21 juin 1905 :
Jean-Paul Sartre
|
A propos de Sartre, ce site contient aussi : 1. présentation des Mouches - 2. un commentaire d'un extrait de Huis clos - 3. une présentation de Huis clos. 4. Le Diable et le Bon Dieu (1951) |
En publiant, en 1964, le petit texte intitulé Les Mots, Sartre a coupé l'herbe sous les pieds de tous ses biographes, ce qui d'ailleurs, ne les a pas empêché de fleurir. Il y conte et analyse, magnifiquement, comment Jean-Paul, dit Poulou, devient Jean-Paul Sartre dont le programme sera toujours : "Nulla dies sine linea." (Pas un jour sans une ligne) Et cet inoubliable explicit des Mots : "[...] que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui." Qu'en faut-il savoir ? Son origine bourgeoise : la famille Sartre (paternelle), la famille Schweitzer (maternelle) appartiennent à la bourgeoisie cultivée du début du XXe siècle. Rien d'étonnant à ce que le jeune-homme, orphelin de père très tôt (Jean-Baptiste Sartre meurt en 1906) ait eu une enfance choyée, puis ait fait de brillantes études qui le conduisent à l'Ecole Normale dont il sortira professeur agrégé de philosophie en 1928. Rue d'Ulm (adresse de l'Ecole Normale) ses amis s'appellent Nizan, Aron, Lagache, Politzer. En 1927, il a rencontré une jeune fille, elle même étudiante de philosophie, qui deviendra sa compagne, amie, alter-ego : Simone de Beauvoir. Professeur de philosophie au Havre, avec l'intermède d'une année d'études passée à Berlin, en 1933, pour approfondir sa connaissance de la philosophie de Husserl, il travaille, développe une pensée personnelle et assez originale pour ne rencontrer aucun écho. Ses manuscrits sont refusés par les éditeurs. Ce sera pourtant cette pensée qui modèlera, en grande partie, la seconde moitié du XXe siècle : on lui donnera le nom d'existentialisme. Sartre, à partir de la pensée des philosophes allemands, de Husserl en particulier, développe une réflexion qui repose sur l'idée que l'existence humaine se construit dans le monde et dans le temps. Dans "L'existentialisme est un humanisme" (qui fut d'abord le titre d'une conférence prononcée le 29 octobre 1945 avant de devenir une plaquette publiée en 1946), Sartre dit ceci:
|
Photo : Gisèle Freund, 1939 | ||||||
En 1938, il est nommé au lycée Pasteur de Neuilly, et le roman auquel il tient, qu'il a intitulé "Melancholia" (à cause de Dürer) et que Gaston Gallimard rebaptisera La Nausée, va être publié. Un an après, ce sera Le Mur, recueil de nouvelles. L'accueil de la critique est enthousiaste : un courant d'air violent fait claquer les portes et les fenêtres du monde littéraire. Il devient lui-même critique (et quel critique!) pour la NRF (La Nouvelle revue française, la revue attachée aux éditions Gallimard). Puis c'est la guerre. Sartre, affecté au service de la météorologie, s'ennuie et noircit force carnets. Et la drôle de guerre s'achève dans un camp de prisonniers. Sartre estime y avoir gagné deux choses essentielles : lui, le solitaire, retrouve la communauté humaine. La guerre a fait basculer le social dans ma vie, expliquera-t-il dans Situations X . Ensuite, c'est au stalag (camp de prisonniers) qu'il fait ses premières armes théâtrales en écrivant Baronia, une manière de mystère de Noël sur le thème de la liberté. Libéré, Sartre revient à Paris où il fonde, en 1941, un groupe de résistance qui ne durera guère mais qui le mettra en contact avec d'autres lui permettant de poursuivre un combat idéologique contre le nazisme. En juin 1943, Charles Dullin monte Les Mouches : Oreste délivre Argos de la tyrannie d'Egisthe. Le 27 mai 1944, le théâtre du Vieux-Colombier présente Huis-clos. Le cinéma lui fait des offres qui lui permettent de quitter son métier d'enseignant. Et si Sartre n'aura pas vraiment une carrière de scénariste (bien qu'il ait signé le scénario des Jeux sont faits; et que Typhus, un scénario écrit en 43-44, sera finalement filmé en 1953 sous le titre Les Orgueilleux), son scénario le plus ambitieux et le plus intéressant est le "scénario Freud" (comme on l'appelle) écrit pour John Huston (et jamais tourné). Dans tous les cas, ces expériences témoignent d'un intérêt profond, et ancien chez Sartre, pour le septième art. En même temps, il écrit pour Combat (le journal de Camus), négocie avec Gallimard le financement d'une nouvelle revue qui s'intitulera Les Temps modernes, et, naturellement, continue d'écrire. De janvier à mai 1945, avec sept autres journalistes français, il fait un voyage aux Etats-Unis. Comme d'habitude, il n'est pas là où on l'attend, mais du côté du jazz, de la littérature, des noirs américains, déjà du côté de l'envers de la puissance et du "rêve américain". Son engagement politique se précise qui se dira dans l'éditorial du n°1 