a jamais été un écrivain régionaliste, juste l'un des plus grands écrivains français du XXe siècle, point final. Ce dont a pris acte Gallimard qui, en 1969, entreprend la publication de ses oeuvres complètes dans la collection de la Pléiade.
Il faudrait ajouter pour compléter ce portrait un peu rapide, les incursions de Giono dans le cinéma, commencées dans les années trente avec Pagnol qui a filmé un certain nombre de ses récits, filmages que Giono n'a pas toujours appréciés d'ailleurs ; ses propres tentatives, comme scénariste et dialoguiste pour L'Eau vive (François Villiers, 1958, commandité par EDF), comme scénariste pour Un roi sans divertissement (François Leterrier, 1963) dont il suit pas à pas le tournage.
Dans les années cinquante et soixante, Giono voyage aussi. Il découvre avec passion l'Ecosse et l'Italie. Il meurt d'une crise cardiaque en 1970.

 




A regarder
: les belles photos de Christian Rau sur son site permettant à ceux qui ne la connaissent pas de se faire une idée de la haute Provence autour de Manosque.
A consulter : la bibliographie complète des oeuvres de Giono.
A écouter : découvrir Giono à travers la lecture de Joselet, extrait de Solitude de la pitié (1ère diffusion : 26/03/1963  France II Régionale), texte dit par René Lefèvre (1898-1991).
A lire : pour mieux saisir le mystère Blanche Meyer, la communication d'Hubert Nyssen à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, janvier 2004, "Enquête sur 3000 pages de Giono soustraites à l'édition."
D'autres informations sur le même sujet dans une thèse étasunienne, Space of passion : the love letters of Jean Giono to Blanche Meyer, Patricia A. Le Page, 2004.



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