des Temps modernes : "Nous nous rangeons du côté de ceux qui veulent changer à la fois la condition sociale de l'homme et la conception qu'il a de lui-même." Promesse que tiendra Sartre en s'engageant dans tous les combats, de 1945 à sa mort : ceux de la guerre froide, ceux de la décolonisation, et de la guerre d'Algérie, en particulier, ceux de la guerre du Vietnam avec le tribunal Russel, ceux de mai 1968. Dans la rue, dans les tribunaux, dans les journaux, Sartre a été, selon ce qu'aurait dit De Gaulle, en 1960, le "Voltaire" du XXe siècle. Ce qui, comme le "philosophe" du XVIIIe siècle, ne l'a pas empêché d'écrire une oeuvre monumentale, en philosophie comme au théâtre, dans le domaine romanesque comme dans celui de la critique littéraire. Et s'il fallait synthétiser Sartre en un mot, ce serait naturellement le mot "liberté". Liberté qui est au centre de sa réflexion philosophique comme elle a été la forme de sa vie (et son refus du prix Nobel en 1964 n'en a pas été la moindre des démonstrations : "L'écrivain doit refuser de se laisser transformer en institution, même si cela a lieu sous les formes les plus honorables, comme c'est le cas..."). Réflexion sur la liberté qui irrigue ses traités de philosophie, son théâtre comme ses articles, ses nombreuses préfaces à des oeuvres de ses contemporains (celles, entre autres, des Damnés de la terre de Franz Fanon et d'Aden Arabie de Nizan) et son énorme étude inachevée sur Flaubert, L'idiot de la famille. Parce que "en fin de compte, chacun est toujours responsable de ce qu'on a fait de lui-même s'il ne peut rien faire de plus que d'assumer cette responsabilité. Je crois qu'un homme peut toujours faire quelque chose de ce qu'on a fait de lui." (Situations IX, 1972) Sa mort, en 1980, est ressentie, peut-être plus encore à l'étranger qu'en France, avec l'émotion qui peut accompagner la disparition d'une voix qui élevait ceux qui l'écoutaient. Depuis l'enterrement de Hugo, en 1885, Paris n'avait pas vu une telle foule accompagner un écrivain jusqu'à sa tombe. Comme lui, il a représenté pour les hommes et les femmes de son temps, le "maître", celui qui leur avait appris à penser et à vivre, celui qui, ayant dit : "on est responsable de tout ce que l'on n'essaie pas d'empêcher" a formé des générations de jeunes gens habités par la révolte. Le XVIIIe siècle avait eu Voltaire, le XIXe siècle avait eu Victor Hugo, le XXe siècle aura eu Sartre. | |||||||
BIBLIOGRAPHIE
sélective (par ordre chronologique)
1936 : L'Imagination
1938 : La Nausée (roman) 1939 : Esquisse d'une théorie des émotions Le Mur (nouvelles)
1940 : L'Imaginaire
1943 : L'Etre et le néant
1944 : Huis clos (théâtre)
1945 : Les Chemins de la liberté, I. L'Age de raison ; II. Le Sursis (romans) 1946 : L'Existentialisme est un humanisme Morts sans
sépulture (théâtre)
La Putain respectueuse (théâtre) Réflexions sur la question juive
1947 : Situations I
Baudelaire
1948 : Situations II (contient "Qu'est-ce que la
littérature?")
Les Mains sales
(théâtre)
L'Engrenage
1949 : Situations III
Les Chemins
de la liberté, III. La mort dans l'âme (roman)
1952 : Saint Genet, comédien et martyr
1954 : Kean (théâtre) 1956 : Nekrassov (théâtre) 1960 : Critique de la raison dialectique 1960 : Les Séquestrés d'Altona (théâtre) 1964 : Situations IV, V, VI Les Mots (autobiographie) 1965 : Situations VII 1971 : L'Idiot de la famille t. I et II 1972 : L'Idiot de la famille, t. III Situations
VIII et IX
1973 : Un théâtre de situations
1974 : On a raison de se révolter 1976 : Situations X |
|
Nous
ne voulons rien manquer de notre temps: peut-être en est-il
de plus beaux, mais c'est le nôtre; nous n'avons que cette vie
à vivre, au milieu de cette
révolution peut-être. [...] L'écrivain
est en situation
dans son époque : chaque parole a des retentissements.
Chaque
silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la
répression qui a suivi la Commune parce qu'ils n'ont pas
écrit une ligne pour l'empêcher. Ce
n'était pas
leur affaire dira-t-on. Mais le procès de Calas,
était-ce
l'affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce
l'affaire de Zola ? L'administration du Congo, était-ce
l'affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance
particulière de sa vie, a mesuré sa
responsabilité
d'écrivain. L'Occupation nous a appris la nôtre.
(Situations II,
"Présentation des
Temps modernes", 1948.)
| |||||
A visiter : l'exposition virtuelle consacrée à Sartre par la BnF. Pour travailler sur Sartre, un instrument indispensable : Les Ecrits de Sartre, Michel Contat & Michel Rybalka, Gallimard, 1970, 786 p. A lire : un article sur "la mauvaise foi", notion peu aisée à comprendre, mais fondamentale dans la pensée sartrienne, de madame Jacqueline Morne. |